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Bismarck (1815 – 1898) : biographie

Publié le 09/05/2017
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Otto von Bismarck, né le 1er avril 1815, deux mois avant la bataille de Waterloo, et mort en juillet 1898, a été l’un des acteurs majeurs des plus grands événements du XIXe siècle : la révolution de 1848, l’extension de la Prusse dans les années 1860, la réunification allemande en 1871 ou encore la constitution d’un nouvel ordre européen, fondé sur l’hégémonie du nouvel État germanique. Véritable force de la nature, le chancelier de fer était loin d’être une machine humaine. Mais ce bon vivant dont l’appétit et le goût pour le vin inquiétaient ses médecins n’a jamais eu qu’une seule véritable passion : la politique. Dans ce domaine, son intelligence, sa détermination sans faille, mais aussi sa capacité d’adaptation et son pragmatisme lui ont permis de devenir le grand homme d’État que l’on connaît.

 

Bismarck, un conservateur dans une Europe fiévreuse

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Le printemps des peuples à Berlin | Wikimedia Commons | Bismarck : biographie du chancelier de fer !

 

Bismarck, un junker 

La carrière politique de Bismarck commence en 1847. Élu au Parlement prussien uni, il se place résolument dans le camp réactionnaire, dans le sillage des frères Gerlach. Protestant piétiste, appartenant à la classe des junkers, la noblesse terrienne prussienne, il a alors tout du parfait monarchiste, attaché à la souveraineté absolue du roi Frédéric-Guillaume IV. Pourtant, Bismarck se démarque déjà de la plupart des jeunes hommes de sa classe par sa vaste culture, son éloquence et son peu de goût pour la vie militaire (à laquelle, il préfère, dit-on, les beuveries). Il dévoile ses positions radicalement conservatrices lors des événements qui agitent l’Allemagne à partir du printemps 1848.

 

Le printemps des peuples, la Prusse et Bismarck

Le 13 mars 1848, une révolte en Autriche provoque la chute du vieux chancelier Metternich, l’homme qui incarnait le système de Vienne et l’ordre des États monarchiques imposé aux peuples européens. Dès lors, le nationalisme se réveille en Allemagne où des mouvements libéraux réclament l’unification de la nation et forment un pré-parlement à Francfort le 31 mars puis un Parlement national en avril.

La Prusse est très tôt agitée par ces événements, si bien que le 18 mars, la répression d’un mouvement populaire sur la place du château royal provoque la mort de 230 personnes. Frédéric-Guillaume, affligé par ce bain de sang, déclare alors que la Prusse a vocation a se fondre dans une plus grande Allemagne suscitant l’espoir des libéraux. Lors des mois suivants, ceux-ci semblent l’emporter jusqu’à la proclamation par le souverain d’une nouvelle constitution le 5 décembre qui instaure un parlementarisme limité.

Dès le départ, Bismarck se montre hostile à la révolution et se déclare prêt à mener ses paysans à Berlin pour l’écraser. Il accueille très froidement le tournant libéral de Frédéric-Guillaume malgré sa fidélité affichée à la couronne, et s’oppose à la Constitution de 1848. Le roi déclare même à son propos : « à utiliser seulement quand les baïonnettes régneront en maîtres. » À l’été 1848, Bismarck lance le Neue Preussiche Zeitung (nouveau journal prussien), un organe de presse mis au service de la contre-révolution.

 

1849 : du conservatisme au pragmatisme

1849 voit le succès de la contre-révolution. En mai, la constitution est révisée dans un sens nettement favorable aux classes privilégiées de la société prussienne. En juillet, lors des premières élections, les conservateurs emportent un tiers des sièges.

Élu, Bismarck se signale rapidement par son talent oratoire et s’oppose à l’intégration dans une Allemagne unie qui ne serait pas dominée par la Prusse. Il voit donc d’un œil favorable le refus de Frédéric-Guillaume d’accepter une couronne d’Allemagne offerte par l’assemblée de Francfort en avril. En 1850, il soutient l’établissement d’une constitution moins libérale mais il juge que la reculade d’Olmütz (29 novembre 1850), au cours de laquelle la Prusse a cédé à l’Autriche sur l’affaire de Hesse-Cassel, est une humiliation pour sa patrie. Il la défend pourtant, en déclarant que l’armée prussienne n’était pas prête à s’engager dans un conflit. C’est néanmoins un tournant personnel pour Bismarck. Abandonnant désormais tout dogmatisme idéologique, il n’aura de cesse de veiller avant tout à la défense des intérêts de la Prusse et à l’affirmation de sa puissance, plus qu’aux intérêts du parti conservateur.

 

Bismarck, homme d’État

Bismarck
Bismarck par Ludwig Knaus | Wikimedia Commons | Bismarck : biographie du chancelier de fer !

 

Bismarck diplomate

Dans les années 1850, Bismarck entame une carrière de diplomate, auprès du Bundestag de Francfort, puis de la Russie et de la France. Toujours marqué par l’humiliation de 1850, il prône une politique hostile à l’empire d’Autriche qui semble alors plus que jamais dominer l’espace germanique, en s’appuyant d’une part sur les autres états allemands, d’autre part sur les autres grandes puissances européennes. Bismarck obtient quelques succès comme ambassadeur. Il en empêche par exemple  l’Autriche d’accéder au Zollverein, l’union douanière allemande. En outre, Bismarck a l’appui du frère et héritier du souverain, Guillaume, qui a apprécié sa défense du camp conservateur en 1848 et peut légitimement se réjouir de son accession au pouvoir en 1861.

 

Bismarck, ministre-président de Prusse : le fer et le sang

En effet, un an après, en septembre 1862, il devient ministre-président de Prusse, alors que celle-ci connaît une véritable crise politique du fait de l’opposition des libéraux (majoritaires au Parlement) à la réforme de l’armée et notamment à l’allongement du service militaire à trois ans. Entré dans ses nouvelles fonctions, Bismarck est d’emblée en conflit avec le Landtag prussien, et adopte une posture agressive. Ainsi, lors d’un discours qui marque les esprits, le 30 septembre 1862, il déclare :

L’Allemagne n’admire pas le libéralisme prussien, mais sa puissance. La Bavière, le Wurtemberg, le pays de Bade peuvent bien laisser le libéralisme se développer, ils n’obtiendront pourtant pas le rôle de la Prusse. La Prusse doit rassembler sa force, faire bloc et attendre le moment favorable, qu’elle a déjà manqué plusieurs fois dans le passé. Les frontières du congrès de Vienne ne sont pas favorables à un fonctionnement sain de l’État. Ce n’est pas par les discours et les votes à la majorité que les grandes questions de notre temps seront décidées – ça a été la grande erreur de 1848 et 1849 – mais par le fer et le sang

 

Un homme politique autoritaire, sans être tyrannique

Du fait du conflit constitutionnel, Bismarck doit commencer à gouverner sans budget valable, mais le système institutionnel prussien, qui n’est que semi-parlementaire (le gouvernement n’est pas responsable devant le Parlement, celui-ci n’a pas la compétence budgétaire exclusive…), lui laisse une grande marge d’action, suffisante pour procéder à la réforme militaire. À terme, Bismarck comprend pourtant qu’il doit se concilier les libéraux. Or, ceux-ci sont généralement favorables à l’unification allemande. En outre, ils sont divisés en deux factions : des progressistes, qui insistent davantage sur le libéralisme, et des nationalistes, qui accordent la priorité à l’unification.

Le ministre-président cultive patiemment sa popularité, par la presse et son sens de la communication. En même temps, sa politique de plus en plus favorable à la constitution d’une Allemagne unie le rapproche de certains libéraux. La victoire militaire de la guerre des duchés contre le Danemark, en 1864, lui donne un immense prestige, que reconnaissent même certains responsables du parti libéral.

La politique bismarckienne du dépassement des querelles partisanes par le patriotisme commence dès lors à porter ses fruits. Il faut toutefois noter que Bismarck profite très largement du régime prussien, resté très autoritaire. Le système permet en effet au ministre de gouverner d’une main de fer, sans se soucier d’avoir en permanence une majorité au Parlement, et le protège donc de toute instabilité. Dans le même temps, Bismarck refuse de supprimer les prérogatives (limitées) de ce dernier, et cherche sincèrement à s’en rapprocher, en jouant sur la corde nationale. Dès cette époque, bien qu’il s’occupe surtout des libéraux, il s’intéresse au socialisme émergent et notamment sa branche patriote incarnée par Ferdinand Lassalle. Pour l’heure, cet intérêt ne débouche pas encore sur une politique.

 

Bismarck, artisan de l’unification allemande

Bismarck
La Proclamation de l’Empire au château de Versailles, dans la galerie des Glaces, le 18 janvier 1871, peinte par Anton von Werner. Bismarck est représenté au centre, en uniforme blanc. | Wikimedia Commons |Bismarck : biographie du chancelier de fer !

 

La bataille de Sadowa, 3 juillet 1866

Bismarck s’occupe essentiellement de politique étrangère. Le conflit est inévitable avec l’Autriche, qui a accepté à contrecoeur l’intervention militaire de 1864 mais ne paraît pas disposé à laisser la Prusse absorber l’ensemble de l’Allemagne du Nord. Le 3 juillet 1866, à la stupeur de l’Europe, l’armée autrichienne est battue par la Prusse à Sadowa. Bismarck, présent ce jour-là, avait prévu de mourir au combat en cas d’échec. À l’inverse, la victoire renforce son poids. Il choisit alors de ménager son ennemi et de ne pas marcher sur Vienne. En contrepartie, l’influence séculaire de l’Autriche en Allemagne prend fin.

 

Bismarck, chancelier de la Confédération de l’Allemagne du Nord

La Prusse s’agrandit du Schleswig-Holstein (en partie occupé en 1864), du Hanovre, du Kurhessen, du Duché de Nassau et de Francfort. Elle forme également la confédération d’Allemagne du Nord – qui n’exclut que les États du Sud (la Bavière, le Bade et le Wurtemberg notamment) – et dont Bismarck est le chancelier. Désormais, celui-ci est persuadé que seule une lutte contre la France permettra de poursuivre sur cette lancée et d’achever l’unification de l’Allemagne.

 

La guerre de 1870 contre la France

Ce conflit a finalement lieu en 1870. L’affaire complexe de la dépêche d’Ems provoque une déclaration de guerre de la France à la Prusse. Dès lors, Bismarck a beau jeu de présenter ce nouveau conflit comme une nouvelle agression française contre une Allemagne pacifique, invoquant le souvenir de Louis XIV ou de Napoléon. En réalité, tout cela est parfaitement prémédité et les armées allemandes remportent la victoire en cinq mois.

Celle-ci ne doit rien à Bismarck, dont l’intérêt pour les affaires militaires se limite essentiellement à son goût pour les uniformes. Dans l’État prussien, l’armée constitue un corps à part, directement commandé par le souverain, et menant elle-même ses opérations sans interférence politique. Helmut von Moltke, le chef de l’Etat-major, est ainsi l’une des rares personnalités prussiennes qui peuvent tenir tête à Bismarck sans la moindre crainte. L’armée impose ainsi ses choix dans le domaine stratégique, comme le long siège de Paris, et c’est elle qui réclame l’annexion de la Moselle et notamment de Metz.

 

Bismarck, un fin diplomate

En revanche, cette guerre donne l’occasion au chancelier de faire admirer ses talents diplomatiques. Après avoir isolé la France avant le conflit, il parvient en effet à éviter toute intervention étrangère durant celui-ci, alors que de nombreux États auraient pu s’inquiéter de l’émergence d’une Allemagne unie. Bismarck impose ses conditions à la France, qui sont essentiellement dictées par des motifs pragmatiques et stratégiques : annexion de l’Alsace (il s’agit pour lui d’améliorer la protection de l’Allemagne du Sud et non d’intégrer des populations germanophones), de la Moselle (essentiellement à la demande des militaires) et paiement par la France d’une forte indemnité de guerre par le traité de Francfort du 10 mai 1871. En parallèle, le chancelier négocie avec les Etats d’Allemagne du Sud afin de préparer leur intégration à un nouvel empire allemand.

 

Bismarck fondateur de l’Empire allemand

C’est chose faite en janvier 1871. Le 18 janvier 1871, l’Empire allemand est proclamé dans la galerie des Glaces à Versailles avec Guillaume Ier pour empereur. Le nouvel État est officiellement une fédération de vingt-cinq états monarchiques. En réalité, dominant la très large majorité de l’Allemagne du Nord, la Prusse est prépondérante dans cet ensemble, et l’autonomie laissée aux différents monarques n’entrave guère l’action de l’État. Dès lors, Bismarck – pragmatique mais aussi fondamentalement attaché aux traditions – s’accommode parfaitement de ce système dans lequel lui-même devient chancelier du IIe Reich.

Son génie se révèle pleinement au cours de ces années. Il tient à sa capacité d’adaptation et surtout à ses dons politiques exceptionnels, plus qu’à ses talents de visionnaire. Contrairement à Napoléon III, dont les intuitions parfois impressionnantes débouchaient souvent sur des entreprises trop aventureuses ou brouillonnes, Bismarck est un esprit pratique qui n’a rien de révolutionnaire mais tient à maîtriser en permanence la situation. Le système européen qu’il prépare repose sur des fondements traditionnels, à savoir les États monarchiques. Toute l’habileté de Bismarck sera de faire de l’Allemagne la maîtresse de ce système, par une politique généralement prudente.

 

La politique extérieure de l’Allemagne de Bismarck

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Le congrès de Berlin, Anton von Werner | Wikimedia Commons | Bismarck : biographie du chancelier de fer !

 

L’entente des trois empereurs

Dès après l’unité, Bismarck décide en effet de se concilier les autres monarques européens. Se refusant à l’aventure coloniale et acceptant la domination navale du Royaume-Uni, il rassure cette dernière qui est encore la première puissance mondiale. En même temps, il peut facilement se rapprocher de la Russie – dirigée par le très prussophile Alexandre II – et de l’Autriche-Hongrie (une double monarchie depuis 1867) qu’il avait intelligemment ménagé après Sadowa. En 1872, cette politique débouche sur l’entente des trois empereurs.

Grâce à l’habileté de Bismarck, ce système durera jusqu’à sa retraite en 1890, mais on peut lui reprocher d’avoir constituer un système d’alliance fondamentalement contradictoire, les intérêts des Autrichiens et des Russes s’opposant inévitablement dans les Balkans. Dès 1878, suite à la guerre russo-ottomane, Bismarck doit arbitrer un conflit entre ses deux alliés lors de la conférence de Berlin. Il conforte le prestige du nouvel État allemand, devenu la principale puissance continentale, mais mécontente les Russes. L’alliance des trois empires sera toutefois renouvelée deux fois en 1882 et 1887 (avec, en outre, un rapprochement avec l’Italie), mais avec des liens de plus en plus distendus entre l’Autriche-Hongrie et la Russie.

 

L’isolement de la France

Pourtant, l’un des acquis incontestables de cette politique est l’isolement de la France, République au milieu des grandes monarchies européennes, qui est contrainte de se tourner vers les conquêtes coloniales. Persuadé que le colonialisme l’éloignera de toute volonté de revanche, Bismarck appuie les entreprises françaises en ce sens.

 

Bismarck et les colonies

Malgré ses réticences dans ce domaine il cède un temps au parti colonial en soutenant la création de l’Afrique allemande du sud-ouest (Namibie), du Togo et du Cameroun allemand en 1884, puis le début de la colonisation de l’Afrique orientale (la Tanzanie actuelle) en 1885. Toutefois, le chancelier se désintéresse rapidement de ces expéditions, même s’il accueille en 1884 et 1885 la conférence de Berlin qui procède au partage de l’Afrique entre puissances européennes.

 

Une politique commerciale protectionniste

Sa politique économique et commerciale se distingue des préconisations des libéraux à partir de la fin des années 1870 en soutenant une stratégie clairement protectionniste et favorable à l’industrie allemande qui connaît alors un véritable essor.

 

Une politique intérieure fragile

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Entre Berlin et Rome, caricature parue dans Kladderadatsch, 1875 | Wikimedia Commons |Bismarck : biographie du chancelier de fer !

 

Premier échec de Bismarck : le Kulturkampf

En Allemagne même, Bismarck mène une politique active en vue de parfaire l’unité du pays. Hostile à l’influence de l’Église catholique (Bismarck n’était pas plus favorable à l’intervention politique de l’Eglise évangélique et lui-même, de tradition piétiste, avait une religiosité assez détachée de l’institution. Toutefois, il considérait qu’elle était un élément central de l’identité allemande, davantage que l’Eglise de Rome, et surtout que sa soumission à l’Etat ne la rendait guère menaçante), il s’allie aux libéraux anticléricaux et lance le Kulturkampf en 1871. Parmi les mesures, on peut citer l’interdiction stricte aux prêtres catholiques d’exprimer des opinions politiques dans le cadre de leur fonction, le passage sous la tutelle de l’État des établissements catholiques, ou encore l’interdiction aux jésuites d’enseigner.

Mais Bismarck a commis des erreurs de calcul en sous-estimant l’attachement très forts des catholiques allemands à leur église (en leur sein, l’anticléricalisme est très faible, contrairement à la France). La Bavière – très majoritairement catholique – use de son autonomie pour ne pas appliquer les mesures du Kulturkampf. Dans les pays rhénans, le Bade ou le Wurtemberg, les évêques résistent généralement à ce mouvement, appuyé par leurs ouailles.

 

L’émergence du Zentrum

En 1870, déjà, un parti catholique, le Zentrum, avait été créé sous la direction de Karl von Savigny. L’un de ses fondateurs, la figure de Ludwig Windthorst émerge rapidement et il devient l’un des opposants les plus acharnés à Bismarck dans les années 1870. Le parti obtient de bons résultats électoraux et mobilise largement le suffrage des catholiques allemands, si bien qu’en 1878, Bismarck doit en réalité s’appuyer sur le nouveau pape Léon XIII pour modérer leur opposition à sa politique confessionnelle en échange d’une inflexion de sa politique. Après cet épisode, le chancelier se détourne de la lutte contre les catholiques pour s’opposer à un adversaire plus redoutable, les socialistes. Il s’abandonne le Kulturkampf, qui s’est révélé l’un de ses échecs majeurs.

 

Bismarck en lutte contre le socialisme

La lutte contre le socialisme occupe la dernière décennie au pouvoir de Bismarck. Elle lui donne l’occasion de tenter une alliance entre les autres forces politiques, les protectionnistes, les libéraux voire les catholiques (dont l’appui est bien plus réservé) contre un mouvement qu’il perçoit comme hostile à la monarchie. Bismarck n’a jamais été insensible à la question ouvrière et il a longtemps caressé l’idée de la rallier à des positions conservatrices, en s’opposant notamment aux politiques prônées par les libéraux. Mais le socialisme qui émerge à partir de 1875 avec la fusion de ses branches marxiste et lassallienne, est trop nettement révolutionnaire pour ne pas inquiéter le chancelier. Bismarck mène une politique habile pour lutter contre cet adversaire mais il connaîtra là encore un échec relatif.

Il fait voter une loi antisocialiste en 1878, qui sera ensuite prorogée quatre fois jusqu’en 1890. En parallèle, il crée toutefois un système de sécurité sociale très avancé pour son temps par ses lois de 1883 sur l’assurance-accident du travail, de 1884 sur l’assurance-maladie et de 1889 sur l’assurance-vieillesse. Bien qu’il n’ait pu aller aussi loin qu’il l’avait prévu (en créant un système totalement étatique), il s’agit d’un progrès majeur qui fait du Deuxième Reich l’un des États les plus modernes du monde en matière sociale.

Malgré cela, le socialisme ne faiblit pas et le SPD améliore même régulièrement ses résultats au cours des années 1880, poussant Bismarck à une politique de plus en plus répressive au point qu’il se serait préparé à un coup de force majeur en 1889 suite à une grève de mineurs. Cet échec doit être nuancé car, par sa législation sociale, son intérêt pour les classes populaires et son rôle dans l’exaltation du nationalisme allemand, Bismarck a sans doute crée les conditions du ralliement final des socialistes allemands à la défense de la patrie en 1914.

 

L’été indien du chancelier de fer

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Bismarck et ses chiens | Wikimedia Commons

Une politique de plus en plus contestée

En 1890, Bismarck ne semble plus avoir le même succès que précédemment. Le chancelier de fer paraît faiblir et connaît des problèmes de santé largement dus à son appétit gargantuesque. En Allemagne même, il est critiqué. Son système d’alliance européen devient de plus en plus difficile à maintenir. Les milieux coloniaux lui reprochent de laisser d’autres puissances prendre une avance décisive dans la course aux possessions d’outre-mer et de ne pas faire de l’empire une puissance navale digne de ce nom. D’un autre côté, les socialistes lui reprochent ses méthodes brutales et autoritaires, sans être satisfaits de ses réformes sociales.

 

L’avènement de Guillaume II

Surtout, la mort de Guillaume Ier en 1888, souverain qui s’était généralement effacé devant Bismarck malgré ses oppositions parfois violentes, affaiblit la position de ce dernier. Son successeur Frédéric III de Prusse est un libéral convaincu et un adversaire de taille du vieux junker mais son règne ne dure que quelques mois. Son fils accède alors au pouvoir sous le nom de Guillaume II. Rompant avec le libéralisme de son père, il affiche très vite son attachement à la tradition autoritaire prussienne, tout en cachant mal une anglophilie contrariée qui procède de sa fascination pour la mer et l’empire britannique. Le nouveau souverain n’a aucunement l’intention de céder une parcelle de son pouvoir et est sensible aux arguments du parti colonial qui souhaite une weltpolitik (politique mondiale) pour l’Allemagne, dont l’industrie rattrape puis dépasse celle du Royaume-Uni à partir des années 1890.

 

Le limogeage et mort de Bismarck

Rapidement, la relation entre Guillaume II et Bismarck se dégrade, la cordialité cédant le pas à une franche rivalité. Le 15 mars 1890, l’empereur retire son soutien à son chancelier, qui est limogé le 18 mars. L’homme qui avait dominé la seconde moitié du XIXe siècle n’est alors guère regretté. Pourtant, dès les années suivantes, le souvenir de l’épopée de l’unité allemande le rend bien plus populaire, même s’il reste en froid avec le Reichstag (parlement de l’empire), poussant Guillaume II à s’afficher avec lui, sans jamais lui faire jouer de rôle majeur. Bismarck, véritable homme politique de carrière, vit mal sa retraite et est profondément affecté par la mort de sa femme en 1894. Lorsqu’il s’éteint en juillet 1898, l’ensemble de l’Allemagne semble s’être converti à son culte.

 

Bismarck, un chancelier conservateur et pragmatique

Bismarck aura laissé l’image d’une alliance étrange d’audace et de conservatisme. Son intelligence politique, son pragmatisme et parfois son cynisme lui ont permis d’être le plus grand homme d’État de la deuxième partie du XIXe siècle, dominant plus sûrement la scène européenne que Metternich avant 1848.

Malgré son autoritarisme certain, Bismarck n’a pas cherché à trahir la constitution de 1850 – qui, il est vrai, lui donnait de larges possibilités d’action – et s’est donc attelé à négocier avec les différentes forces politiques au cours de ses années au pouvoir, jouant souvent les unes contre les autres.

 

Bismarck, un homme du XIXe siecle

Pourtant, il restait à bien des égards un homme de l’ancien monde, un monarchiste accordant la priorité aux États sur les peuples et faisant primer la force sur le droit. À ce titre, l’alliance, dans les années 1890, de la Russie avec la France républicaine représente sans doute une défaite pour le système bismarckien, bien que largement due à la politique de ses successeurs. De la même façon, l‘ordre européen établi après 1919, fondé sur l’autodétermination des peuples et la fin des empires, constitue une rupture totale avec la vision du chancelier de fer.

Celui-ci était donc à la fois un très grand homme d’État et un homme du XIXe siècle dont les conceptions n’ont pas survécu aux soubresauts de l’histoire mais qui restera surtout l’acteur de l’un des bouleversements géopolitiques majeurs de l’histoire européenne, à savoir l’unité de l’Allemagne en plein cœur du continent.

 

 

Bibliographie

  • Bismarck, Jean-Paul Bled
  • Bismarck : a life, Jonathan Stein
  • Histoire de la Prusse, Christopher Clark 
  • Histoire de la Prusse, Jean-Paul Bled
  • L’Allemagne de 1815 à 1918, François Roth
  • Histoire de l’Allemagne, Joseph Rovan
  • Les relations internationales de 1871 à 1914, Pierre Milza

 

 

Bonus : enregistrement de Bismarck chantant (dont La Marseillaise) !