À une passante | Poème de Charles Baudelaire
La rue assourdissante autour de
moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil,
douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main
fastueuse
Soulevant, balançant le feston et
l’ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de
statue.
Moi, je buvais, crispé comme un
extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe
l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir
qui tue.
Un éclair… puis la nuit ! –
Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement
renaître,
Ne te verrai-je plus que dans
l’éternité ?
Ailleurs, bien loin d’ici !
trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais
où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le
savais !
Les fleurs du mal, 1857
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