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20 septembre 1792 : instauration du divorce

Publié le 22/05/2019
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L’article 1er de la section V (Du divorce…) du décret du 20 septembre 1792, pris la veille de la naissance de la République, et le même jour que le bataille de Valmy, porte que :

Aux termes de la Constitution, le mariage est dissoluble par le divorce.

La Constitution de 1791, la première constitution de la France, disait en effet à l’article 7 de son Titre II que :

La loi ne considère le mariage que comme contrat civil.

Le mariage n’était déjà plus, en vertu de la Constitution, un sacrement religieux, mais un contrat civil et laïc qui lie des partenaires libres, égaux et consentants, et qui peut être rompu par ces mêmes parties. C’est une innovation importante. Au XVIIIe siècle, on ne reconnaissait que la séparation de corps, qui est le fait pour les époux de rester mariés sans plus vivre ensemble. Elle n’autorisait pas le remariage. Le divorce avait été totalement proscris dans le catholicisme à la suite du concile de Trente (1545 – 1563).

 

Linéaments prérévolutionnaires à l’instauration du divorce


20 septembre 1792 instauration divorce
La Cuisine, Jean Siméon Chardin, 1738 | Wikimedia Commons

L’introduction de l’idée de dissolubilité du lien matrimonial aurait été travaillée, en amont, par la tradition gallicane et l’idée de liberté portée par l’idéal des Lumières (suivant Sylvain Bloquet).

Le gallicanisme, qui défendait le pouvoir de la monarchie et du clergé sur l’Église de France contre les ingérences du pape, aurait développé l’idée selon laquelle l’État devait conserver son pouvoir sur le contrat de mariage (qui restait sacré par l’Église). L’idée de mariage se serait laïcisée (comme en témoigne l’édit de Versailles de 1787 qui créait un mariage civil pour les non-catholiques), et les juristes du du XVIIIe aurait ainsi considéré le mariage comme un contrat civil dont le sacrement conféré par l’Église était second.

Ce travail de la tradition gallicane aurait été doublé par celui des philosophes des Lumières. Diderot dit ainsi que par la tyrannie de l’homme, il « a converti la possession de la femme en une propriété » (Supplément au voyage de Bougainville, 1796). Voltaire s’engage lui aussi, dans son article Adultère du Dictionnaire philosophique (1764), dans lequel il soutient l’empereur d’Autriche Joseph II (1765 – 1790) qui vient d’autoriser le divorce, ou dans son Cri d’un honnête homme […] de 1770.

Dans l’opinion, l’instauration du divorce est notamment demandée pour la préservation des bonnes mœurs et de la dignité du mariage, menacés par des unions ratées dans lesquelles les époux vivent avec leurs amants. On craignait en outre que l’indissolubilité du mariage rebute les jeunes gens à se marier, ce qui menaçait le pays de dépopulation. L’instauration du divorce n’était pas une priorité pour les révolutionnaires. Mais de la laïcisation du mariage par la Constitution, et de sa conception comme simple contrat, découlait logiquement le divorce, déjà pratiqué par certains citoyens après l’adoption de la Constitution de 1791, et avant le décret du 20 septembre 1792.

 

Les modalités du divorce à la Révolution


Le divorce introduit par les révolutionnaires est alors très libéral. Il en existe trois types. Il peut être demandé sur le consentement mutuel des époux, sans qu’il y ait de faute de l’un ou de l’autre, ce qui est une autre innovation. Le mariage est un contrat : si les parties liées souhaitent toutes deux le rompre, rien ne peut les empêcher. Il existe en outre sept motifs de divorce pour faute, selon les fautes imputables à l’un ou l’autre des époux, et devant lesquels la femme et l’homme sont égaux :

  • les crimes, sévices ou injures graves de l’un envers l’autre ;
  • l’absence de l’un d’eux sans nouvelles au moins pendant cinq ans ;
  • l’abandon de la femme par le mari ou du mari par la femme pendant deux ans au moins ;
  • l’émigration ;
  • la démence, la folie ou la fureur de l’un des époux ;
  • la condamnation de l’un d’eux à des peines afflictives ou infamantes ;
  • le dérèglement de mœurs notoire ;
  • la Convention nationale (1792 – 1795), le régime républicain pendant la Révolution, ajoute à cette liste la séparation de fait des époux pendant six mois, par les décrets des 4 et 9 floréal an II (17 et 23 avril 1794).

On remarquera que l’adultère ne figure pas explicitement parmi les motifs de divorce pour faute. Il n’est pas réprimé par le Code pénal de 1791.

Le divorce peut enfin être demandé pour incompatibilité d’humeur.

La procédure de divorce est, à ses débuts, simple. Elle est gratuite, c’est un acte d’état civil. Les époux règlent leurs différents entre eux dans des délais très brefs, puis passent devant un tribunal de famille (composé de membres de la famille, amis ou d’hommes de loi), qui tente une conciliation, puis juge le divorce valable ou non. Il est ensuite prononcé un officier d’état-civil. Trois réunions du tribunal de famille sont imposées pour les divorces pour incompatibilité d’humeur, avec un délai total de procédure de six mois. Après, le divorce, les anciens époux peuvent ensuite se remarier.

 

Les effets de l’introduction du divorce à la Révolution


Le divorce est surtout limité aux villes. Paris est la ville la plus affectée, puisqu’elle aurait représenté de 50 à 70% de l’ensemble des divorces, 3000 par an jusqu’à 1795, l’an III (Dominique Dessertine). Par contraste, entre 1792 et 1816, date de l’interdiction du divorce, on ne compte que quatre divorces dans le Bassin parisien.

Le divorce concerne surtout certaines classes aisées. Les catégories qui divorcent le plus sont les artisans, les petits commerçants (ils représentent 80 % des divorces à Lyon, 50 % à Rennes), la bourgeoisie négociante, et les professions libérales. On divorce peu chez les prolétaires et les paysans, grâce à la fréquence des mariages d’amour, ou à cause de conditions matérielles délicates. L’aristocratie ne s’empare pas non plus de ce nouveau droit, parce que la logique des alliances entre les lignages y domine.

Il profite surtout aux femmes et traduit une revendication de l’autonomie féminine (D. Dessertine). Les femmes peuvent notamment quitter leur mari violent avec leurs enfants, les deux époux ayant l’obligation de contribuer à leur éducation. Les trois quarts des 6000 demandes de divorce à Paris entre janvier 1793 et juin 1795 viennent de l’épouse. À Lyon 27% suivent la demande du mari,  51% celle de l’épouse. 71% des divorces de Rouen, 80% à Rennes, 63% à Montpellier et 66% à Saint-Étienne sont demandés par les femmes. Ce sont surtout les femmes les plus aisées qui divorcent, ou celles qui exercent une profession indépendante. Les demandes d’épouses sont les plus nombreuses pour toutes les catégories de divorces, sauf pour les motifs de démence ou de dérèglement notoire.

Le divorce par consentement mutuel, alors qu’il devait être la voie royale du divorce, pèse relativement peu : sur la période 1792 – 1795, il représente 9 % des divorces à Paris, 12 % à Lyon, 4 % à Rennes. À Paris, 33% des divorces sont demandés pour absence de plus de 6 mois, 13% de plus de 5 ans, 15% pour incompatibilité d’humeur. À Lyon, l’abandon et l’absence pèsent pour 66%, l’incompatibilité d’humeur pour 14%.

Le divorce met à jour en droit des situations de fait. Il permet de mettre fin à des mariages indissolubles sous l’Ancien Régime, mais qui ne vivaient plus. Sous la Convention, 60% des divorcés ont plus de dix ans de mariage et 40% plus de quinze ans, et les deux tiers sont séparés de fait depuis plus de deux ans au moins. La part importante des mariages pour abandon et pour absence pourrait s’expliquer par le phénomène des femmes abandonnées dans les grandes villes. L’incompatibilité d’humeur révèle, elle, pudiquement, les violences conjugales.

 

Le durcissement des conditions de divorce


Le passage au Directoire (26 octobre 1795 – 9 novembre 1799) signale la fin de la période très libérale du droit au divorce, critiqué par une partie de l’opinion (Suzanne Necker publie ses Réflexions sur le divorce en 1794 ). Dès le 8 février 1795, avant le Directoire, on supprime la possibilité de divorce après séparation de fait de six mois, puis on supprime les tribunaux de famille le 28 février 1796 et on rallonge le délai de divorce pour incompatibilité d’humeur de six mois à un an le 17 septembre 1797. Le nombre de divorces diminue. 

L’avènement de l’Empire de Napoléon (1804 – 1815) ne met pas fin au divorce. En effet, selon Portalis (1746 – 1807), le maintien du divorce s’expliquait par la liberté de culte, toutes les religions ne le refusant pas :

[le] véritable motif qui oblige les lois civiles d’admettre le divorce, c’est la liberté des cultes. Il est des cultes qui autorisent le divorce ; il en est qui le prohibent : la loi doit donc le permettre, afin que ceux dont la croyance l’autorise puissent en user

cité par Sylvain Bloquet

L’accès au divorce est néanmoins limité. Le Code civil, promulgué le 21 mars 1804, supprime le divorce pour incompatibilité d’humeur. Il conserve néanmoins le consentement mutuel, mais il en durcit les conditions pour rendre son accès très difficile. Il conserve trois autres motifs :

  • l’adultère, qui n’était pas présent sous la République, et qui est bien plus lourd pour la femme que pour le mari ; 
  • les injures et sévices graves ;
  • la condamnation à une peine infamante.

Il réintroduit au reste la séparation de corps et limite les possibilité de remariage. À Lyon, on ne compte plus que sept divorces chaque année sous l’Empire, alors qu’il y en avait encore 88 sous l’an IV (23 septembre 1795 – 21 septembre 1796).

 

Suppression du divorce sous la Restauration


La Restauration, le retour de la royauté en France après la chute définitive de Napoléon en 1815, marque le retour de la légitimité religieuse. Elle interdit le divorce par la loi « Bonald » du 8 mai 1816, pour lui substituer la séparation de corps.

Il faut attendre la loi « Naquet » du 27 juillet 1884, adoptée sous la IIIe République (1870 – 1940), pour voir sa réintroduction, mais pour faute uniquement. Le régime de Vichy (1940 – 1944) interdit par la loi du 2 avril 1941 le divorce aux époux mariés depuis moins de 3 ans (supprimée à la Libération).

La loi du 11 juillet 1975, adoptée sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing (1974 – 1981), rétablit le consentement mutuel.

 

À lire

Sylvain Bloquet, Le Mariage, un « contrat perpétuel par sa destination » (Portalis), Napoleonica. La Revue 2012/2 (N° 14)

Michel Biard et Pascal Dupuy, La Révolution française, Chapitre 14 – La France à l’aube du XIXe siècle

Dominique Dessertine, Combats de femmes 1789-1799, Le divorce et l’amour pendant la révolution

Dominique Godineau, Les Femmes dans la France moderne, La Révolution : citoyennes sans citoyenneté

Stéphane Minvielle, La Famille en France à l’époque moderne,Chapitre 2 – Famille et Révolution, vers des temps nouveaux ?

Roderick G. Phillips, Le divorce en France à la fin du XVIIIe siècle, Annales, Année 1979,  34-2