Définition
Une allitération est une figure de style par laquelle on répète, de manière exacte ou approximative, une même consonne (un même « son », de type consonne). Cette répétition trouve son sens dans le texte dans laquelle on la trouve. On voit le plus souvent les allitérations dans la poésie ou le théâtre. Jean-Marie Viprey définit l’allitération ainsi : « une saillance significative dans la récurrence d’une consonne, à l’échelle d’une configuration textuelle donnée. »
Exemple
Un vers de Racine dans Andromaque est l’exemple le plus célèbre d’allitération dans la langue française : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » (V, 5) Ici, le son « s » (par la consonne s, ou la consonne c) est répété 5 fois et suggère le sifflement du serpent. Bref, il faut se demander : est-ce que la répétition d’une consonne permet de remarquer quelque chose ?
Autre exemple : « Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde » (Leopold Sedar Senghor, Femme noire). Ici, l’auteur répète le son « t », assimilable au bruit du tamtam.
Ma mémoire oppose sans cesse mes voyages à mes voyages, montagnes à montagnes, fleuves à fleuves, forêts à forêts, et ma vie détruit ma vie. Même chose m‘arrive à l’égard des sociétés et des hommes.
Chateaubriand, Mémoires d’outre tombe (4, II,13)
Les consonnes et l’allitération
On classe en général les consonnes comme suit :
- chuintantes : ch, j
- dentales : d, t, l
- fricatives : f, v
- gutturales : g, k
- labiales : b, p, m, f, v
- liquides : l
- palatales : j, g, n
- uvulaires : r
- vélaires : k, g, w
On donne souvent à ces consonnes une signification en elle-même : ainsi, k ou d évoqueraient systématiquement la dureté, le s serait associé à des éléments plus doux.
Les fonctions de l’allitération
L’allitération est un procédé rhétorique qui peut avoir différents objectifs :
- Imiter le son de ce dont
on parle (on parle parfois d’harmonie
imitative) :
- Ainsi, lorsque Racine écrit : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? », en jouant sur la consonne « s », il cherche à donner l’impression qu’un serpent siffle effectivement.
- Lorsque Senghor écrit : « Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde », en jouant sur le son « t », il cherche à reproduire le son du tamtam
- Elle peut avoir pour but de
donner plus de force à une pensée :
- Quand Chateaubriand écrit : « Ma mémoire oppose sans cesse mes voyages à mes voyages, montagnes à montagnes, fleuves à fleuves, forêts à forêts, et ma vie détruit ma vie. Même chose m‘arrive à l’égard des sociétés et des hommes. », la répétition des « m » scande le thème général du récit : les Mémoires.
- Quand Voltaire écrit : « Non, il n‘est rien que Nanine n’honore » (Voltaire, Nanine, III, 8), en jouant sur la répétition du son « n », il cherche à donner un effet comique.
- En général, une allitération donne du rythme à une phrase :
- Dans le virelangue : « Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien. » , le rythme cadencé des sons « ch », « s » et « ss » en rend la prononciation difficile.
Les différentes formes d’allitération
On peut distinguer plusieurs formes d’allitérations, dont on trouve des exemples dans les proverbes et dictons populaires. Les allitérations produisent un effet mnémotechnique.
→ Il y a des allitérations dont les répétitions sont successives. Leur effet est clair et énergique :
- Qui dort, dîne.
- Qui vivra, verra.
- Chaque chose en son temps.
→ Il y a des allitérations dont les répétitions sont à distance :
- Chose promise, chose due.
- Qui vole un oeuf, vole un boeuf (multiple ici : vole/ un / oeuf | vole/ un / boeuf).
- C’est en forgeant qu’on devient forgeron.
→ Une allitération peut être successive puis à distance :
- Qui ne risque rien, n’a rien.
- Moins on pense, plus on parle (Montesquieu).
- Les sages sont souvent les dupes des sots.
→ Et elle peut être à distance puis successive :
- À l’ongle on connaît le lion. (fonctionne avec l, mais le son on respecte un schéma : successif puis disant)
- À grand cheval, grand gué.
- L’occasion fait le larron. (plus une à distance en on)
L’effet itératif, c’est-à-dire l’effet de répétition, permet d’insister sur une idée. On peut jouer ici en alternant consonne simple (le c seul) et consonnes combinées :
- Bonnet blanc ou blanc bonnet.
Les différents types d’allitération
À l’image des rimes, l’allitération peut prendre différentes configurations.
→ Les allitérations plates ou suivies sous forme a/a/b/b :
- Il faut faire chaque chose en son temps. (f/f/ch/ch)
- Quand on ne peut plus reculer, il faut savoir sauter. (p/p/s/s)
→ Les allitérations croisées a/b/a/b :
- Loin des yeux, loin du coeur. (l/d/l/d)
- Rien n’est fait, tant qu’il reste à faire. (r/f/r/f)
→ Les allitérations embrassées a/b/b/a :
- Les défauts des sots mettent les sages en défaut. (d/d/s/s/d)
- La ronce ne porte pas de raisin. (r/p/p/r)
→ Une allitération peut même être triplement embrassée :
- Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. (m/p/v/v/p/m)
→ Une allitération peut être embrassée et croisée :
- Pense deux fois avant de parler, tu en parleras deux fois mieux. (p/d/f/d/p/p/d/f)
- Qui est maître de sa soif est maître de sa santé. (m/s/s/m/s/s)
→ Une allitération peut aussi être plate et embrassée :
- Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. (p/p/ch/ch/p)
La différence entre allitération et assonance
En général, on parle d’allitération pour la répétition d’une consonne, et d’assonance pour la répétition d’une voyelle. Une assonance célèbre :
Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire.
Racine, Phèdre, I, 3
Étymologie
Le terme d’allitération est emprunté de l’anglais alliteration, lui-même emprunté du latin littera, c’est-à-dire lettre. Allitération est donc formé de ad (à) et littera (lettre).
Exemples d’allitérations
En f, exemples :
La répétition du f dans cet extrait du récit de Théramène suggère le bruit des flots : « Un effroyable cri sorti du fond des flots » (Racine, Phèdre, V, 6)
Chez Apollinaire, le f suggère le froissement des feuilles :
- Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu’on foule (Apollinaire, Automne malade)
En l, exemples
On note ici qu’en plus de l’allitération en l s’ajoute une allitération successive en gl :
- Des blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles. (Apparition, Mallarmé)
En m, exemples :
L’allitération principale est ici en m, mais on trouve aussi un allitération en n et en en ou an :
- Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m‘aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m‘aime et me comprend. Verlaine, Mon rêve familier
En p, exemples :
- C’est que Paul a des moyens pour persuader, que la Grèce n’enseigne pas, et que Rome n’a pas appris. (Bossuet, Panégyrique de saint Paul)
- La terre est le probable paradis perdu. (Federico Garcia Lorca, Mar)
En r, exemples :
La multiplication des r renforce l’idée de fracas produit par le torrent :
- Avec grand
bruit et grand
fracas
Un torrent tombait des montagnes :
Tout fuyait devant lui ; l’horreur suivait ses pas ;
Il faisait trembler les campagnes. (Jean de La Fontaine, Le torrent et la rivière)
- Sa croupe se recourbe en replis tortueux ; (Racine, Phèdre, V, 6)
L’allitération en r accompagne l’exhalaison du parfum :
- Il est de forts
parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l’Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant, (Charles Baudelaire, Le Flacon)
En s, exemples :
- De ce sacré Soleil dont je suis descendue (Racine, Phèdre, Acte)
- Il écoute chanter leurs haleines
craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu’interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Il
entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts
électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises
indolences
Sous leurs ongles royaux la
mort des petits poux.
Voilà
que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d’harmonica qui
pourrait délirer ;
L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer. (Rimbaud, Les chercheurs de
poux)
Zola joue ici sur la sensualité créée par l’allitération :
- Cependant, Clémence achevait son croupion, le suçait avec un gloussement des lèvres (L’Assommoir, Zola)
En v, exemples :
La multiplication des verbes en v renforce l’idée de mouvement :
- Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte,
Viens me venger.
[…]
Va, cours, vole, et nous venge. (Corneille, Le Cid, I, 5)
Allitérations multiples :
- Qui te rend si
hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité. (Jean de La Fontaine, Le loup et l’agneau) - Oh! quel farouche bruit font dans le
crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule (Hugo, Toute la lyre)
- Triton trottait devant, et tirait de sa conque, des sons si ravissants qu’il ravissait quiconque. (Hugo, Les Misérables, presque un virelangue)
- Le violon frémit comme un coeur qu‘on afflige,
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige. (Baudelaire, Harmonie du soir)
- Il dort dans le
soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. (Arthur Rimbaud, Le dormeur du val)
Cette double allitération chez Valéry donne un ton tragique aux vers :
- Pâle, profondément mordue,
Et la prunelle suspendue (Paul Valéry, La pythie)
Avec ces allitérations dentales en d, t et l, Mauriac veut évoquer le bruit des gouttes :
- Tandis que les gouttes de Fowler tombent dans l’eau (François Mauriac, Thérèse Desqueyroux)
L’allitération en f illustre clairement l’idée du brasier qui fume, celle en br semble plutôt se rapporter au crépitement :
- Qu’est-ce qui flambe file fume…
Ce brasier du bronze et des brumes (Aragon, Le Roman inachevé)
- Il y a des gens dont les yeux
Fondent comme des nèfles fendues qui laissent couler leurs pépins. (Paul Claudel, Tête d’or)
Dans les virelangues
- Les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches ou archisèches ?
- Cessez incessamment vos sottises insensées et ces assertions acerbes.
- Ce soir, je suis chez ce cher Serge.
- Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien.
Dans la publicité, la culture populaire, etc.
De célèbres slogans :
- Knor, j’adore !
- Il n’y a que Maille qui m’aille
Des noms de personnages de dessins animés :
- Bugs Bunny
- Donald Duck
- Mickey Mouse
- Minnie Mouse
Et de films, concepts, etc. :
- Baby Boom
- Coca Cola
- Peter Parker
- Peer-to-peer
- V pour Vendetta
- World Wide Web
Dans les dictons
Les éléments de cette partie ainsi que des 4 suivantes sont relevés par Henri Van Roof dans Rime et allitération dans les langues française et anglaise.
- Faites-vous miel et les mouches vous mangeront.
- Il n’y a pas de fumée sans feu.
- On ne peut vouloir la poule et les poussins.
- Qui se sent morveux se mouche.
- Selon ta bourse gouverne ta bouche.
- Un coup de langue est pis qu’un coup de lance.
Allitérations dans les locutions
- Avoir du vent dans les voiles
- Battre le beurre
- Battre la breloque
- Bouffer des briques
- Manger le morceau
- Ne pas mâcher ses mots
- Payer les pots cassés
- Promettre monts et merveilles
- Se parer des plumes du paon
Dans les exclamations, les apostrophes et les jurons
- Adieu, veau, vache, cochon, couvée ! (Jean de la Fontaine, Perrette et le pot au lait)
- Vertu de ma vie !
Dans les redoublements
Ici, la voyelle du radical change :
- Couci-couça
- Flic-flac
- Flip-flop
- Fric-frac
- Frotti-frotta
- Méli-mélo
- Mic-mac
- Prêchi– prêcha
Dans les appositions
- Beau blond
- Bleubite
- Casse-croûte
- Casse-couilles
- Coup de collier
- Mange-merde
- Mannequin à machabées
- Marchand de mort subite
- Mère maqua
- Mie de pain mécanique
- Petit pain
- Pisse-copies
- Perruque en peau de fesses
- Poudre de perlimpinpin
- Shampooing à Charles le Chauve,
- Tasse à thé
Dans la chanson française
Dans Ta Katie t’a quitté, Boby Lapointe multiplie les allitérations.
Charles Trenet s’y est aussi essayé dans Le Débit de lait.
Jacques Brel dans les vieux, joue avec le pronom qui et le verbe dit pour suggérer le tic tac de la pendule :
- Et s’ils tremblent un peu
est-ce de voir vieillir la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, quidit oui quidit non, quidit : je vous attends
Bibliographie
- Dupriez Bernard, Gradus
- Maria-Rodica Mihulecea, La variété et les effets de l’allitération dans les poèmes.
- Van Hoof Henri, Meta : journal des traducteurs / Meta: Translators’ Journal, vol. 53, n° 4, 2008, p. 899-906.
- Viprey Jean-Marie, « Pour un traitement textuel de l’allitération », Semen [En ligne], 12 | 2000, mis en ligne le 04 mai 2012, consulté le 20 janvier 2017.
J’aime beaucoup ce que vous faites. Cela est très efficace et permet de mieux comprendre le cours non compris ou compliqué. C’est bien qu’il y a plusieurs exemple. Merci
Et Gainsbourg ? La Javanaise par exemple : J’avoue, j’en ai bavé pas vous, Avant d’avoir eu vent de vous, etc..
Et celle-ci si sensuelle (à voix haute ?:
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne »
Et V pour vendetta..
Et Gainsbourg…
Amitiés
Aaaah, excellent choix Frédéric, merci pour votre commentaire !
Amitiés !