Consolation à Monsieur du Périer sur la mort de sa fille | Poème de François de Malherbe
Ta douleur, Du Périer, sera donc
éternelle,
Et
les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié
paternelle
L’augmenteront
toujours !
Le malheur de ta fille au tombeau
descendue
Par
un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison
perdue
Ne
se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance
était pleine,
Et
n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta
peine
Avecque
son mépris.
Mais elle était du monde, où les
plus belles choses
Ont
le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les
roses,
L’espace
d’un matin.
Puis, quand ainsi serait que,
selon ta prière,
Elle
aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa
carrière,
Qu’en
fût-il advenu ?
Penses-tu que, plus vieille, en la
maison céleste
Elle
eut plus d’accueil ?
Ou qu’elle eut moins senti la
poussière funeste
Et
les vers du cercueil ?
Non, non, mon Du Périer, aussitôt
que la Parque
Ôte
l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au-deçà de la
barque,
Et
ne suit point les morts.
Tithon n’a plus les ans qui le
firent cigale ;
Et
Pluton, aujourd’hui,
Sans égard du passé, les mérites
égale
D’Archémore
et de lui.
Ne te lasse donc plus d’inutiles
complaintes ;
Mais,
sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des
cendres éteintes
Éteins
le souvenir.
C’est bien, je le confesse, une
juste coutume
Que
le cœur affligé,
Par le canal des yeux vidant son
amertume,
Cherche
d’être allégé.
Même quand il advient que la tombe
sépare
Ce
que nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un
barbare,
Ou
n’en a du tout point.
Mais d’être inconsolable, et
dedans sa mémoire
Enfermer
un ennui,
N’est ce pas se haïr pour acquérir la
gloire
De
bien aimer autrui ?
Priam qui vit ses fils abattus par
Achille,
Dénué
de support,
Et hors de tout espoir du salut de sa
ville,
Reçut
du réconfort.
François, quand la Castille,
inégale à ses armes,
Lui
vola son dauphin,
Sembla d’un si grand coup devoir
jeter des larmes,
Qui
n’eussent point de fin.
Il les sécha pourtant, et comme un
autre Alcide,
Contre
fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si
perfide
La
honte fut le fruit.
Leur camp, qui la Durance avoit
presque tarie
De
bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de
sa furie,
Et
demanda la paix.
De moi, déjà deux fois d’une
pareille foudre
Je
me suis vu perclus ;
Et deux fois la raison m’a si bien
fait résoudre,
Qu’il
ne m’en souvient plus.
Non qu’il ne me soit grief que la
tombe possède
Ce
qui me fut si cher ;
Mais en un accident qui n’a point de
remède
Il
n’en faut point chercher.
La Mort a des rigueurs à nulle
autre pareilles :
On
a beau la prier,
La cruelle qu’elle est se bouche les
oreilles
Et
nous laisse crier.
Le pauvre en sa cabane, où le
chaume le couvre
Est
sujet à ses lois,
Et la garde qui veille aux barrières
du Louvre
N’en
défend point nos rois.
De murmurer contre elle, et perdre
patience,
Il
est mal à propos ;
Vouloir ce que Dieu veut, est la
seule science
Qui
nous met en repos.
j’ai appris ça il y a plus de 65 ans. D’un seul coup je me suis souvenu de la première strophe et j’ai été heureux à 81 ans de relire ce poème ! A l’époque nous avions des cours de littérature. J’ai bien l’impression que ça n’ai plus enseigné hélas!