Définition
« Alea jacta est » signifie :
- Le sort en est jeté ;
- Les dés sont jetés ;
- La décision prise est irrévocable, on ne peut plus reculer, nous sommes à un point de non-retour, le danger doit être affronté.
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Alea jacta est : origine de l’expression
Le contexte est le même que pour l’expression « franchir le Rubicon » (à lire ici). César (100 – 44 av. J.-C.), au sommet de sa gloire après sa victoire dans la guerre des Gaules (58 – 50 av. J.-C.), est en conflit avec une partie des élites de Rome, les optimates, qui votent un décret (senatus consultum ultimum) le le 7 janvier 49 qui le déclare « ennemi public ». Les optimates s’efforcent rallier un rival de César à leur cause, Pompée (106 – 48 av. J.-C.). Alors qu’il stationne près de Ravenne, en Gaule cisalpine, César aurait hésité à franchir le Rubicon, fleuve qui marque la frontière avec l’Italie. Le franchissement est interdit aux armées. Il signifierait l’entrée en guerre civile. Un signe le divin aurait convaincu César d’entrer en conflit avec les optimates. C’est après un discours à ses soldats pour leur expliquer ses intentions qu’il aurait prononcé la célèbre formule « alea jacta est ». Il franchit le Rubicon avec une légion le 11 ou 12 janvier 49 av. J.-C.
La décision de César se révèle finalement judicieuse puisqu’il sort vainqueur du conflit en 45, et prend le contrôle de la République, avant d’être assassiné en 44. La légende de la prise de décision de César est rapportée par des auteurs très postérieurs, l’historien romain Suétone (70 – 122) qui écrit en latin, et les historiens grecs Plutarque (46 – 125) et Appien (IIe siècle ap. J.-C.). Dans sa biographie de César (Vie de César, 32, 33), Suétone raconte le prodige qui aurait convaincu le dirigeant romain à entrer en guerre :
Il hésitait ; un prodige le détermina. Un homme d’une taille et d’une beauté remarquables apparut tout à coup, assis à peu de distance et jouant du chalumeau. Des bergers et de très nombreux soldats des postes voisins, parmi lesquels il y avait des trompettes, accoururent pour l’entendre. Il saisit l’instrument d’un de ces derniers, s’élança vers le fleuve, et, tirant d’énergiques accents de cette trompette guerrière, il se dirigea vers l’autre rive. « Allons, dit alors César, allons où nous appellent les signes des dieux et l’injustice de nos ennemis : le sort en est jeté ! «
En latin, la phrase de Suétone donne : « Tunc Caesar: ‘eatur,’ inquit, ‘quo deorum ostenta et inimicorum iniquitas vocat. Iacta alea est,’ inquit. » (Thelatinlibrary). Les termes « alea » (le jeu de dés, le jeu de hasard) et « iacta » (jacta) sont ici dans un ordre inversé à celui que l’on connaît aujourd’hui : iacta alea est. Le « i » antique a été remplacé à partir du Moyen Âge par un « j ». Plutarque raconte quant à lui dans ses Vies (32) :
Arrivé sur le bord de la rivière qui sépare la Gaule cisalpine du reste de l’Italie, il suspendit sa course, frappé tout à coup des réflexions que lui inspirait l’approche du danger, et tout troublé de la grandeur et de l’audace de son entreprise : fixé longtemps à la même place, il pesa, dans un profond silence, les différentes résolutions qui s’offraient à son esprit, balança tour à tour les partis contraires, et changea plusieurs fois d’avis. Il conféra longtemps avec ceux de ses amis qui l’accompagnaient, et parmi lesquels était Asinius Pollion. Il se représenta tous les maux dont le passage du Rubicon allait être le premier signal, et le jugement qu’on porterait de cette action dans la postérité. Enfin la passion l’emporta. Il repousse les conseils de la raison ; il se précipite aveuglément dans l’avenir, et prononce le mot qui est le prélude ordinaire des entreprises difficiles et hasardeuses : « Le dé en est jeté ! » Il traverse aussitôt la rivière, et fait une telle diligence, qu’il arrive à Ariminum avant le jour, et s’empare de la ville. La nuit qui précéda le passage du Rubicon, il eut, dit-on, un songe sinistre : il lui sembla qu’il avait avec sa mère un commerce incestueux.
Mais Plutarque écrit en grec. « Le dé en est jeté ! » dans le texte ci-dessus traduit le grec ancien « ἀνερρίφθω κύβος » (anerriphtho kybos, kybos correspond au dé ou au jeu de hasard) forme à l’impératif parfait passif qui se traduirait plutôt par « que le dé soit jeté ! ». Plus loin, dans sa biographie de Pompée, Plutarque affirme que César a prononcé cette phrase en grec :
Arrivé sur les bords du Rubicon, qui faisait la limite de son gouvernement, il s’arrêta en silence, réfléchissant en lui-même sur la grandeur et la témérité de son entreprise, et différa quelque temps de passer le fleuve. Puis après, comme ceux qui d’un lieu escarpé se précipitent dans un abime profond, il fit taire le raisonnement, et, s’étourdissant sur le danger, il se contenta de dire à haute voix, en langue grecque, en s’adressant à ceux qui l’environnaient : « Le sort en est jeté ! » Et il fit passer son armée.
« Ἀνερρίφθω κύβος » serait un proverbe grec courant, ou une citation d’un texte perdu de l’auteur grec Ménandre (IVe siècle av. J.-C.), que César aurait donc apprécié. Un dialogue perdu de Ménandre, Ἀρρηφόρῳ ἢ Αὐλητρίδι (Arrephoros e auletridi), préservé par les compilations d’Athénée de Naucratis (II – IIIe siècles ap. J.-C.), met en scène un homme marié et un autre qui est sur le point de se marier (cf. David Wardle, Suetonius and the Civil Wars of the Late Republic). Le premier conseille au second de ne pas se marier, mais le second répond que « l’affaire a été décidée, que le dé soit jeté » (δεδογμένον τὸ πρᾶγμ᾽: ἀνερρίφθω κύβος).
Suétone aurait donc traduit ce proverbe grec depuis, peut-être, un récit, aujourd’hui perdu, produit par un compagnon de César, témoin de la scène selon Plutarque (cf. le passage cité ci-dessus), Asinius Pollion. Suétone en a modifié la tournure, ce qui a poussé certains à pratiquer une émendation, qui remonterait à Érasme (cf. David Wardle ou Jeffrey Beneker, bien que la citation de César ne se trouve pas dans les Adages) en iacta alea esto (que le dé soit jeté), plus conforme au proverbe grec « ἀνερρίφθω κύβος ». On trouve iacta alea esto cependant dans des éditions posthumes de la Chronique de Johannes Nauclerus (1425 – 1510).
On peut constater toutefois une différence dans les deux récits qui pourrait justifier cette différence grammaticale : chez Suétone, la phrase est prononcée alors que César a déjà commencé sa traversée du Rubicon alors chez Plutarque, elle est prononcée avant, ce qui explique l’emploi de l’impératif. Le récit de la traversée du Rubicon se trouve aussi chez l’auteur de l’historien grec Appien d’Alexandrie (Les Guerres civiles à Rome, II, 35)
Sa course le mena au bord du Rubicon, une rivière qui marque la frontière de l’Italie : alors il s’arrêta et, regardant le fleuve, se plongea dans ses réflexions, envisageant chacun des malheurs qui allaient advenir s’il traversait cette rivière en armes ; puis, se reprenant, il dit à ses compagnons : « Si je m’abstiens de traverser cette rivière, mes amis, ce sera le début des malheurs pour moi, et si je la traverse, pour l’humanité entière. » À ces mots, comme un illuminé, il la traversa vivement, après avoir ajouté cette expression courante : « le dé en est jeté. »
Appien rend la formule par « ὁ κύβος ἀνερρίφθω » (o kybos anerriphtho). Cette locution latine n’est employée en français que sous la forme « alea jacta est ». Elle se diffuse à partir du XIXe siècle (voir Gallica et Google Ngram).
Oui ! Quand même le peuple choisirait celui que ma prévoyance mal éclairée peut-être redouterait de lui voir choisir, n’importe : Alea jacta est ! Que Dieu et le peuple prononcent ! Il faut laisser quelque chose à la Providence !
Discours de M. de Lamartine sur la nomination du président de la République, 6 octobre 1848
Sa traduction la plus courante, « le sort en est jeté », est employée pour la première fois, selon Alain Rey et Sophie Chantreau (Dictionnaires d’expressions et locutions), chez Malherbe (1555 – 1628). « Le sort en est jetté ; l’entreprise en est faite ». On trouve cette formule dans Le Cid (1637) de Corneille (1606 – 1684): « Le sort en est jeté, Monsieur, n’en parlons plus. » (II, 1, Le Comte)
À lire
- Christophe Badel, César
- Yann Le Bohec, Histoire des guerres romaines
- Jean-Pierre Martin, Alain Chauvot, Mireille Cébeillac-Gervasoni, Histoire romaine
Lecture tres interessante!
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