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Tomber dans les bras de Morphée : définition & origine (expression)

Publié le 25/08/2021
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Signification

Être ou tomber (etc.) dans les bras de Morphée signifie : s’endormir.

 

Tomber dans les bras de Morphée : origine de l’expression

Morphée est un dieu évoqué par le poète latin Ovide (Ier siècle av. J.-C.) dans ses Métamorphoses. Selon le poète, Morphée est un des mille enfants du dieu du sommeil, Somnus (Hypnos en grec). Il est « le plus habile en l’art de prendre forme humaine » (L XI, v. 634, trad. Olivier Sers pour Les Belles Lettres). Il ajoute :

Nul mieux que lui n’emprunte avec astuce 
La démarche, les traits, le timbre de la voix,
L’habit, jusqu’aux propos familiers d’un modèle, 
Mais humain seulement. 

En effet, son nom signifie en grec « qui reproduit les formes », dérivé de morphe, « forme ». Il apparaît dans le rêve d’Alcyone, sous les traits de son mari Céyx, et lui annonce la nouvelle du naufrage de ce dernier. On peut déduire de là que Morphée s’incarne dans nos rêves, où il fait passer des messages. C’est d’ailleurs l’idée que retient une interprétation contemporaine de cette figure : dans la série de films Matrix, Morpheus, un des personnages principaux, s’introduit dans l’esprit du héros, Neo, pour lui révéler que le monde dans lequel il vit est faux.

Cependant, il n’est pas question de « bras » dans le récit d’Ovide, et cette image de l’« abandon » de soi dans les bras d’un dieu, qui symbolise le sommeil, est peut-être une invention des modernes. Par ailleurs, Morphée semble être parfois considéré comme le dieu du Sommeil, au détriment de son père. Ainsi chez La Fontaine (1621 – 1695) : 

Deux vrais Amis vivaient au Monomotapa ;
L’un ne possédait rien qui n’appartînt à l’autre.
Les amis de ce pays-là
Une nuit que chacun s’occupait au sommeil,
Et mettait à profit l’absence du soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les Valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.

Les Deux Amis

Les premières occurrences de cette expression apparaissent à la fin du XVIIe siècle. Exemples :

… & voyant tant par les yeux de mes pages que par leur injuste & insolente allegresse, qu’ils avaient besoin de repos, je leur commanday de s’aller jetter sur un lit, & en ayant aussi besoin qu’eux (comme dans nos disgraces nous n’avons point de meilleurs amis que le vin & le sommeil) je me jettay sur un autre entre les bras de Morphée, qui me receut si gracieusement, qu’ayant déja le vin dans le cerveau, & dans le cœur la tristesse, toutes drogues assoupissantes, il ne fallut point me bercer pour m’endormir […]

Les Avantures de Monsiur d’Assoucy, 1678

Cette expression existe au XVIIIe siècle, mais reste rare, en raison peut-être de sa sophistication. On la retrouve notamment chez Sade (1740 – 1814) : 

Les orgies furent consacrées aux punitions, il y avait cette semaine-là sept délinquantes Zelmire, Colombe, Hébé, Adonis, Adélaïde, Sophie et Narcisse, la tendre Adélaïde ne fut pas ménagée, Zelmire et Sophie remportèrent aussi quelques marques des traitements qu’elles avaient éprouvés et sans plus de détail puisque les circonstances ne nous les permettent pas encore, chacun fut se coucher et prendre dans les bras de Morphée les forces nécessaires à se sacrifier de nouveaux à Vénus.

Les Cent Vingt Journées de Sodome (1785)

Au XIXe siècle, Chateaubriand (1768 – 1848), dans ses Mémoires d’outre-tombe, relève d’ailleurs la sophistication de l’expression :

Les lettres de Lucien deviennent plus vraies, plus éloquentes à mesure qu’il devient plus passionné ; on y voit bien toujours l’ambition des ornements, le besoin de se mettre en attitude, il ne peut s’endormir sans se jeter dans les bras de Morphée.

Au même moment, la morphine est découverte, et est bien sûr baptisée d’après le nom du dieu. 

L’utilisation de cette expression est croissante. Sur Gallica, les mots-clés « bras de Morphée » renvoient 630 résultats pour le XIXe siècle, 839 pour le XXe. Google N-gram revèle une éventuelle explosion de l’emploi de cette expression depuis le début du XXe siècle, peut-être par mode. 

Cette expression existe en anglais : in the arms of morpheus. Elle semble plus rare.

À lire ici : pourquoi parle-t-on de la « boîte de Pandore » ?

 

Exemples

  • J’avais commencé ma journée dès potron-minet, et je n’avais pas arrête par la suite, si bien qu’arrivé à la maison, éreinté par l’effort, je me suis jeté dans les bras de Morphée juste après dîner.
  • Après cette longue balade d’hiver, à souffrir une pluie glaçante et un vent paralysant, elle tomba dans les bras de Morphée sur son vieux siège, devant le feu.
  • « Mais voyant monsieur le chevalier si parfaitement heureux aux bras de Morphée, comme disait mon maître le régent, j’eus la patience d’attendre le réveil de monsieur, dans l’espoir que monsieur donnerait à manger à son fidèle écuyer. » (Zévaco, Le Capitan)