Ballade des dames du temps jadis | Poème de François Villon
Voir ici une anthologie des poèmes de la langue française
En ancien français
Dictes moy ou, n’en quel
pays
Est Flora, la belle
Rommaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine
germaine,
Écho parlant quand bruyt on
maine
Dessus riviere ou sus
estan,
Qui beaulté ot trop plus
qu’humaine.
Mais ou sont les neiges
d’antan ?
Ou est la très sage
Hellois
Pour qui chastré fut et puis
moyne
Pierre Esbaillart a Saint
Denis?
Pour son amour ot ceste
essoyne.
Semblablement, ou est la
royne
Qui commanda que Buridan
Fust geté en ung sac en
Saine ?
Mais ou sont les neiges
d’antan ?
La royne Blanche comme
lis
Qui chantoit a voix de
seraine,
Berte au grant pié, Bietris,
Alis,
Haremburgis qui tint le
Maine,
Et Jehanne la bonne
Lorraine,
Qu’Englois brulerent a
Rouan,
Ou sont ilz, Vierge
souveraine ?
Mais ou sont les neiges
d’antan ?
Envoi
Princes, n’enquerez de
sepmaine
Ou elles sont, ne de cest
an,
Qu’a ce reffrain ne vous
remaine :
Mais ou sont les neiges
d’antan ?
En français moderne
Dites-moi où, n’en quel
pays,
Est Flora, la belle Romaine
;
Archipiada, et Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine
;
Écho, parlant quand bruit on
mène
Dessus rivière ou sur
étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine
?
Mais où sont les neiges d’antan
!
Où est la très sage
Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis
moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis
?
Pour son amour eut cette
peine.
Semblablement, où est la
reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine
?
Mais où sont les neiges d’antan
!
La reine Blanche comme un
lis,
Qui chantait à voix
sirène,
Berthe au grand pied, Bietris,
Allys,
Harembourgis, qui tint le
Maine,
Et Jeanne, la bonne
Lorraine,
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen
;
Où sont-ils, Vierge souveraine ?
….
Mais où sont les neiges d’antan
!
Envoi
Prince, n’enquérez de
samine
Où elles sont, ni de cet
an,
Que ce refrain ne vous remaine
:
Mais où sont les neiges d’antan
!
Texte en français moderne extrait des Cent plus beaux poèmes de la langue française, anthologie de Jean Orizet.
François Villon est sans doute le poète médiéval français, voire européen, qui mérite le plus de susciter l’intérêt. Il nous a en effet laissé la sublime « Ballade des pendus », chef-d’oeuvre absolu n’ayant pas pris une ride, et en outre il incarne l’archétype du poète maudit. Car dans le monde orwellien et régressif où nous vivons comme au XVème siècle, un authentique poète ne peut être que subversif et politiquement incorrect. Cela se vérifie d’ailleurs plus ou moins à toutes les époques et cette leçon qu’a donné Villon, asocial et hors la loi, fait de lui le précurseur de Théophile de Viau, Baudelaire, Edgar Poe, Rimbaud, Lautréamont , Apollinaire, André Breton, Benjamin Péret ou encore Robert Desnos, parmi tant d’autres.