Le 8 décembre 1793, Jeanne Bécu (1743 – 1793), connue comme madame du Barry ou la comtesse du Barry, dernière maîtresse du roi de France Louis XV (1715 – 1774) de 1768 à sa mort en 1774, aurait demandé un ultime répit au bourreau Samson avant d’être guillotinée, place de la Concorde à Paris : « Encore un moment monsieur le bourreau ! ». En pleine Révolution, ses voyages répétés à Londres, effectués pour récupérer des bijoux volés, auraient éveillé le soupçon des autorités. Elle est arrêtée en vertu de la loi des suspects (17 septembre 1793) et condamnée à mort.
« Encore un moment monsieur le bourreau » : une citation apocryphe ?
Cette célèbre réclamation de la comtesse du Barry est probablement apocryphe. En effet, il semble qu’aucune source écrite de l’époque ne l’atteste. Dominique Noguez (1942 – 2019) détourne la citation de la du Barry dans le titre de son dernier ouvrage, Encore une citation, monsieur le Bourreau !, et s’en sert en préface pour illustrer sa démarche, ne présenter au public que des citations fondées sur des sources, et finit par affirmer, devant l’absence de ces dernières :
… donc, je ne ferai pas entrer dans cette anthologie le mot trop douteux – car non écrit sur le moment précis par un témoin avéré – de la comtesse du Barry.
On connaît d’ailleurs plusieurs versions de cette citation :
Encore un moment, monsieur le bourreau !
Encore un instant, monsieur le bourreau !
Encore une minute, monsieur de le bourreau !
Comme nombre de citations apocryphes, celle-ci est toutefois restée dans les mémoires en raison de sa force évocatrice et de sa grandeur dramatique. Elle vient terminer une vie qui peut être facilement tournée en tragédie : une femme du commun devenue favorite, réputée pour sa beauté singulière, déchue de son statut après la mort de son protecteur, qui finit victime d’une exécution sordide après une vaine et déchirante tentative de repousser l’inéluctable. Elle est parfois employée (par exemple ici ou là) ou détournée par la presse et la littérature.
Fiodor Dostoïevski (1821 – 1881) a fait le récit, dans L’Idiot (1869), sur fond de questionnement religieux, de la mort de madame du Barry :
Voice quelle fut sa mort : après tant d’honneurs, après s’être vue quasiment souveraine, elle a été guillotinée par le bourreau Samson ; elle était innocente, mais il fallait cela pour la satisfaction des poissardes de Paris. Sa frayeur était telle qu’elle ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Lorsque Samson lui fit courber la tête et la poussa à coups de pied sous le couperet, elle se mit à crier : « encore un moment, monsieur le bourreau, encore un moment ! « . Eh bien, pour cette minute, le seigneur lui pardonnera peut-être, car il est impossible à l’âme humaine d’imaginer une situation plus douloureuse […]
Le frères Goncourt (1822-1892 pour Edmond, 1830 – 1870 pour Jules), dans La du Barry (1878), dramatisent sa mort, vue comme celle d’une innocente affligée :
En montant sur la charrette, madame du Barry, à laquelle le matin, lors de sa déclaration entre deux guichets, le juge Denisot avait vaguement promis sa grâce, et qui, les cheveux déjà coupés, ne croyait pas mourir, madame du Barry devenait blanche comme la robe qu’elle portait.
La foule, la foule d’un dimanche, attendait la malheureuse femme. Et dans cette foule, au premier plan, la condamnée put apercevoir Greive, qui le soir disait : « Je n’ai jamais tant ri qu’aujourd’hui, en voyant les grimaces que faisait cette belle…pour mourir. »
Les chevaux se mettaient à marcher lentement.
Le peuple se pressait pour regarder passer la courtisane du ci-devant tyran [en italique].
Celle qu’on regardait ne voyait rien, n’entendait rien ; elle ne faisait que soupirer, sangloter, étouffer. Ses compagnons de route, qui devaient être ses compagnons d’arrivée, les Vandenyver, cherchaient à la soutenir de leurs paroles, le conventionnel Noël s’efforçait de lui donner son courage : elle ne leur répondait que par des regards morts, des mouvements de lèvres inertes.
Tout à coup, auprès du Palais-Royal, à la barrière des Sergents, levant les yeux, elle apercevait le balcon d’un magasin de modes où les ouvrières s’étaient rangées pour voir une dernière fois au passage celle qui avait été madame du Barry : ce magasin était la maison où elle avait été ouvrière en modes…Peut-être alors, dans un de ces éclairs de l’agonie, dans une de ces lucidités de la dernière heure qui précipitent le souvenir et les images de toute une vie, madame du Barry revivait tout son passé sa jeunesse, puis Versailles, puis Lucienne…Rêve d’une seconde dont elle sortait en poussant des cris, des cris perçants, des cris déchirants qui s’entendaient d’un bout à l’autre de la rue Saint-Honoré.
L’exécuteur et ses deux aides avaient peine à maintenir la condamnée, à retenir sur la charrette la frénésie de son corps que les convulsions de la peur poussaient à se précipiter à bas.
Aux violences, aux cris, succédaient les implorations mêlées de larmes ; et la femme, le front et les yeux balayés de ses courts cheveux, se penchait au-dessus des curieux de sa mort pour leur dire : « Mes amis…sauvez-moi…je n’ai jamais fait de mal à personne…au nom du ciel, sauvez-moi ! »
La foule s’étonnait. On était habitué à si bien voir mourir, à voir mourir à la bravade [en italique], que cette femme semblait pour la première fois une femme qu’on allait tuer.
Elle, cependant, toujours en larmes, répétait : » La vie ! la vie !…qu’on me laisse la vie, je donne tous mes biens à la nation. »
« Tes biens ! mais tu ne donnes à la nation que ce qui lui appartient déjà… » Un charbonnier placé devant l’insulteur se retournait et, sans dire un mot, lui appliquait un soufflet.
Il se levait dans les groupes silencieux, stupéfiés, cette première émotion qui est dans un peuple comme l’ébranlement de la pitié.
L’officier faisait fouetter les chevaux de la charrette et brusquait le spectacle…
La charrette arrivait place de la Révolution à quatre heures trente minutes de relevée.
Madame du Barry descendait la première. On l’entendait sur l’escalier de l’échafaud, éperdue, désespérée, folle d’angoisse et de terreur, se débattre, supplier, demander grâce à l’exécuteur, demander : « Encore une minute, monsieur le bourreau ! » puis, sous le couteau, crier : » À moi ! à moi ! » comme une femme assassinée par des voleurs.
On attribue à Madame du Barry une autre citation célèbre : « France, ton café fout le camp ! »
Bonjour,
»En pleine Révolution, ses voyages répétés à Londres, effectués pour récupérer des bijoux volés, aurait éveillé le soupçon des autorités. »
Il me semble qu’il serait judicieux de conjuguer l’auxiliaire »aurait » et de changer pour »auraient », le sujet grammatical étant »voyages ».
Merci pour ce très joli site !