Le matin du 11 septembre 1973, le socialiste Salvador Allende (1908 – 1973), président du Chili depuis le 4 novembre 1970, est renversé par un coup d’État des forces armées du pays. Assiégé dans le palais de la Moneda, le siège de la présidence chilienne, il avait refusé de se rendre aux militaires félons. Il se suicide avec un AK-47 que lui avait offert Fidel Castro, après avoir prononcé deux allocutions radiophoniques au peuple chilien. Les militaires s’installent à la tête de l’État et mettent en place une terrible répression. Dans les jours qui suivent le coup d’État, 45 000 personnes, suspectes de sympathies pour la gauche ou membres de partis de gauche ou d’extrême-gauche, de syndicats ou d’autres organisations, sont arrêtées, interrogées et parfois torturées et tuées, au secret dans des casernes et navires, ou sous les caméras du monde entier dans le stade national de Santiago. L’état de siège est imposé, le Congrès est dissous, la constitution est suspendue. 250 000 Chiliens s’exilent.
La nouvelle junte chilienne, c’est-à-dire le gouvernement militaire dictatorial, est un régime terroriste. La terreur est pratiquée par l’État : arrestations, tortures et assassinats. À la fin de l’année 1973, 1500 civils ont été tués par les forces armées. Le militaire et ministre Alberto Bachelet, père de Michèle Bachelet, présidente du Chili de 2006 à 2010 et de 2014 à 2018, meurt en détention après avoir été torturé. En 1975, le Chili compte 8000 prisonniers politiques. 110 responsables syndicaux ont été assassinés. À partir de septembre 1975, le Chili et sa police politique, la DINA, dirigée par le colonel Contreras, prend l’initiative de la création du « plan Condor », système d’échange d’informations et collaborations entre les dictatures sud-américaines pour la traque et l’élimination des opposants.
Après le 11 septembre 1973 : naissance du Chili de Pinochet
Le nouveau pouvoir s’incarne et se personnalise dans la figure d’Augusto Pinochet (1915 – 2006), commandant en chef de l’armée de terre chilienne, nommé par Allende moins d’un moins avant le coup d’État, le 23 août 1973. Il devient, après le coup d’État, « chef suprême de la nation » chilienne puis, après l’adoption d’une constitution en 1980, président du pays, sans avoir été élu, jusqu’en 1990, date du retour à la démocratie.
Le coup d’État chilien : un événement mondial
L’influence du coup d’État du 11 septembre 1973 est loin de se limiter aux seules frontières du Chili. Cela s’explique, d’abord, par la médiatisation du coup d’État. Les images de la Moneda bombardées par l’aviation, ou celles des prisonniers arrêtés et enfermés dans le stade national, font le tour du monde. Avant de mourir, Allende prononce deux allocutions radiophoniques, une première à 7 h 55 à destination des travailleurs, l’autre à 9 h 10 qui annonce son sacrifice. De nombreux films et documentaires se sont de plus emparés du sujet (La Bataille du Chili de Patricio Guzmán, Missing de Costa-Gavras, etc.).
Par sa dimension idéologique ensuite. Le coup d’État met fin à une expérience, celle de « la voie chilienne vers le socialisme», qui avait suscité l’espoir des partis de gauche du monde entier. La mort en martyr d’Allende achève de lui donner une dimension traumatique. Allende était un président marxiste mais, contrairement aux dirigeants des nations communistes, il était arrivé démocratiquement au pouvoir, grâce au soutien de l’Union populaire, une coalition réunissant le parti socialiste chilien et les autres formations de gauche et de centre-gauche du pays. Son programme avait pour ambition de résorber les inégalités sociales et mettre son pays sur la voie du socialisme par des réformes successives, en respectant les libertés fondamentales. Cette stratégie pouvait être rapprochée de celle du parti communiste italien. François Mitterrand, alors premier secrétaire du parti socialiste, et Gaston Defferre, s’étaient par exemple rendus en novembre 1971 au Chili.
Le coup d’État est aussi une victoire américaine dans la guerre froide. L’arrivée au pouvoir d’un président marxiste dans un État américain a été vue comme une grave menace par les États-Unis. Ceux-ci considèrent en effet que le continent américain relève de leur seule influence. La chute à Cuba, en 1959, du dictateur pro-américain Fulgencio Batista, et l’installation sur l’île d’un régime pro-communiste, allié à l’URSS, et dirigé par Fidel Castro (jusqu’à 2008), à 170 km des côtes de la Floride, avait été vécu comme un traumatisme par l’administration américaine. Le président des États-Unis, Richard Nixon (de 1969 à 1974), et son conseiller spécial puis secrétaire d’État, Henry Kissinger (né en 1923), ne veulent pas voir ce renversement se répéter en Amérique, et craignent donc la contagion cubaine au Chili.
La politique d’Allende ne rassure d’ailleurs pas Nixon et Kissinger, puisqu’il exproprie sans compensation les compagnies américaines qui possèdent les mines de cuivre, source de la majeure partie des exportations du pays. La visite de plus de vingt jours Fidel Castro au Chili en novembre 1971 laisse penser qu’un axe anti-impérialiste Cuba-Chili se constitue au sein même de la sphère d’influence étasunienne.
En représailles, les États-Unis coupent des crédits d’aide au Chili. Surtout, ils essaient d’accentuer les difficultés économiques du pays (où se multiplient les grèves, comme celle des camionneurs du 11 octobre 1972) et cherchent à susciter des dissensions dans l’armée chilienne pour favoriser la survenue d’un coup d’État. La CIA intervient directement pour déstabiliser le pays, sur ordre de Washington.
L’avènement du régime de Pinochet ramène le Chili dans le bloc occidental.
Plus encore, le coup d’État ouvre la voie à une révolution économique à venir. Le Chili devient le laboratoire du néolibéralisme. Le régime mène une politique économique très libérale de dérégulation, sous l’influence des Chicago Boys, économistes formés aux théories de l’américain Milton Friedman, l’un des principaux penseurs du néolibéralisme. Le Chili connaît ensuite une période de forte croissance qui en fait l’économie la plus dynamique d’Amérique du Sud. La révolution néolibérale se propage ensuite aux États-Unis de Reagan (1981 – 1989) et au Royaume-Uni de Thatcher (1979 – 1990).
À lire :
- François Chevalier, L’Amérique latine de l’indépendance à nos jours
- Gilles Bataillon, 11 septembre 1973, Anatomie d’un Coup d’État
- Olivier Compagnon et Caroline Moine, Pour une histoire globale du 11 septembre 1973
- Olivier Dabène, L’Amérique latine à l’époque contemporaine
Le coup d’état électoral qui a eu lieu en côte d’Ivoire en 2011,le 11avril,ressemble à bien des égards au coup d’État militaire de Chili avec les mêmes causes et les mêmes conséquences. Au Chili c’était les États-Unis qui ont manoeuvré,en Côte d’IVOIRE,c’est la France.Les impérialistes sont la sources des malheurs des nations dites faibles.