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Les Époux Arnolfini de Jan van Eyck : analyse

Publié le 05/03/2018
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Les Époux Arnolfini : informations générales

Peinture à l’huile sur bois de chêne 82,2 cm x 60 cm de Jan van Eyck (vers 1390 – 1441), dans le sens de la hauteur, laissée sans titre et surnommée « Les Époux Arnolfini ». On sait peu sur de choses sur son exécution, ni sa date exacte de conception, probablement en 1434, selon l’inscription faite sur le tableau même.

 

Les Époux Arnolfini : quel musée ?

La tableau est d’abord offert à Marguerite d’Autriche, gouverneur des Pays-Bas, par Diego de Guevara. Il est ensuite envoyé au Palacio Nuevo (Palais royal de Madrid). Sa trace est perdue après les guerres napoléoniennes. Il est ensuite retrouvé en Belgique. Les Époux Arnolfini est finalement prêté à la National Gallery de Londres, qui l’achète en 1842. Il s’y trouve toujours.

 

Les Époux Arnolfini de Jan van Eyck : quel mouvement artistique ? 

Jan van Eyck est classé parmi les primitifs flamands, c’est-à-dire les peintres du XVe et XVIe siècle de la Flandre actuelle (Bruges, Gand, Anvers, etc.), comme Hans Memling, Petrus Christus, Robert Campin ou Hugo van der Goes. Bruges, ville membre de la Ligue hanséatique, une association de villes marchandes, est alors au cœur d’une région très prospère, grand centre commercial de l’Europe du Nord. Elle fait partie du vaste ensemble territorial placé sous l’autorité des ducs de Bourgogne.

Van Eyck est alors un proche de son souverain Philippe le Bon (1396 – 1467), pour lequel il est effectue des missions diplomatiques. Sa formation artistique, en revanche, est mal connue. Comme les autres primitifs flamands, Van Eyck est influencé par l’humanisme naissant. Les Époux Arnolfini, un des premiers tableaux qui donnent à voir des bourgeois (et non pas des nobles, des religieux ou des souverains), classe sociale en plein essor dans la région, est un représentant d’un genre alors en développement : le portrait. Les peintres ne se restreignent plus à représenter des scènes religieuses. Ils s’émancipent du monopole de l’art sacré pour s’ouvrir à des sujets privés et profanes. En d’autres termes, on est plus soucieux de peindre « ce que l’on voit ».

 

Les Époux Arnolfini : analyse

Le tableau est une représentation en pied d’un couple qui fait face au spectateur, mains liées, dans un cadre privé, un espace domestique, un intérieur flamand. La verticalité du tableau, renforcée par la taille des personnages, est doublée par sa profondeur, dont l’impression est progressive : en effet, l’œil, d’abord attiré par les personnages, s’enfonce vers le fond de la pièce lorsqu’il voit le miroir convexe, puis se rapproche en se tournant vers le petit chien. La symétrie de l’oeuvre est marquée par un triangle central, délimité par les bras joints des époux et leurs regards, au centre duquel se trouve le miroir et une inscription en latin : Johannes de Eyck fuit hic 1434, Jan van Eyck était ici en 1434.

 

Description du couple

L’homme au teint pâle, à la figure distante à moitié assombrie, au strabisme léger, au front presque invisible, porte un chapeau de paille noire ou de feutre donnant à sa tête un caractère démesuré, au milieu de laquelle figure un nez énorme. Cette tête est posée sur un corps étroit et raide couvert par un pourpoint noir (veste courte et matelassée qui part du cou et qui va jusqu’à la ceinture) aux poignets brodés, sur lequel est superposé une huque (robe portée par les hommes au Moyen Âge) de velours violet dont les bords sont garnis de fourrure. Ses pieds sont enveloppés dans des chausses, mais il ne porte pas ses patins de bois, que l’on voit dans l’angle inférieur gauche du tableau. Ils sont éclairés par la lumière d’une fenêtre que l’on ne voit pas. Son bras est tendu vers celui de sa femme. Sa paume, tournée vers le ciel, accueille la main de sa femme sans la serrer. Il semble l’observer.

La femme, aussi pâle que son mari, a les yeux baissés. Son front dégagé est très visible. Un truffau (tresses formant des bourrelets sur ses tempes) soutient une huve blanche aux bords résillés, coiffure des épousées. Deux colliers agrémentent son cou.

À l’inverse de son mari, la femme est large. Elle porte un large surcot vert avec un traîne et dont les manches sont garnies de fourrure blanche, qui enveloppe une robe bleue dont on aperçoit les manches aux poignets dorés et une partie de la jupe. La ceinture rouge qui l’enserre au-dessous de sa poitrine renforce l’impression de voir une femme enceinte. Les doigts de la main posée sur celle du mari sont très longs. Elle pose son autre main sur son ventre.

Un mariage et une femme enceinte ?

Le tableau représente un mariage, qui pouvait se dérouler chez soi et sans prêtre à cette époque. En effet, selon Erwin Panofsky (1892 – 1968), auteur d’un célèbre article sur le tableau, il constitue une sorte de certificat de mariage. D’autres conjectures affirment que le tableau serait un autoportrait de Van Eyck avec sa femme. La femme n’est peut-être pas enceinte. En effet, la représentation de femmes au ventre proéminent et à la petite poitrine correspond plutôt à un tradition de l’époque. On trouve des représentations similaires chez Van Eyck, notamment sur le Triptyque de Dresde :

Toutefois, la main posée sur le ventre peut être un signe annonçant un enfant à venir, tout comme le déchaussement, symbolique du respect de la chambre nuptiale. Enfin, les mains jointes semblent être le signe du serment de mariage. Cependant, la façon particulière dont les mains sont jointes, posées l’une sur l’autre, ne trouve pas d’explication spécifique. Cette posture renforce le mystère entourant le tableau. 

Qui sont les Arnolfini ? 

Le tableau représenterait Giovanni Arnolfini et sa femme Giovanna Cenami. Les Arnolfini sont une famille de marchands italiens de Bruges, venue de Lucques en Toscane, fournissant la cour de Bourgogne (celle de Philippe le Bon) en draps fins. Mais l’identification n’est pas assurée.

 

Un intérieur fourmillant de détails symboliques

L’espace domestique qui nous est montré est une chambre nuptiale luxueusement décorée et confortablement meublée (tapis brodé, chaise à dossier, etc.). Marchands de Bruges, les Arnolfini sont riches.

Deux fenêtres, l’une ouverte, par laquelle on aperçoit des arbres fruitiers, et une autre, invisible a priori aux yeux du spectateur, font baigner l’espace dans la lumière. Van Eyck montre sa maîtrise technique. En effet, il fait varier les tons de couleurs en faisant progresser la lumière d’une matière à l’autre : les fruits posés sur la commode, une partie du mur, les perles du chapelet (un patenôtre), le lustre, le lit à baldaquin aux draps rouges et les époux pour la pour la fenêtre ouverte, les patins et les poils du chiens pour la fenêtre invisible. Il joue en outre sur les ombres : celle de la femme sur les draps rouges, celles des chausses, etc. Cette lumière révèle d’ailleurs l’extrême minutie du peintre, symbolisée par le travail des tissus où les plis sont multipliés. 

Si Les Époux Arnolfini est un exemple d’art profane, le tableau n’est pas dénué de sacré ou de symbolique :

  • le miroir, au centre du triangle formé par les époux, est orné de scènes de la vie et de la passion du Christ ; 
  • les perles de cristal du patenôtre, accrochées au mur, symbolisent la pureté mariale ;
  • la statue située au bord du panneau de bois représente sainte Marguerite, patronne de l’enfantement (on aperçoit aussi trois autres statuettes, à la symbolique plus mystérieuse) ;
  • les fruits, pommes, abricots ou cerises, peuvent symboliser ou l’innocence de l’homme, ou la tentation qui mène à la Chute ;
  • le lustre orné à six branches ne compte qu’une seule bougie allumée, symbole de la présence de Dieu ou de l’unité du couple ; 
  • le rouge des draps annonce l’enfantement. Le vert est la couleur de l’espérance, et le bleu celui de la fidélité.

 

Le chien des Époux Arnolfini

Le regard, concentré sur le triangle central de la composition, est appelé à descendre vers le chien, qui termine cette verticalité. C’est le seul être qui regarde le spectateur. Sa présence peut symboliser la fidélité. Le travail des poils est une nouvelle démonstration de la minutie du peintre.  

 

Analyse du miroir

Le miroir, convexe, sphérique et sans tache (mesurant 5 centimètres) est un des éléments les plus importants de la composition. Son cadre de bois est orné de 10 médaillons représentant la vie et la passion du Christ. Il reflète le dos les époux, et montre ce que le spectateur ne peut voir de sa position : l’espace entier du plancher au plafond, la fenêtre invisible ainsi que deux personnages, l’un vêtu de bleu et l’autre de rouge, peut-être les témoins du mariage. En revanche, quelques détails sont absents du reflet dans le miroir : le chien, ainsi que les mains jointes des époux. Cette mise en abyme, originale, dans un espace très réduit, est une nouvelle preuve du talent du peintre. Ce procédé est repris par les Ménines (1656) de Vélasquez (1599 – 1660).

 

La femme : morte ?

Le tableau ne parle pas de lui-même, et encourage par là le travail d’interprétation. Jean-Philippe Postel, dans L’Affaire Arnolifni… (2016), à la suite de Margaret Kostner, émet l’hypothèse que la femme serait morte. En effet, la femme, belle, contrairement à son mari, est idéalisée. La représentation de son visage est sans défaut. Il faut ajouter à cela que l’homme porte des habits sombres, ce qui semblerait être un signe de deuil. Ce deuil expliquerait pourquoi les époux ne se tiennent pas la main dans le reflet du miroir. La seule bougie allumée du lustre est d’ailleurs du côté de l’homme, alors que celle qui est éteinte est du côté de la femme. 

 

Les Époux Arnolfini de Fernando Botero

Fernando Botero (né en 1932), artiste colombien, a reproduit l’oeuvre, en transformant les personnages suivant son style, caractérisé par des personnages aux formes exagérément rondes. 

 

À lire

  • Margaret Kostner, The Arnolfini double portrait. A simple solution
  • Erwin Panofksy, Les Primitifs flamands
  • Jean-Philippe Postel, L’Affaire Arnolfini : Enquête sur un tableau de Van Eyck