Guillaume le Conquérant (William the Conqueror en anglais), né en 1027 à Falaise en Normandie, est l’un des rois les plus célèbres de l’Europe. Duc de Normandie sous le nom de Guillaume II à partir de 1035, il conquiert l’Angleterre après sa victoire à la bataille d’Hastings le 14 octobre 1066. Couronné à l’abbaye de Westminster le jour de Noël de la même année, il devient roi d’Angleterre (King of the English) sous le nom de Guillaume Ier d’Angleterre. Ce royaume ne sera plus jamais envahi avec succès. Guillaume le Conquérant meurt le 9 septembre 1087 à Rouen.
1. Guillaume le Conquérant : duc de Normandie
L’origine viking du duché de Normandie
Le duché de Normandie naît au Xe siècle. Des Vikings s’installent alors entre Rouen et la Seine. Rollon, chef viking, reçoit de Charles le Simple (898 – 922), roi des Francs, ce territoire en échange de la fin des pillages. Cet accord est connu sous le nom de traité de Saint-Clair-Sur-Epte (911). Peu à peu, les successeurs de Rollon bâtissent ce qui est devenu le duché de Normandie. Richard II (996 – 1026), le grand-père de Guillaume le Conquérant, devient le premier souverain à prendre le titre de duc de Normandie. L’héritage scandinave semble alors s’être effacé. L’aristocratie normande, ainsi que le peuple natif, parlent le français et sont chrétiens. Le duc de Normandie est alors vassal du roi des Francs. Dans les faits, il jouit d’une presque autonomie. Les relations du duché de Normandie avec le royaume d’Angleterre sont importantes. En effet, les deux pays partagent un héritage scandinave. Des mariages ont lié les familles régnantes. Ainsi, en 1002, la soeur du duc Richard II, Emma de Normandie, se marie avec le roi d’Angleterre Æthelred II (978 – 1013) dit « le Malavisé ». En même temps, Richard II permet aux Danois de conserver le fruit de leurs pillages en Angleterre et leur donne libre accès aux ports normands. En 1013, lorsque ils prennent le pouvoir en Angleterre, Æthelred et sa famille prennent refuge en Normandie. Cet exil, notamment du fils d’Æthelred, Édouard le Confesseur, permettront à Guillaume de justifier sa conquête du royaume d’Angleterre, un demi-siècle plus tard.
La Normandie, terre d’aventuriers
La Normandie du XIe siècle est comme un tremplin. Celui des aventures des Normands, descendants des vikings, dans de nombreuses parties du monde connu. Les Normands sont alors pour la plupart des chevaliers montés, des troupes de chocs efficaces sur les champs de bataille. Ainsi, Roger de Hauteville, né 4 ans après Guillaume le Conquérant, part à l’aventure en Méditerranée et conquiert la Sicile ! Son fils en fera le royaume normand de Sicile. D’autres Normands partent combattre au même siècle les musulmans en Espagne, et d’autres encore participeront à la première croisade de 1096 – 1100. Cette bougeotte apparente n’est cependant que la déclinaison normande d’un vaste mouvement de population dans la France du XIe siècle.
Une Église en expansion
La Normandie est une terre où l’Église, comme ailleurs en Europe, est en expansion. De nombreuses familles aristocratiques font construire des monastères. Ainsi, Guillaume Fitz Osbern, l’un des principaux personnages de l’entourage de Guillaume le Conquérant, fonde deux monastères, à Lyre et Cormeilles. Un autre personnage important, Roger II de Montgommery, en fonde trois, à Troarn, à Almenêches et à Sées. L’abbaye de Le Bec devient un centre intellectuel attirant des élèves de toute l’Europe, et profite du rayonnement que lui donne la présence du théologien Lanfranc, grand compagnon de Guillaume le Conquérant.
2. La jeunesse de Guillaume le Conquérant
Guillaume le Bâtard
On ne connaît pas la date de naissance exacte de Guillaume. Il est peut-être né en 1027, ou au début de 1028, à Falaise, dans le Calvados actuel. Guillaume est un enfant illégitime, condition de laquelle il tire son surnom de Guillaume le Bâtard. Son père, Robert Ier de Normandie (1027 – 1035), dit Robert le Magnifique ou Robert le Libéral, est le deuxième fils de Richard II, mais sa mère, Arlette de Falaise, dont l’existence est mal connue, n’est que la concubine du duc. Ses parents ne sont pas mariés, mais vivent près de dix ans ensemble. Guillaume n’est que rarement appelé ainsi par ses contemporains, et jamais en Normandie (L’Histoire n°424, p.34). Le mariage n’est en effet définitivement imposé comme sacrement qu’au conseil de Latran au début du XIIIe siècle. C’est le moine Orderic Vital qui explique l’ensemble des troubles qui ont eu lieu sous le règne de Guillaume par sa bâtardise. Arlette de Falaise se marie plus tard avec Herluin de Conteville, duquel elle aura deux enfants qui serviront les entreprises de Guillaume le Conquérant : Odon de Bayeux et Robert de Mortain. On ne sait pas non plus si Guillaume reçoit une éducation lettrée. À part Ralph le moine, nul tuteur de ne lui est connu.
Portrait de Guillaume le Conquérant
Mis à part les représentations de Guillaume le Conquérant sur la tapisserie de Bayeux, nous n’avons aucun portrait de lui. Mais la tapisserie montre que les cheveux de la noblesse normande sont portés courts, contrairement aux moeurs en vigueur à la cour des roi des Francs. À noter toutefois : Guillaume est obèse à la fin de sa vie. La tombe de Guillaume est ouverte une première fois en 1522. On y aurait trouvé alors le squelette d’un homme de grande taille. Il n’en reste toutefois aujourd’hui que l’os d’une cuisse, qui a été examiné en 1961. Après analyse, on estime que Guillaume mesurait 1,75m, mais cette estimation est bien sûr fragile.
Mort de Robert Ier : Guillaume devient duc
Robert Ier part en pèlerinage pour la Terre Sainte en janvier 1035. Avant son départ, au cas où il ne reviendrait pas, il fait jurer fidélité à Guillaume aux grands du duché, qui acceptent de le considérer comme héritier. Cette succession est validée par le roi des Francs Henri Ier (1031 – 1060). Robert ne revient pas de pèlerinage. Guillaume le Conquérant devient donc duc à 8 ans seulement, sous le nom de Guillaume II de Normandie.
La minorité de Guillaume le Conquérant : une situation de trouble
La situation du jeune duc semble alors bien fragile. En 1037, la mort du plus puissant personnage du duché et protecteur de Guillaume, l’archevêque Robert le Danois, ouvre une période d’instabilité. Les grands familles aristocratiques s’opposent les unes aux autres dans des guerres féodales pour contrôler le jeune duc et ses territoires. Le pouvoir ducal semble alors avoir perdu tout contrôle effectif du duché. Le pouvoir des barons normands grandit. Deux figures s’opposent vigoureusement au jeune duc : Mauger de Rouen, son grand oncle, ainsi que Guillaume d’Arcques, son oncle. Ces adversaires de Guillaume sont nommés les Richardides. Guillaume est alors entourés de protecteurs. Et leur sort reflètent le trouble dans lequel le jeune duc se trouve. Alain III de Bretagne, son tuteur, meurt en 1040, peut-être empoisonné, alors qu’il semblait revendiquer pour lui-même le duché de Normandie. Son successeur, Gilbert de Brionne, connaît le même destin en 1040 ou 1041. L’historien Orderic Vital rapporte d’ailleurs une histoire qui symbolise bien toute la violence qui a pu se déchaîner pendant cet interstice : à un banquet de mariage, Guillaume Giroire aurait été mutilé par Guillaume II Talvas de Bellême. Ses yeux aurait été crevé, ses oreilles coupées et il aurait été castré. Guillaume et son entourage tentent à plusieurs reprises de réaffirmer l’autorité ducale. Il ordonne ainsi à un seigneur réticent de lui remettre le château de Tillières, placé stratégiquement aux portes des territoires du roi des Francs Henri Ier. Il aurait en outre mené une campagne victorieuse contre Thurstan le Goz, vicomte d’Avranches, qui aurait essayé de constituer un pouvoir indépendant autour du château de Falaise.
La bataille du Val ès dunes de 1047
Situé au sud-est de Caen, Guillaume affronte à Val ès dunes une coalition de barons rebelles dirigés par le comte Gui de Brionne, propriétaire du château de Brionne, au centre de la Normandie. Élément d’importance, Guillaume est alors aidé par son suzerain, le roi des Francs Henri Ier. Comment expliquer ce soutien ? Selon David Bates (Bates, p.59), Henri Ier aurait pu avoir besoin de se faire un allié en Guillaume, contre l’avènement du comte d’Anjou, Geoffroy II, dit Geoffroy Martel (1040 – 1060). Ce dernier vient alors de s’emparer de Tours ! Guillaume parvient à triompher de ses rivaux. La bataille du Val ès dunes est un tournant qui couronne les efforts de reprise en main du duché. Après cette victoire, Guillaume proclame une paix de Dieu, par laquelle il prohibe la guerre certains jours de la semaine. L’armée ducale est pourvue de droits spéciaux pour mettre fin aux combats illégaux.
3. Guillaume le Conquérant vs. Henri Ier et Geoffroy Martel
À partir de la victoire du Val ès Dunes en 1047, et ce jusqu’à la conquête de l’Angleterre en 1066, Guillaume va multiplier les efforts pour affirmer son pouvoir en tant que duc de Normandie, et assurer la sécurité de son duché face aux seigneurs voisins. Certaines se révèlent particulièrement menaçant, à l’image de Geoffroy Martel.
Mariage avec Mathilde de Flandre
Mathilde est la fille de Baudouin V, le puissant comte de Flandre. Les fiançailles de Guillaume et de Mathilde sont l’objet de négociations au cours du Concile de Reims de 1049, tenu par le pape Léon IX. Le mariage est tout d’abord condamné, pour le trop grand degré de parenté qui lie Guillaume et Mathilde. Mais le mariage a quand même lieu à Eu, aux environs de 1050 – 1053. Leur premier fils, Robert, naît rapidement, vers 1051. Il est à noter que les relations entre la papauté et Guillaume sont bonnes. Au début des années 1050, deux abbayes sont fondées à Caen, peut-être dans le cadre d’un accord avec l’Église, selon Bates (Bates, p.65). En outre, deux ecclésiastiques proches de Guillaume, Lanfranc, prieur de Le Bec, et Geoffroy, évêque de Coutances ont visité Rome vers 1050. Ce mariage est une belle opération pour Guillaume : il marque le retour de la Normandie au rang des principales seigneuries de France ! En effet, les comtes de Flandre possèdent un puissant territoire au nord de la France et leur famille a de nombreux liens de parentés avec celles de l’empereur germanique et des rois des Francs. Une famille si puissante est donc prête à se lier au sort de Guillaume, dont la situation paraît s’être améliorée aux yeux de ses voisins.
Campagne contre Geoffroy Martel
Geoffroy Martel termine son entreprise de domination du Maine en 1051 par la conquête du Mans. Pour assurer la sécurité de la frontière sud de son duché, Guillaume attaque les châteaux d’Alençon et de Domfront en 1051-1052, que le comte d’Anjou tenait aux dépends de Yves de Bellême.
Guillaume le Conquérant et Henri Ier : des relations refroidies
Premier signe qui aurait pu être interprété comme une offense aux yeux de Henri Ier : Guillaume avait laissé plusieurs de ses évêques assister au Concile de Reims pour discuter avec le pape. En 1052, Henri Ier et Geoffroy Martel sont alliés. Qu’est-ce qui a pu présider à ce changement d’alliance ? Rien n’est sûr. Le roi des Francs et le duc de Normandie se rencontrent en 1052, mais sans résultat discernable.
Rébellion de Guillaume d’Arques et invasion franco-angevine
Guillaume d’Arques, l’oncle de Guillaume le Conquérant, profite du siège de Domfront pour fomenter une rébellion à partir de son château d’Arcques, au nord-est de la Normandie. Il parvient à rassembler autour de lui plusieurs grands seigneurs, comme Enguerrand II de Ponthieu, Eustache, comte de Boulogne, Raoul IV du Vexin, comte d’Amiens et de Valois. En parallèle, Henri Ier et Geoffroi Martel profitent de l’opportunité pour lancer une invasion. Guillaume réagit rapidement et obtient la reddition d’Arques. Les terres du rebelle sont confisquées, redistribuées, et il part en exil. Enguerrand II de Ponthieu est tué dans une escarmouche le 25 octobre 1053. L’armée d’Henri quitte le duché en apprenant la défaite des rebelles. Fin 1053 ou début 1054, les troupes coalisées de Henri Ier et de Geoffroi repartent à l’assurant du duché. Une armée se dirige vers Rouen. Guillaume parvient à la contenir. Une autre armée est prise par surprise de nuit et battue à la bataille de Mortemer en février 1054. Cette défense victorieuse renforce la sécurité du duché à l’est. Guy de Ponthieu, successeur d’Enguerrand, est capturé, puis relâché à la condition de signer un traité d’amitié avec Guillaume. Il doit en outre lui fournir une assistance militaire si nécessaire. Raoul IV du Vexin survit à cette répression, et reste hostile au duc.
Victoire à la bataille de Varaville en 1057
En 1057, Henri Ier et le comte d’Anjou lancent une nouvelle invasion de la Normandie. Face à des forces qui sont supérieures aux siennes, Guillaume temporise. Il attend le moment opportun pour attaquer. Lorsque ses ennemis tentent de traverser l’estuaire de la Dives près de Varaville, Guillaume envoie ses forces attaquer leur arrière-garde. C’est la bataille de Varaville. Guillaume en sort vainqueur.
4. Vers la suprématie de Guillaume le Conquérant au nord de la France
L’invasion du Maine
La mort de Herbert II du Maine (1051 – 1062) le 9 mars 1062 donne à Guillaume l’occasion de s’assurer le contrôle d’un fief qui sécuriserait sa frontière sud. Il lance l’invasion du Maine, au prétexte, selon Guillaume de Poitiers, que le comte défunt aurait fait de lui son héritier et qu’il avait accepté de se marier à l’une de ses filles. Ce n’est pas une conquête de tout repos. En effet, un autre prétendant est dans la course : Gauthier III du Vexin. Ce dernier bénéficie en outre du soutien angevin de Geoffroy le Barbu. Toujours prudent, Guillaume cherche à étouffer le Mans en capturant les châteaux alentours, plutôt que de mener une attaque frontale contre la capitale. Geoffroy le Barbu n’envoie aucune aide. C’est un succès ! Guillaume offre une certaine autonomie à sa nouvelle conquête. Il se contente de recevoir la loyauté des seigneurs du comté, de placer des garnisons et de construire de nouvelles fortifications. Il place de ses hommes dans le clergé local, notamment Arnaud, qui devient évêque du Mans en 1067.
Expédition en Bretagne
En 1065 ou 1065, Guillaume mène une expédition en Bretagne dans le but de punir Conan II (1040 – 1066), coupable d’avoir mené des raids au-delà de la frontière normande. L’est de la Bretagne est alors en rébellion. Guillaume en profite et avance jusqu’à Dol, puis Rennes et enfin Dinan, où Conan se rend. Sur le chemin du retour, à Bayeux, Harold Godwinson, le futur roi battu à Hastings par Guillaume, qui participe alors à l’expédition, aurait alors fait le serment de reconnaître Guillaume comme roi d’Angleterre.
La suprématie normande au nord de la France
Après cette expédition en Bretagne, toutes les provinces voisines de la Normandie sont désormais amies ou soumises. À l’est, Eustache de Boulogne, qui s’était joint à la rébellion de Guillaume d’Arques, est depuis devenu un allié important de Guillaume. Raoul IV du Vexin a abandonné son alliance avec le roi des Francs pour entretenir des relations amicales avec le duché de Normandie. Guillaume le Conquérant a en outre vaincu par deux fois les armées du roi des Francs renforcées de celles du comte d’Anjou. C’est la dernière fois qu’il subit une invasion de ses voisins. Le duc de Normandie est désormais un puissant seigneur qui a renforcé la sécurité de son environnement immédiat. Yves de Bellême fait de Roger II de Montgommery, l’un des plus puissants compagnons de Guillaume, l’héritier des terres de Bellême. Guillaume récupère en outre le château de Tillières des mains de Henri Ier, et capture même le château de Thimert. Guillaume est aussi chanceux. En 1060, ses deux grands ennemis, Henri Ier et Geoffroy Martel meurent presque concomitamment. Philippe Ier (1060 – 1108), successeur d’Henri Ier, est un jeune garçon placé sous la protection du beau-père de Guillaume, Baudouin V de Flandre. Un traité de paix est signé entre le roi et le duc et Roger II de Montgommery est confirmé comme successeur des terres de Bellême. Le comté d’Anjou est, quant à lui, englué dans une guerre de succession entre Geoffroy le Barbu et Foulques Réchin.
5. Guillaume le Conquérant : pouvoir et l’Église normande
Un seigneur puissant
Guillaume fait reposer son pouvoir sur la puissante aristocratie normande qu’il est parvenu à soumettre après une première période de troubles. Ainsi, en Normandie, il confisque les terres des seigneurs rebelles, les condamne à l’exil ou à l’emprisonnement (il en est ainsi par exemple de Roger de Mortemer en 1054, qui perd ses possession et qui est banni). Comme duc, il a le pouvoir d’interdire la construction de fortifications et d’utiliser certaines fortifications déjà bâties à son profit. Ce pouvoir avait déjà été dégagé par le roi des Francs dès le IXe siècle. Guillaume le Conquérant peut prendre un otage à sa cours les fils d’un seigneur pour s’assurer de sa fidélité.
Guillaume le Conquérant, l’Église et Lanfranc
Le pouvoir de Guillaume le Conquérant s’appuie en partie sur l’Église. En effet, après la victoire à Val ès dunes en 1047, Guillaume proclame une paix de Dieu prohibant la guerre certains jours de la semaine. La violation de cette paix de Dieu est punie par les évêques. Par ailleurs, Guillaume préside à plusieurs conciles ecclésiastiques comme celui de Lisieux en 1055 et 1064, ou celui de Rouen en 1063. Il garde le contrôle de l’Église de Normandie en nommant ses hommes aux évêchés. Ainsi, son demi-frère Odon, devient évêque de Bayeux (avant de devenir l’un des hommes les plus riches d’Angleterre). Il dépose Mauger de Rouen, un Richardide rebelle à l’autorité du duc, à l’occasion de concile de Lisieux de 1055, et le fait remplacer par Maurille, un Normand de Reims. À Caen, dont il fait la deuxième ville de Normandie après Rouen, Guillaume consacre deux abbayes, Saint-Étienne (l’abbaye aux Hommes) et la Trinité (l’abbaye aux Dames).
Lanfranc, théologien originaire de Pavie, devient l’un des plus proches conseillers de Guillaume dans les années 1050 et 1060, avant d’être nommé archevêque de Cantorbery en 1070. C’est un théologien réputé qui a notamment participé à la réfutation des idées de Bérenger de Tours au cours du concile de Tours de 1050. D’abord basé à l’abbaye de Le Bec (Notre-Dame du Bec, situé dans l’actuel département de l’Eure), il est aussi abbé de Saint-Étienne de Caen. Dès 1049, il prend part aux négociations pour faire accepter le mariage de Guillaume et Mathilde. Enfin, en 1074, Guillaume est reçu dans le confraternité de l’abbaye de Cluny, la plus prestigieuse de l’Europe d’alors. Guillaume devient donc un frère spirituel de Cluny, un bienfaiteur pour lequel les moines prient régulièrement. Cette pratique était courante pour les souverains de l’époque.
6. La conquête de l’Angleterre
Le royaume d’Angleterre avant la conquête
En 1016, la maison de Wessex, une famille anglo-saxonne, perd le pouvoir en 1016 au profit de Knut le Grand, un prince danois dont le royaume s’étend de l’Angleterre au Danemark, en passant par la Norvège. Édouard le Confesseur (1042 – 1066), qui s’était réfugié en Normandie à partir de 1013 auprès de Richard II avec son père Æthelred le Malavisé, récupère le trône d’Angleterre en en 1042. En 1051, sans héritier, il promet alors à Guillaume qu’il lui succèdera sur le trône. Mais Édouard meurt en 1066 privé d’une partie de son pouvoir par la famille Wessex. Dans un premier temps, c’est Harold Godwison, comte de Wessex, qui récupère la succession à son profit et devient roi d’Angleterre en janvier 1066. Guillaume profite de cette succession contestable pour réclamer l’héritage du trône.
Les préparatifs de l’invasion
On ne sait pas de combien d’hommes Guillaume disposait. Mais il aurait organisé un conseil à Lillebonne avec ses barons, et s’est déplacé à Rouen, Fécamp, Bayeux et Caen les mois précédant l’invasion, sûrement pour rallier des troupes. Mathilde est nommée régente de Normandie. Des Picard, des Bretons, des Flamands, en plus des Normands, composent l’armée. Il reste difficile de comprendre comment Guillaume à pu convaincre ses hommes de mener une entreprise si risquée. Selon Guillaume de Poitiers, une ambassade est envoyée à Rome pour demander au pape Alexandre II de bénir l’invasion. Ce dernier envoie au duc un étendard pontifical. Le même chroniqueur avance que Guillaume aurait conclu des traités avec l’empereur germanique Henri IV et Sven II de Danemark (1047 – 1076). En outre, l’abbaye de la Trinité de Caen est consacrée le 18 juin, en présence de nombreux barons. La flotte est d’abord rassemblée dans l’estuaire de la Dives, puis à Saint-Valery-sur-Somme où une traversée plus courte semblait être possible. La flotte part la nuit du 27 au 28 septembre. Elle débarque à Pevensey et Romney.
7. Guillaume le Conquérant et la bataille d’Hastings en 1066
Guillaume attaque un royaume divisé. En effet, la Northumbrie, au nord du Royaume, est en état de rébellion contre Tostig, le frère d’Harold. Tostig finit lui-même par se rebeller contre son frère en s’alliant au roi de Norvège, Harald Hardråde. Harold doit dépêcher une armée au nord pour vaincre l’armée rebelle et étrangère. Il les vainc à la bataille de Stamford Bridge le 25 septembre 1066. Tostig et Harald Hardråde sont tués au cours de la bataille. Mais les forces du roi d’Angleterre sont affaiblies pour affronter le nouvel ennemi normand. Après le débarquement, les Normands se sont déplacés jusqu’à Hastings, tout en restant près des côtes pour engager une retraite si nécessaire et resserrer les lignes de communication. En même temps, ils pillent les environs de Pevensey et de Hastings pour attirer les troupes de Harold.
Harold veut prendre Guillaume par surprise et atteint rapidement Londres le 6 octobre puis Hastings le 13. Mais Guillaume veut profiter de la fatigue de ses ennemis, et avance ses hommes dès le 14 octobre au matin. Positionné sur une crête, Harold occupe une solide position défensive, mais Guillaume dispose d’une puissante cavalerie, disciplinée et mobile. La bataille dure jusqu’au soir. Elle se conclut par la mort de Harold.
8. Guillaume le Conquérant et la soumission l’Angleterre
Le couronnement de Guillaume le Conquérant
Après être resté près d’une semaine à Hastings, Guillaume et son armée se lancent dans une campagne de soumission de l’Angleterre, au cours de laquelle ils se déplacent notamment à Romney, Douvres et Southwark, incendiant les deux dernières villes. En décembre, Guillaume atteint Londres. Pendant ce temps, les élites anglaises qui n’ont pas été annihilée à Hastings élisent un nouveau roi, Edgar Atheling, un adolescent. Guillaume le Conquérant est couronné roi d’Angleterre le 25 décembre 1066 à l’abbaye de Westminster par Ealdred, archevêque de York. Mathilde est couronnée le 11 mai 1068, le dimanche de Pentecôte. Il s’agit désormais de soumettre et d’occuper le royaume conquis.
Répression des premières rebellions
La mère d’Harold a trouvé refuge à Exeter, dans le Devon actuel. Guillaume réduit cette résistance avec succès, et il y fait construire le château de Rougemont (Rougemont Castle, ou Exeter Castle), dont on peut encore voir les portes aujourd’hui. La rébellion d’Edwin, comte de Mercie et son frère Morcar, comte de Northumbrie, suit. Edgar Atheling, quant à lui, fuit la cour pour pour rejoindre le roi des Scots, Malcolm III (1058 – 1093). Les rebelles essaient alors de susciter une révolte à partir du pays de Galles et le nord de l’Angleterre. Guillaume réagit rapidement. Il fait construire un château à Warwick, pour empêcher une jonction des rebelles. Au nord, il commence sa politique d’expropriation de l’aristocratie locale pour la remplacer par des Normands loyaux. Il fait de Guillaume Malet châtelain de York, de Robert Fitz Richard le responsable du Yorkshire et de Robert de Comines le comte de Northumbrie.
Campagnes de répression au nord et invasion danoise
À l’automne 1068, Guillaume le Conquérant est retourné en Normandie. Le Nord de l’Angleterre se soulève. En effet, Edgar Atheling et des nobles de Northumbrie se joignent à des rebelles du Yorkshire. Robert de Comines et ses hommes sont tués à Durham par des rebelles. Robert Fitz Richard connaît le même sort. Guillaume Malet se retrouve pris au piège dans le château de York. Guillaume revient en Angleterre au début 1069. Il atteint rapidement le nord et défait les rebelles à York. Une nouvelle menace se profile alors. Sven II du Danemark (1047 – 1074) prétend au trône d’Angleterre en tant que neveu de Knut le Grand. L’armée danoise débarque en 1069. Alliée aux forces d’Edgar Atheling, elle capture York le 20 septembre de la même année. Manquant en permanence de ravitaillement, elle finit par signer une trêve avec Guillaume, contre de l’argent. Pour faire face à l’instabilité permanente du Nord de l’Angleterre, Guillaume le Conquérant lance une très sévère répression et ravage la campagne. Guillaume tire de cet épisode sa réputation de souverain cruel. En effet, selon le Domesday Book, 80% des gens ont été tués ou dépossédés de leurs terres à ce moment (L’Histoire n°424, p.46). Fin janvier 1070, Guillaume descend à la frontière galloise pour faire face à une énième rébellion.
La soumission finale de l’Angleterre
Malgré sa promesse de quitter l’île, Sven II débarque avec ses forces sur l’Isle of Ely (la région entourant la ville d’Ely) et soutient les rebelles de Hereward. Mais c’est un échec et le roi danois renonce à une invasion. Edwin, le comte de Mercie, souhaite une nouvelle fois se rebeller. Mais il est assassiné par certains de ses partisans. Morcar est capturé après le blocus d’Ely par Guillaume, puis est emprisonné à vie. Hereward, lui, parvient à s’échapper. À l’été 1072, Guillaume mène une armée en Écosse, pour faire cesser les agissement d’Edgar Atheling et mettre fin aux interventions de Malcolm dans les provinces du Nord. Les deux rois signent la paix de Abernethy, par laquelle le roi des Scots devient un vassal du roi d’Angleterre et envoie comme otage son fils Duncan à sa cour. Il reconnaît ainsi officiellement la légitimité de Guillaume sur le trône et expulse Edgar Atheling.
Un souverain reconnu pour sa puissance
Un épisode peut témoigner du regard des contemporains sur la puissance de Guillaume le Conquérant. Le Saint-Empire de Henri IV est englué dans des conflits internes avec ses princes. On prétend alors que Guillaume aurait prêté main forte à Henri IV, ou qu’il aurait été prêt à prendre Aix-la-Chapelle, la capitale de Charlemagne. Une entreprise folle ! En outre, Guillaume est le seul souverain d’Occident, avec l’empereur et le pape, à avoir un sceau biface : sur un côté, il est duc des Normands et sur l’autre, roi d’Angleterre.
9. Les difficultés de Guillaume le Conquérant sur le continent
Échec en Flandre
En Flandres, Guillaume perd un allié de taille. Son beau-père, Baudouin V de Flandre, meurt en 1067. Une querelle de succession oppose alors ses deux fils, Baudouin VI de Flandre et son frère cadet, Robert le Frison. Guillaume envoie l’un de ses meilleurs lieutenants, Guillaume Fitz Osbern, à la rescousse de Baudouin. Mais la situation évolue en défaveur du partie comtal. Baudouin VI et Guillaume Fitz Osbern meurent à la bataille de Cassel le 20 ou 22 février 1071. Robert le Frison devient Robert Ier de Flandre (1071 – 1093). Bref, en plus de perdre Guillaume Fitz Osbern, Guillaume le Conquérant voit le comté de Flandre, un territoire ami, lui devenir hostile. Guillaume Fitz Osbern est enterré en Normandie, à l’abbaye de Cormeilles, dont on ne peut trouver que des ruines aujourd’hui.
Restauration de l’autorité normande dans le Maine
Après la campagne écossaise, Guillaume rentre en France pour restaurer l’autorité normande dans le Maine. Il joue sur la vitesse de déplacement de ses troupes et attaque le château de Fresnay-sur-Sarthe, qui se soumet. Sillé et Le Mans connaissent rapidement le même sort. Cette campagne se termine le 30 mars 1073. Entre temps, Guillaume avait confié le contrôle de l’Angleterre à ses barons, notamment Richard Fitz Gilbert et Guillaume de Warenne.
10. Le gouvernement itinérant de Guillaume le Conquérant
Le pouvoir de Guillaume le Conquérant s’étend après la conquête de l’Angleterre de la frontière écossaise au Maine. Il est alors nécessaire de maintenir une présence des deux côtés de la Manche pour maîtriser ces territoires. Entre 1067 et 1087, Guillaume traverse la Manche peut-être dix-neuf fois. Il passe 145 des 239 mois entre la bataille d’Hastings en 1066 et sa mort le 9 septembre 1087 sur le continent. De 1066 à 1072, il est presque continuellement en Angleterre pour organiser sa conquête, faire face aux rebellions et au danger danois. Guillaume passe ensuite la majeure partie du reste de sa vie en Normandie.
4 visites de l’Angleterre sont attestées après 1072 :
- En 1075 – 1076 et 1082 – 83 : il doit alors affronter des révoltes.
- En 1080 – 1081 : il doit restaurer l’ordre après 4 ans d’absence en France.
- En 1085 – 1086 : il doit alors se préparer à affronter une nouvelle invasion du Danemark et le Domesday Book (Livre du jugement dernier) doit lui être présenté.
Pendant ses longues absences d’Angleterre, des deputies sont nommés pour gouverner en son nom, ou alors certains de ses proches, comme Odon en Angleterre entre 1077 et 1080, et Mathilda à intervalles en Normandie entre 1066 et 1071.
11. Le royaume d’Angleterre : Guillaume le Conquérant organise l’occupation
Un vaste transfert de propriété
Une minorité de Normands, avec Guillaume à sa tête, doit désormais assurer son pouvoir en Angleterre. Le nouveau roi d’Angleterre doit organiser sa nouvelle conquête pour maintenir le pouvoir de cette nouvelle élite. En effet, à la fin du règne de Guillaume, l’aristocratie anglaise entière a été remplacée par une aristocratie normande. Les anglos-saxons ne détiennent plus que 5% des terres en 1086 – 1087 (L’Histoire, p.49). Un vaste transfert de propriété a donc lieu après l’invasion. Ce transfert est fait avec l’aval de Guillaume, qui soutient la mise en place de la fiction légale selon laquelle les nouveaux propriétaires tiendraient leurs terres légitimement de leurs prédecesseurs anglais. Harold est tenu pour un usurpateur pour les Normands. Ceux qui ont combattu à ses côtés, considérés comme des rebelles, sont donc légitimement expropriés. Selon le résultats des enquêtes présentées dans le Domesday Book, les plus puissants propriétaires terriens sont les puissants de Normandie, c’est-à-dire : Odon de Bayeux, Roger de Montgomerry, Robert de Mortain, Guillaume Fitz Osbern, Guillaume de Varenne, Hughes de Chester, Richard Fitz Gilbert et l’archevêque et Geoffroy de Coutances. Deux exceptions, mais deux alliés de Guillaume : Eustache de Boulogne, rallié à Guillaume, et Alain de Bretagne, qui reçoit plus de 400 seigneuries selon le Domesday Book.
Une « super-aristocratie trans-Manche »
David Bates parle même d’une « super-aristocratie trans-Manche » (« cross-Channel super-aristocracy » [Bates, p.226]). Mais Guillaume s’assure, selon le célèbre précepte diviser pour mieux régner, que les possessions de ses barons ne constituent pas des domaines continus, mais s’étendent plutôt sur des domaines éparpillés en Angleterre. Les seigneurs perçoivent les redevances de ses domaines en plus d’y rendre la justice. En échange, un service d’ost (services militaire) s’impose à eux. Odon de Bayeux, fait comte de Kent, y possède des châteaux à Douvres et Rochester mais aussi dans l’Oxfordshire à Deddington et dans le Norfolk à Snettisham, en plus de ses possessions à Caen, Rouen et Londres. Robert de Mortain reçoit 793 manoirs, mais dispersés dans 20 comtés (L’Histoire, p.50) Guillaume Fitz Osbern devient comte de Hereford. Bates interprète ainsi le gouvernement de Guillaume en Angleterre comme l’extension de sa domination en Normandie : un même groupe domine des territoires supplémentaires. En outre, certains bénéficiaires de ce transfert de propriété viennent de familles à la fortune récente. Il en est ainsi de Geoffroy de Mandeville, 11ème propriétaire terrien le plus riche d’Angleterre, mais aussi de nombreux hommes devenus sheriffs, comme Picot de Cambridge, Roger Bigot de Norfolk.
Guillaume le Conquérant se considère, lui, comme l’héritier naturel des terres d’Édouard le Confesseur. Il s’approprie ainsi les terres de Harold et de sa famille. Selon le Domesday Book, en guise d’indicateur, ses terres sont quatre fois plus riches que celles de Roger de Mongommery. Il devient l’un des seigneurs les plus riches d’Europe, avec 1422 manoirs.
Les comtés palatins
Si Guillaume épapille les possession de ses barons sur le territoire anglais, il ne fait pas de même dans les territoires frontaliers. Ainsi, il créé, face aux Écossais et aux Gallois, des fiefs immenses : les comtés palatins, à Durham, Chestshire et Lancastre.
Les transformations de l’Église d’Angleterre
En 1070, pour la Pâques, trois légats du pape Alexandre II arrivent à Winchester. Ils couronnent à nouveau Guillaume comme roi d’Angleterre. Surtout, ce qui s’est déroulé pour les propriétaires terriens est reproduit dans la hiérarchie ecclésiastique. Nombre de clercs anglais sont déposés par des conciles successifs ( un nouveau concile à Winchester en 1072, à Londres en 1075, à Gloucester en 1080 et 1085). Stigand de Canterbury est ainsi déposé en 1070, remplacé par Lanfranc qui exerce une espèce de primauté sur l’Église anglaise et y applique le programme de la réforme grégorienne naissante. Quatre autres évêques sont déposés à la même occasion. L’abbaye d’Abingdon voit ses états et ses trésors pillés. L’abbaye d’Ely est punie pour son soutien au rebelle Hereward. En 1087, il n’y a plus que 3 abbés anglo-saxons (L’Histoire, p.49). Seuls l’archevêque Ealdred de York, mort en 1069, l’évêque Wulfstan de Worcester, mort en 1095, et l’abbé Aethelwig d’Evesham, mort en 1077, survivent aux évictions et obtiennent la confiance du pouvoir normand. Cas particulier, Æthelsige, abbé de Saint Augustin de Canterbury, parvient à s’attirer les grâces du pouvoir normand en devenant abbé de Ramsey en 1080, alors qu’il avait fui devant les Normands dans une premier temps.
Un grand programme de construction d’église est lancé (L’Histoire, p.49). Entre 1100 et 1150, 9 des 11 églises de plus de 100 mètres de long se trouvent en Angleterre. Le nombre de monastère bénédictins doublent de 1066 à 1150, de 41 à 86, et 71 abbayes cisterciennes et 73 abbayes et prieurés de chanoines augustins sont fondés.
La construction de châteaux et de mottes castrales
Guillaume le Conquérant assure la maîtrise du territoire anglais en y introduisant le système de la motte castrale. Il fait en effet bâtir des châteaux ou des tours en bois, au sommet d’une motte de terre entourée de palissades, occupés par une garnison pour contrôler une zone particulière. La tapisserie de Bayeux montre entre autres la construction d’un fort après la bataille d’Hastings. Guillaume en fait construire à York, Warwick et Nottingham. À Londres, il lance la construction de la tour de Londres, qui symbolise son pouvoir et maintient sa présence virtuelle. Au moins 80 donjons sont construits sous le règne de Guillaume. Le Sussex, au sud-est de l’Angleterre, est surveillé par les forts d’Arundel, Bramber, Hastings, Lewes et Pevensey. Autre exemple, à la frontière galloise, on trouve des forts à Shrewsbury et Chester. Les châteaux de Norwich et de Falaise, semblables l’un à l’autre, sont typiques du style architectural anglo-normand, perfectionné grâce aux nombreuses constructions exigées par l’occupation.
La Danegeld et le Murdrum
Guillaume est le seul souverain d’Europe de l’Ouest à bénéficier d’une taxe universelle, la Danegeld, d’origine viking. Cette taxe annuelle est collectée dans tout le royaume, et basée sur une évaluation de la valeur des terres. 2 shillings sont collectés par hide, unité de mesure de la taxation dans les comtés anglais, sauf en période de crise où le montant pouvait monter à 6 shillings. Le Murdurm est une nouvelle taxe sous la forme d’une punition financière frappant une communauté si son seigneur se fait tuer sans que l’assassin ait été retrouvé.
Les institutions
Les Normands ne modifient pas en profondeur l’administration. Une chambre (camera) collecte et dépense l’argent. Une cour de la Chancellerie supervise la production des ordonnances. Les Normands empruntent en effet le writ, des ordres écrits et précis envoyés par le roi au sheriff. Le roi peut imposer sa volonté à distance, par l’écrit. De nombreux clercs doivent donc être recrutés, ce qui fait rapidement de la Chancellerie la plus importante institution royale. Un trésor permanent est gardé à Winchester, où l’ensemble des paiements convergent. Chaque shire, équivalent d’un vicomté normand, est sous la direction d’un sheriff, représentant direct du roi. Une court of the Shire permet aux notables locaux de réunir, deux fois par an. Les shires sont eux-mêmes divisés en Hundreds, où se situent des cours.
12. Dernières années de Guillaume le Conquérant
Philippe Ier succède à Henri Ier en 1060 comme roi des Francs, et règne seul à partir de 1066. Le roi veut réduire l’influence de Guillaume, son plus puissant vassal. Il trouve l’appui du comte d’Anjou Foulques IV et de Robert le Frison, comte de Flandre. Alors que Guillaume assiège Dol-de-Bretagne en 1076 pour réduire une rébellion, Philippe Ier lui inflige une grave défaite. Dans la foulée, le roi des Francs s’empare du Vexin français. En outre, Philippe Ier appuie à partir de 1078 le fils aîné de Guillaume, Robert Courtehouse, en conflit avec son père. Odon de Bayeux, qui est soupçonné de manoeuvrer pour devenir le nouveau pape, est enfermé par Guillaume de 1082 à 1087. Les troubles reprennent en Angleterre en 1074 et 1075. Ralph, duc de Norfolk et de Suffolk, se rebelle avec l’appui de Roger, comte de Hereford. En Normandie, les faides, c’est-à-dire les guerres privées, ne se sont jamais vraiment arrêtées. Guillaume le Conquérant parvient toutefois à maintenir l’intégrité de ses territoires.
La mort de Guillaume le Conquérant
Alors qu’il lance une expédition dans le Vexin français à partir de juillet 1087, il tombe malade à Mantes, peut-être à cause d’une blessure. Il agonise alors au prieuré de Saint-Gervais et règle sa succession : à Robert Courtehouse le duché de Normandie, à Guillaume le Roux le royaume d’Angleterre. Henri reçoit de l’argent. Guillaume le Conquérant meurt le 9 septembre 1087. Il est inhumé à l’abbaye Saint-Étienne à Caen.
13. Le Domesday Book : le cadastre de Guillaume le Conquérant
Le Domesday Book (Livres du Jugement Dernier) est un cadastre général du royaume d’Angleterre. C’est un inventaire des domaines fonciers du royaume et par conséquent, un remarquable outil de connaissance pour gouverner. Le manuscrit original du Domesday Book existe toujours et est conservé à Londres. Sa rédaction est décidée dans la perspective d’une invasion danoise pour définir une stratégie militaire : faut-il créer un impôt pour recruter une armée de mercenaire, ou demander un service militaire aux barons ? Le Domesday Book est composé de deux volumes : le « Great Domesday » et le « Little Domesday ».
Tous les comtés de l’Angleterre au sud d’une ligne partant de la rivière Tees jusqu’à la rivière Ribbel sont recensés. Au-dessus, l’emprise normande semble trop faible. Sur ces territoires, le Domesday Book recense 2 250 000 habitants.
Le Little Domesday semble être un travail préparatoire dont le Great Domesday est le résultat final. Pour chaque comté, une entrée décrit les possessions d’un propriétaire, ses manoirs, leur valeur, l’évaluation du montant de ses taxes, le nombre de paysans et de charrues, et d’autres informations comme la présence de moulins, d’élevages, l’identité du propriétaire avant la conquête. La ville principale de chaque comté occupe aussi une entrée spécifique. On trouve néanmoins dans le Little Domesday les résultats pour les comtés de Norfolk, Suffolk et Essex. Il existe d’autres versions du Domesday Book. L’Exon Domesday contient les résultats pour le Somerset, la Cornouilles et le Devon et l’Inquisition Eliensis les résultats pour les domaines de l’abbaye d’Ely. La décision de constituer ce cadastre semble être prise en 1085. Selon Bates (Bates, p.304), on est certain que l’enquête est terminée à l’automne 1086, et présentée une première fois le 1er août de la même année à Guillaume.
14. Guillaume le Conquérant et la tapisserie de Bayeux
La tapisserie de Bayeux, peut-être commandée par Odon de Bayeux, est en réalité une broderie. En effet, une tapisserie intègre le décor dans le tissu. Or, sur la tapisserie de Bayeux, des motifs ont été brodés à l’aiguille sur du tissu blanc. On ne connaît pas sa date exacte de fabrication, peu après la conquête de l’Angleterre peut-être, ni son lieu de fabrication, sûrement en Angleterre. La tapisserie de Bayeux représente une succession de scènes de l’envoi d’Harold par Édouard le Confesseur en Normandie jusqu’à la bataille d’Hastings.
15. La famille de Guillaume le Conquérant
Mathilde de Flandre
Mathilde de Flandre, la femme de Guillaume, est issue d’une lignée plus prestigieuse que celle de son mari. Sa mère, Adèle de France, est en effet la fille de Robert le Pieux, roi des Francs (996 – 1031). Son père, Baudouin V, le comte de Flandre, est lui apparenté à la famille du roi des Francs ainsi qu’à celle de l’empereur germanique. Mathilde meurt en le 2 novembre 1083, presque 4 ans avant son époux. Elle est régente à plusieurs reprises en Normandie. Quand en 1081-1082, Guillaume combat le comte d’Anjou, elle est au contraire aux affaires en Angleterre.
Les frères de Guillaume : Odon de Bayeux et Robert de Mortain
Odon, le demi-frère de Guillaume par Arlette de Falaise, est nommé évêque de Bayeux à la fin 1049 ou au début 1050. C’est un personnage important jusqu’à ce qu’il tombe en disgrâce dans les années 1080. Nommé comte de Kent après la conquête de l’Angleterre, il fait bâtir une cathédrale à Bayeux dont certaines parties ont survécu jusqu’à nous. Surtout, c’est Odon qui aurait commandé la tapisserie de Bayeux, sûrement faite en Angleterre, et probablement exposée lors de la consécration de la cathédrale le 14 juillet 1077. Une scène de la tapisserie dépeint d’ailleurs Odon, Guillaume et Robert de Mortain en conseil avant la bataille d’Hastings. Odon parle, Guillaume écoute, comme si la tapisserie voulait suggérer qu’Odon était le véritable maitre d’oeuvre de la conquête de l’Angleterre ! Robert, l’autre demi-frère de Guillaume, obtient avant 1066 le comté de Mortain (département de la Manche). Après la conquête, il obtient des terres en Cornouailles, dans le Yorkshire, autour de Pevensey et en d’autres lieux.
Les fils de Guillaume
Robert, dit Robert Courteheuse, futur Robert II de Normandie, né aux environs de 1053, est désigné hériter du duché avant 1066. En tant que comte du Maine à partir de 1063, il est vassal du comte d’Anjou. Après 1072, il entre en conflit avec son père. C’est son frère Guillaume, puis Henri, et non lui, qui deviennent roi d’Angleterre. En 1096, il part pour la première croisade, et meurt comme captif de Henri en 1134. Richard, né aux environs de 1055, meurt en Angleterre dans un accident de chasse entre 1069 et 1074. Guillaume, né aux environs de 1060, succède à son père en Angleterre en 1087 comme Guillaume II d’Angleterre dit Guillaume le Roux. En 1096, à l’occasion du départ son frère Robert en croisade, il réunit la Normandie et l’Angleterre sous son pouvoir. Il est meurt accidentellement 4 ans plus tard, en 1100. Henri, né 1069, futur Henri Ier Beauclerc. Il succède à son frère Guillaume sur le trône d’Angleterre en 1100, puis s’empare du duché de Normandie aux dépends de Robert en 1106. Henri Beauclerc est le grand-père d’Henri Plantagenêt.
Les filles de Guillaume
Guillaume a probablement 5 filles. Cécile devient novice à l’abbaye de la Trinité de Caen autour de ses sept ans. Elle devient ensuite abbesse en 1113 et meurt en 1127. Adèle de Blois, la plus jeune des filles, est mariée à Étienne, comte de Blois et de Chartres, autour de 1080. Elle donne naissance en 1092 ou 1096 à Étienne, futur roi d’Angleterre (1135 – 1141). Constance est mariée en 1086 à Alain IV de Bretagne, dit Alain Fergent. Elle meurt cependant en 1090. La vie de ses autres filles est mal connue.
Bibliographie
- Bates David, William the Conqueror, Tempus, 2004, 287 p.
- Bates David, « Portrait historique du Conquérant », L’Histoire, 06/2016 (n°424), p. 34 – 48
- Genet Jean-Philippe, » Et l’Angleterre devint européenne », L’Histoire, 06/2016 (n°424), p.48 – 53
Chef d’oeuvre à ne pas rater : voir la célèbre tapisserie de Bayeux. C’est superbe et émouvant
une page d’histoire historique des plus fidelle ,tres beau travail !!! merci
Superbe description de cette épopée.Se lit avec grand plaisir.merci
Merci Diana !