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Hypallage : définition simple et exemples (figure de style)

Publié le 08/10/2017
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Définition

Une hypallage est une figure de style par laquelle on associe un terme d’une phrase (par exemple : « endeuillé ») à un terme différent de celui qui aurait convenu selon le sens (« endeuillée » associé à « maison » à la place de « famille » dans l’exemple : « La famille se trouvait dans la maison endeuillée »). On associe des termes qui paraissent a priori hétérogènes mais dont le lien est finalement logique. En d’autres termes, l’hypallage est comme l’échange d’un mot entre deux autres motsIl concerne surtout les adjectifs. Exemple : « Et maintenant il revoyait la chambre veuve. » (Villiers de L’Isle-Adam, Contes cruels, Vera). Le héros du conte de Villiers de L’Isle-Adam associe chaque objet de son intimité au souvenir de la mort de sa femme. Comprendre une hypallage exige souvent d’en connaître le contexte.

Autre exemple :  « À ce moment même, dans l’hôtel du prince de Guermantes, ce bruit de pas de mes parents reconduisant M.Swann, ce tintement rebondissant, ferrugineux, interminable, criard et frais de la petite sonnette […] » (Proust, Le Temps retrouvé).Proust n’associe pas la matière ferrugineuse à son objet, la petite sonnette, mais au tintement.

À lire en cliquant ici : la liste de toutes les figures de style essentielles de la langue française.

L’effet de l’hypallage

L’hypallage est une figure qui permet à l’écrivain de jouer avec le langage, de faire des expériences littéraires, en associant des termes qui paraissent a priori hétérogènes. Par là, l’hypallage perturbe notre perception habituelle du monde, elle réveille d’une lecture mécanique nous proposant des descriptions inattendues et étranges. L’hypallage permet de construire des personnifications

Hypallage in praesentia et hypallage in absentia

L’hypallage in praesentia comporte les « trois termes » d’une hypallage : 

  1. le mot déplacé ;
  2. le mot auquel le mot déplacé aurait dû se rattacher ;
  3. le mot auquel le mot déplacé se rattache effectivement.

Exemple d’hypallage in praesentia « Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire. » (Lamartine, L’Automne). Ce n’est pas à « sentier » qu’aurait dû se rattacher « solitaire », mais à « je suis ». Solitaire est le mot déplacé (1), « je suis » est la locution auquel « solitaire » aurait dû se rattacher (2), et « sentier » est le mot auquel le mot déplacé se rattache effectivement (3). Les trois termes de l’hypallage sont présents dans l’énoncé. 

Exemple d’hypallage in absentia : « Ô mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour / Et la blessure est encore vibrante » (Verlaine, Sagesse). Dans ces vers de Verlaine, il y a hypallage car les mots « blessure » et « vibrante » sont associés. Mais il faut deviner ce qui est effectivement vibrant. En effet, le mot auquel vibrant aurait dû se rattacher est absent, car Verlaine joue sur l’implicite. On supposera alors que Verlaine fait référence à une flèche, celle de l’amour divin qui l’a frappé. 

Étymologie d’hypallage

Hypallage est emprunté au grec hupallage, « échange ». 

Exemples d’hypallages

Des hypallages sont entrées dans le langage courant :

  • « Son discours menace d’être long » : l’orateur menace d’être long, pas le discours.
  • « De guerre lasse » : ce sont ceux qui font la guerre qui sont las, pas la guerre.

Ils allaient obscurs dans la nuit solitaire, dans l’ombre.

Virgile, Enéide, VI, 268

Il y a deux hypallages dans cet exemple : « ils allaient obscurs » et « nuit solitaire ». 

Avec grand bruit et grand fracas
Un Torrent tombait des montagnes :
Tout fuyait devant lui ; l’horreur suivait ses pas ,
Il faisait trembler les campagnes.
Nul voyageur n’osait passer
Une barrière si puissante :
Un seul vit des voleurs, et se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n’était que menace, et bruit, sans profondeur ;

La Fontaine, Fables, Le Torrent et la Rivière

Le mot « profondeur » est ici associé à deux termes, « menace » et « bruit ». 

Je ne puis estimer ces dangeureux auteurs
Qui de l’honneur, en vers, infâmes déserteurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable

Boileau, Art poétique

Ce n’est pas le papier qui est coupable, mais bien les auteurs. 

Sa gerbe n’était point avare ni haineuse.

Hugo, La légende des siècles, Booz endormi

Ce marchand accoudé sur son comptoir avide

Hugo, Les Chants du crépuscule, À Canaris

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants

Baudelaire, Fleurs du mal, Avec ses vêtements ondoyants et nacrés

J’aspire, volupté divine !
Hymne profond, délicieux !
Tous les sanglots de ta poitrine,

Baudelaire, Fleurs du mal, Madrigale triste

Et un vol noir de corbeaux s’envola avec des croassements

Zola, La Débâcle

Mordant au citron d’or de l’idéal amer.

Mallarmé, Le Guignon

Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliersblessés, un pied près de mon coeur !

Rimbaud, Ma Bohème

L’oeuvre de Rimbaud est émaillée de nombreuses hypallages souvent sarcastiques, comme dans l’exemple ci-dessus (dans lequel il reprend des images éculées sur l’amour) ou dans l’exemple suivant. 

Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

[…]
Le notaire pend à ses breloques à chiffres

À la musique

Ce ne sont pas les bêtises qui sont jalouses, mais les bourgeois qui sont bêtes et jaloux. Les breloques à chiffres pendent sur les notaires, et pas le contraire. 

Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornementales dans les ombres vierges

Illuminations, Fairy

Hypallage par ellipse, on devrait parler de plantes ornementales et et de l’ombre de la forêt vierge. 

Ô cette chaude matinée de février. Le Sud inopportun vint relever nos souvenirs d’indigents absurdes, notre jeune misère.

[…]

La ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous suivait très loin dans les chemins.

Illuminations, Ouvriers

Un cheval détale sur le turf suburbain, et le long des cultures et des boisements, percé par la peste carbonique.

Illuminations, Jeunesse

Dans ce dernier exemple, le cheval est percé par la « peste carbonique » (la pollution des usines), alors que la réalité voudrait le contraire. 

Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l’ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s’en vont, amenant leurs dogues à l’attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !

Les Douaniers

On trouvera un article complet sur les hypallages chez Rimbaud à cette adresse

Blasé dis-je ! En avant,
Déchirer la nuit gluante des racines,

Laforgue, Complaintes, Complainte du foetus de poète

Le long du vif ruisseau sableux je cueillerai
La menthe, dont l’odeurs’écrase sous les doigts.

Francis Jammes, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir, La jeune fille nue

Ce n’est pas l’odeur qui s’écrase sous les doigts, mais la menthe, bien sûr. 

L’odeur neuve de ma robe d’uniforme, les dimanches matins […]

Larbaud, Enfantines

Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !

Valéry, Charmes, Le Cimetière marin

Larguez les continents. Hissez les horizons.

Ducharme, L’Avalée des avalés

Cette dernière hypallage est in abstentia : il faut deviner que sont les amarres qui doivent être larguées, et la voile qui doit être hissée.