Le cygne | Poème de Sully Prudhomme
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Sans bruit, sous le miroir des
lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l’onde avec ses
larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est
pareil
A des neiges d’avril qui croulent au
soleil ;
Mais, ferme et d’un blanc mat,
vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un
blanc navire.
Il dresse son beau col au-dessus des
roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les
eaux,
Le courbe gracieux comme un profil
d’acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge
éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour
d’ombre et de paix,
Il serpente, et, laissant les
herbages épais
Traîner derrière lui comme une
chevelure,
Il va d’une tardive et languissante
allure.
La grotte où le poète écoute ce qu’il
sent,
Et la source qui pleure un éternel
absent,
Lui plaisent ; il y rôde ; une
feuille de saule
En silence tombée effleure son
épaule.
Tantôt il pousse au large, et, loin
du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de
l’azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur
qu’il admire,
La place éblouissante où le soleil se
mire.
Puis, quand les bords de l’eau ne se
distinguent plus,
A l’heure où toute forme est un
spectre confus,
Où l’horizon brunit rayé d’un long
trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul
ne bouge,
Que les rainettes font dans l’air
serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune
luit,
L’oiseau, dans le lac sombre où sous
lui se reflète
La splendeur d’une nuit lactée et
violette,
Comme un vase d’argent parmi des
diamants,
Dort, la tête sous l’aile, entre deux
firmaments.
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