In memoriam | Poème de Léopold Sédar Senghor
C’est dimanche
j’ai peur de la foule de mes
semblables au visage de pierre
De ma tour de verre qu’habitent les
migraines, les Ancêtres impatients.
je contemple toits et collines dans
la brume.
Dans la paix – les cheminées sont
graves et nues.
À leurs pieds dorment mes morts, tous
mes rêves faits poussières.
Tous mes rêves, le sang gratuit
répandu le long des rues mêlé au sang des
boucheries
Et maintenant, de cet observatoire
comme de banlieue,
Je contemple mes rêves distraits le
long des rues, couchés au pied des collines.
Comme les conducteurs de ma race sur
les rives de la Gambie et du Saloum.
De la Seine maintenant, au pied des
collines
Laissez-moi penser à mes
morts !
C’était hier la Toussaint,
l’anniversaire solennel du soleil.
Et nul souvenir dans aucun
cimetière.
Ô Morts, qui avez toujours refusé de
mourir, qui avez su résister à la mort.
Jusqu’en Sine Jusqu’en Seine, et dans
mes veines fragiles, mon sang irréductible.
Protégez mes rêves comme vous avez
faits vos fils, les migrateurs aux jambes minces.
Ô morts ! défendez les toits de
Paris dans la brume dominicale.
Les toits qui protègent les
morts.
Que de ma tour dangereusement sûre,
je descende dans la rue.
Avec mes frères aux yeux
bleus.
Aux mains dures.
Chants d’ombre, 1945
Commentaire composé sur le poème c’est dimanche