Prophétie | Poème d’Aimé Césaire
Voir ici une anthologie de la poésie française
Là
où l’aventure garde les yeux
clairs
là où les femmes rayonnent de
langage
là où la mort est belle dans la main
comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa
propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des
chenilles
là où la merveille agile fait flèche
et feu de tout bois
là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux
là où les abeilles des étoiles
piquent le ciel d’une ruche
plus ardente que la
nuit
là où le bruit de mes talons remplit
l’espace et lève
à rebours la face du
temps
là où l’arc-en-ciel de ma parole est
chargé d’unir demain
d’avoir injurié mes maîtres mordu
les soldats du sultan
d’avoir gémi dans le
désert
d’avoir crié vers mes
gardiens
d’avoir supplié les chacals et les
hyènes pasteurs de caravanes
je regarde
la fumée se précipite en cheval
sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la
lave
de sa fragile queue de paon puis se
déchirant
la chemise s’ouvre d’un coup la
poitrine et
je la regarde en îles britanniques en
îlots
en rochers déchiquetés se
fondre
peu à peu dans la mer lucide de
l’air
où baignent
prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.
Les armes miraculeuses, 1946
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