Jacques Bainville (1879 – 1936) semble revenir de l’oubli dans lequel il était tombé. Le Figaro lui a récemment consacré plusieurs articles élogieux (ici et là). De grandes maisons d’éditions ont réédité ses oeuvres les plus célèbres : Les conséquences politiques de la paix (1920), son Histoire de France (1924), Napoléon (1931), ainsi qu’une compilation de plusieurs autres œuvres, La Monarchie des lettres, établie par Christophe Dickès.
Ce retour en grâce suscite bien sûr des critiques. En effet, Jacques Bainville est une figure de proue de l’Action française, mouvement nationaliste, monarchiste mais aussi antisémite, antiprotestant et antimaçonnique, porté par Charles Maurras (1868 – 1952) jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Il est vrai, Bainville comme historien ne fait pas œuvre de scientifique, mais raconte une histoire (son histoire ?).
Ces citations de Jacques Bainville, sélectionnées parmi les plus célèbres, vous sont présentées pour vous permettre de vous faire votre propre avis sur ses qualités de style, ses talents de conteur, ou évaluer ses observations plus politiques et journalistiques.
Citations de Jacques Bainville tirées de son Histoire de France (1924)
1. Si les lecteurs veulent bien le lui permettre, l’auteur de ce livre commencera par une confession. Quand il était au collège, il n’aimait pas beaucoup l’histoire. Elle lui inspirait de l’ennui. Et quand le goût lui en est venu plus tard, il s’est rendu compte d’une chose : c’est qu’il répugnait à la narration des faits alignés les uns au bout des autres. On ne lui avait jamais dit, ou bien on ne lui avait dit que d’une manière convenue et insuffisante, pourquoi les peuples faisaient des guerres et des révolutions, pourquoi les hommes se battaient, se tuaient, se réconciliaient. L’histoire était un tissu de drames sans suite, une mêlée, un chaos où l’intelligence ne discernait rien.
2. Il y a probablement des centaines de siècles que l’Homme s’est répandu sur la terre. Au delà de 2.500 ans, les origines de la France se perdent dans les conjectures et dans la nuit. Une vaste période ténébreuse précède notre histoire. Déjà, sur le sol de notre pays, des migrations et des conquêtes s’étaient succédé, jusqu’au moment où les Gaëls ou Gaulois devinrent les maîtres, chassant les occupants qu’ils avaient trouvés ou se mêlant à eux. Ces occupants étaient les Ligures et les Ibères, bruns et de stature moyenne, qui constituent encore le fond de la population française. La tradition des druides enseignait qu’une partie des Gaulois était indigène, l’autre venue du Nord et d’Outre-Rhin, car le Rhin a toujours paru la limite des Gaules. Ainsi, la fusion des races a commencé dès les âges préhistoriques. Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation.
Chapitre premier, Pendant cinq cents ans la Gaule partage la vie de Rome
3. La nouvelle dynastie était elle-même bien fragile : quand Hugues mourut, il venait tout juste de faire reconnaître son titre de roi par les grands feudataires, titre qui ne lui donnait sur eux qu’une supériorité morale. Il avait même dû défendre son domaine contre ses voisins. Ces guerres de province à province et de clocher à clocher étaient une des désolations de l’anarchie féodale.
Chapitre IV, La révolution de 987 et l’avènement des Capétiens
4. On a remarqué que la plupart des autres maisons royales ou impériales de l’Europe avaient pour emblèmes des aigles, des lions, des léopards, toutes sortes d’animaux carnassiers. La maison de France avait choisi trois modestes fleurs. Saint Louis a été la pureté des lys.
Chapitre V, Pendant 340 ans, l’honorable maison capétienne règne de père en fils
5. Un très petit nombre d’hommes suffisait à ces campagnes où la prise d’un château décidait d’une province. Ne se battaient, d’ailleurs, que des chevaliers, militaires par le statut féodal et par état. Quand des levées de milices avaient lieu, elles étaient partielles, locales et pour un temps très court. Rien qui ressemblât, même de loin, à notre conscription et à notre mobilisation. Les hommes de ce temps eussent été bien surpris de savoir que ceux du vingtième siècle se croiraient libres et que, par millions, ils seraient contraints de faire la guerre pendant cinq années.
Chapitre VI, La guerre de Cent ans et les révolutions de Paris
6. Mais la vie des peuples a comme des lois fixes. Pour l’Europe, c’est de ne pas supporter une grande domination : cela s’est vu depuis la chute de l’Empire carolingien. Pour l’Allemagne, c’est d’envahir ses voisins dès qu’elle est forte : cela s’est vu toujours. Et pour la France, c’est d’avoir des frontières moins incertaines à l’Est, dans les territoires que le germanisme ne cesse de lui contester.
Histoire de France, 1924, Chapitre VIII, François Ier et Henri II
7. Il est curieux que l’histoire, au lieu d’enregistrer les résultats, se laisse impressionner, même à longue distance, par des hommes qui n’ont pris la plume, comme c’est presque toujours le cas des auteurs de mémoires, que pour se plaindre ou se vanter.
Ibid
8. En somme la Monarchie avait traité avec un parti rebelle comme avec des belligérants. Cette politique, pour réussir, supposait un apaisement général, une vaste réconciliation de famille entre les Français.
Chapitre IX, Les guerres civiles et religieuses…
9. En somme le gouvernement, par sa nouvelle politique favorable aux protestants, s’était mis dans une de ces situations fausses dont on ne sort plus que par la violence.
Ibid
10. Richelieu, appuyé sur le roi, avait exercé une véritable dictature que le peuple français avait supportée impatiemment, mais sans laquelle l’œuvre nationale eût été impossible.
Chapitre XI, Louis XIII et Richelieu
11. Cosmopolite et humanitaire, le jacobinisme, moyennant quelques précautions oratoires, devenait guerrier : il suffisait de dire qu’on ne combattrait que la tyrannie.
Histoire de France, 1924, Chapitre XVI, La Révolution…
12. Le coup d’État de brumaire, loin d’être dirigé contre la Révolution, était destiné à la sauver.
Chapitre XVII, Le Consulat et l’Empire
13. On a voulu expliquer Bonaparte par ses origines corses et italiennes. Mais, d’éducation toute française, c’était avant tout un homme du dix-huitième siècle. Il en avait les idées, les tours littéraires, celui de la déclamation et de Rousseau, celui de la maxime et de Chamfort. Dans ses monologues de Sainte-Hélène, que retrouve-t-on toujours ? L’homme qui avait eu vingt ans en 1789. Formé sous l’ancien régime, il a reconnu lui-même ce qu’il devait à ceux qui l’avaient instruit.
Ibid
14. Mais, à ces débuts de la deuxième République, un souci commençait à dominer les autres. Il ne suffisait pas d’avoir proclamé le droit de tous au suffrage. Il fallait consulter le suffrage universel, et, à mesure que l’heure approchait, c’était chez les révolutionnaires que les appréhensions étaient les plus vives. On commençait à se demander si toute la France était à l’image de Paris, si elle n’allait pas élire une majorité modérée, peut-être réactionnaire, paralyser la République, sinon la détruire. Alors ce furent les plus avancés qui réclamèrent l’ajournement des élections et la « dictature du progrès ».
Chapitre XX, La deuxième République et le second Empire
15. La Constitution qui fut adoptée par l’Assemblée disait que la République aurait un président et que ce président serait élu par le peuple. Rares furent les républicains comme Grévy qui représentèrent que le plébiscite pouvait être mortel pour la République. La gauche même l’accepta ; la doctrine républicaine enseignait alors que le régime parlementaire était d’essence conservatrice et monarchique, et que le pouvoir exécutif, pour ne pas dépendre d’une Assemblée toujours capable de restaurer la monarchie, devait s’appuyer sur le suffrage universel : ce qui prouve que les théories politiques sont changeantes comme les circonstances qui les déterminent.
Ibid
16. Avec l’affaire Dreyfus, l’antimilitarisme était apparu et il en avait été un des éléments les plus actifs. Peu à peu, les charges militaires avaient été rendues presque égales pour tous, le jeune intellectuel passait à la caserne comme le jeune paysan, et le dégoût de cette servitude avait favorisé les campagnes d’idées et de presse contre l’armée et ses chefs. Victorieux par le ministère Waldeck-Rousseau, par la Haute Cour qui jugea les nationalistes et les royalistes, tandis que le procès de Dreyfus était révisé, le parti républicain, qui avait été en 1871 celui du patriotisme ardent et même exalté, inclinait tout au moins à négliger la défense nationale, sous l’influence de son extrême gauche internationaliste.
Chapitre XXI, La troisième République
17. Le 11 janvier 1923, sans coup férir, les troupes françaises entraient à Essen. Ainsi le traité de paix n’avait rien terminé par sa propre vertu. Il exige encore de nous des efforts et notre compte avec l’Allemagne est loin d’être réglé. Les travaux continuent avec les jours et les jours des peuples sont longs.
Chapitre XXII, La guerre et la paix, les travaux et les jours
Jacques Bainville tiré des Lectures (1929, Fayard)
18. Les éléments de la doctrine hitlérienne, à l’analyse, sont pourtant pauvres. Il n’y a rien chez elle qui ne soit connu et même que des livres français n’aient fourni. Gobineau est à la source du racisme. Le ministre hitlérien de l’instruction publique a cité l’autre jour comme une bible le livre d’un professeur d’anthropologie à la Faculté de Rennes, Vacher de Lapouge. Je me rappelle très bien que ce livre, L’Aryen, son rôle social, avait paru dans les environs de l’année 1900 et que Charles Maurras avait mis le très jeune lecteur que j’étais en garde contre ces rêveries de race pure. Un autre élément du national-socialisme c’est une sorte de naturisme, d’âge d’or agricole, d’artisanat élevé sur les débris des machines. C’est même en cela et par son refus d’accepter la conception matérialiste de l’histoire que ce socialisme est anti-marxiste. Mais qu’est-ce, sinon du Rousseau et George Sand, peut-être seulement remis à la mode de Gandhi et de son rouet ?
p. 220
19. L’optimiste est la foi des révolutions.
« L’abbé Galliani »
20. Le pouvoir d’oublier, très fort chez les individus, l’est encore plus dans les sociétés humaines.
21. Les vieux se répètent et les jeunes n’ont rien à dire. L’ennui est réciproque.
Citations de Jacques Bainville tirées de Napoléon (1931)
22. Dès son entrée en campagne, il se montre tel qu’il est, un esprit supérieur qui saisit d’un coup d’œil les situations et qui les domine. Il a le génie militaire et le don de la politique. L’Italie, il la comprend dans sa diversité qui lui présentera un nouveau problème à chacune de ses victoires. L’ennemi, il le déconcerte par un art de combattre aussi audacieux et nouveau que son art de négocier est subtil. Cette conquête de tout un pays avec une poignée d’homme est un chef-d’œuvre de l’intelligence. C’est pourquoi, comprenant à peine comment tout cela se faisait, les contemporains y ont vu quelque chose de « surnaturel ».
23. Sauf pour la gloire, sauf pour l’“art”, il eût probablement mieux valu qu’il n’eût pas existé. Tout bien compté son règne, qui vient, selon le mot de Thiers, continuer la Révolution, se termine par un épouvantable échec. Son génie a prolongé, à grands frais, une partie perdue d’avance.
p.459
Sur la supériorité de l’Occident grâce au capitalisme
24. La supériorité des Occidentaux tient donc, en dernière analyse, au capitalisme, c’est-à-dire à la longue accumulation de l’épargne. C’est l’absence de capitaux qui rend les peuples sujets. En supposant que le régime capitaliste vienne à être détruit, bouleversé ou considérablement affaibli en Europe par le socialisme, il resterait intact et puissant en Amérique, à laquelle passerait l’hégémonie. Alors il ne serait même plus besoin de se demander, comme M. Lucien Romier dans son livre récent : « Qui sera le maître ? » La question serait toute tranchée.
Fortune de France, 1944, p.124
Jacques Bainville sur le traité de Versailles
25. Une paix trop douce pour ce qu’elle a de dur […]
Les conséquences politiques de la paix, 1920, p.24
Autres citations de Jacques Bainville
26. Mais ce qu’il faut proclamer très haut, c’est que jamais peut-être dans l’histoire on aura vu un peuple en démocratie fournir autant de résistance que le nôtre aux principes de dissolution que ses institutions lui apportaient.
Histoire de deux peuples continuée jusqu’à Hitler, 1915, p.143
Jacques Bainville sur le sionisme
27. L’Osservatore romano et la Semaine religieuse de Paris ont récemment publié un ensemble de documents sur la situation de la Palestine. Le sionisme soutenu par le cabinet de Londres y apparaît comme une aventure alarmante à tous les points de vue. Déjà les incidents ont été nombreux.
Ils sont d’abord, bien entendu, de nature religieuse. Le sionisme, aux Lieux-Saints, n’a pas l’impartialité des Turcs. Il traite en intrus les représentants des communions chrétiennes. Le haut commissaire britannique, sir Herbert Samuel, se comporte comme un chef plus religieux que politique. Le « prince d’Israël », ainsi l’ont surnommé ses coreligionnaires, va prier, le jour du sabbat, à la grande synagogue, acclamé par la population juive de Jérusalem. Par contre, le Saint-Sépulcre est un lieu qui lui fait horreur. Au mois de juillet dernier, visitant la basilique, sir Herbet Samuel refuse d’entrer dans le sanctuaire du tombeau. Cette insulte aux chrétiens fut relevée. Le synode des Grecs orthodoxes déposa sur le champ le patriarche Damianos en lui reprochant de n’avoir reçu le haut commissaire que pour essuyer cet affront.
Un tel incident mérite une attention sérieuse . Il montre à quelles rivalités confessionnelles, susceptibles de dégénérer en luttes plus graves, le sionisme doit conduire. On regrette déjà les Turcs, « le seul peuple tolérant », disait Lamartine qui, dans son Voyage en Orient, se demandait, avec son génie divinatoire, ce que deviendraient les Lieux Saints lorsque leurs gardiens flegmatiques n’y seraient plus.
Le sionisme allumera sans doute en Palestine une hideuse guerre de religion : encore un de ces progrès à rebours que les traités auront valu au genre humain. L’Osservatore romano signale, parmi les immigrants juifs qui arrivent en nombre, des fanatiques qui parlent de détruire les reliques chrétiennes. Ce n’est pas tout. Avec la guerre religieuse, le sionisme apporte la guerre sociale. Les juifs venus de Pologne, de Russie, de Roumanie, réclament un partage des terres et l’expulsion des indigènes. M. Nathan Strauss, le milliardaire américain, dit crûment que « les musulmans trouveront d’autres régions pour vivre ». Admirable moyen de réunir, en Asie Mineure et même plus loin, tout l’Islam contre l’Occident.
Article paru dans l’Action française en date du 20 décembre 1920
Jacques Bainville sur le fascisme
28. De l’instinct de conservation naturel aux hommes et aux sociétés, naquit le fascisme, élément de résistance contre les forces de mort qui menaçaient l’Italie. Cette réaction qui avait fait défaut à la Russie de 1916, naquit en Italie du sentiment de l’histoire, des souvenirs de la Rome antique et de la dictature de salut public dont elle a toujours été la patrie.
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