« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » : cette célèbre phrase est associée à la bataille de Fontenoy (en Wallonie actuelle), affrontement qui opposa le 11 mai 1745 une armée austro-hollando-anglaise sous commandement du duc William de Cumberland à une armée française sous commandement de Maurice de Saxe, dans le cadre de la guerre de Succession d’Autriche. Mais elle est plus peut-être une invention postérieure de Voltaire (1694 – 1778).
La bataille de Fontenoy
Les Français y remportèrent une victoire de justesse sous les yeux du roi Louis XV (1715 – 1774) et du dauphin. Au cours de la bataille, Milord Charles Hay, capitaine aux Gardes anglaises, et le comte d’Anterroches, capitaine des grenadiers aux Gardes françaises, se seraient mutuellement salués alors que leurs troupes se faisaient face. Le premier aurait alors invité le second à tirer le premier. L’invitation aurait été renvoyée. « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » est restée dans la mémoire collective comme le symbole de la courtoisie française ou du panache de ses militaires.
L’origine de « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »
Éric de Saint-Denis, dans un article analysant le caractère mythique de la bataille de Fontenoy dans la mémoire collective française, revient sur la genèse de cette citation. Aucune source ne permet d’affirmer l’authenticité de cet épisode. Dans la forme dans laquelle on la connaît, on devrait plutôt cette anecdote à Voltaire, qui la rapporte dans deux textes, l’Histoire de la guerre de 1741 et le Précis du siècle de Louis XV (le premier texte, travaillé jusqu’en 1748, et repris dans le second, terminé en 1755) sous une forme différente de celle retenue par la tradition :
Cependant les Anglais avançaient, et cette ligne d’infanterie, composée des Gardes françaises et suisses et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du régiment du Roi, s’approchait de l’ennemi, où était à cinquante pas de distance un régiment des Gardes anglaises. Celui de Cambel et le Royal Écossais étaient les premiers, M. de Cambel était leur lieutenant-général ; le comte d’Albemal, le général-major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Malbouroug, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés leur rendirent le salut. Mylord Charles Hay, capitaine aux Gardes anglaises, cria : Messieurs des Gardes françaises, tirez.
Le comte d’Antroche, alors lieutenant des Grenadiers, et depuis capitaine, leur dit à voix haute : Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers, tirez vous-même. Alors le capitaine dit aux siens en anglais : faites feu.
Les officiers des gardes françaises se dirent alors les uns aux autres : « Il faut aller prendre le canon des Anglais. » Ils y montèrent rapidement avec leurs grenadiers, mais ils furent bien étonnés de trouver une armée devant eux. L’artillerie et la mousqueterie en couchèrent par terre près de soixante, et le reste fut obligé de revenir dans ses rangs.
Cependant les Anglais avançaient, et cette ligne d’infanterie, composée des gardes françaises et suisses, et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du régiment du roi, s’approchait de l’ennemi. On était à cinquante pas de distance. Un régiment des gardes anglaises, celui de Campbell, et le royal-écossais, étaient les premiers : M. de Campbell était leur lieutenant général ; le comte d’Albemarle, leur général major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Marlborough, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises leur rendirent le salut, Milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes françaises, tirez. »
Le comte d’Auteroche, alors lieutenant des grenadiers et depuis capitaine, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes. »
L’anecdote est en revanche absente de son poème La Bataille de Fontenoy, écrit dans les jours qui l’ont suivie. Selon Éric de Saint-Denis, l’insertion de ce dialogue aurait pu répondre à la demande d’un courtisan ou d’un ami, ou Voltaire aurait pu être emporté par la volonté de teinter son récit de lyrisme héroïque. Toutefois, elle est aussi rapportée par une lettre anonyme non datée, dans les termes suivants :
[…] les officiers de la première ligne saluèrent les nôtres en leur disant : « À vous Messieurs les Français à tirer !« . Le salut leur fut rendu, et ils tirèrent les premiers.
Rapporté par Éric Saint-Denis
Si rien ne dit à quelle source a puisé cette lettre, l’existence de deux sources différentes pourrait faire penser, sans aucune certitude, à la véracité de ce dialogue, d’autant qu’il existait une telle courtoisie militaire au XVIIIe siècle.
La seule survivance de la bataille de Fontenoy ?
Oubliée pendant la Révolution, le souvenir glorieux de la victoire de Fontenoy est exploité par la propagande royale pendant la Restauration. Il survit dans la littérature du XIXe siècle, puis dans les manuels scolaires de la deuxième partie du siècle, pour s’effacer peu à peu ensuite, contrairement à d’autres affrontements célèbres (comme Marignan en 1515). La formule a en revanche survécu au souvenir de la bataille. C’est là le pouvoir extraordinaire de Voltaire. Il a contribué à forger la représentation que les Français se font de leur propre histoire.
Tournure éculée des intitulés d’articles critiques du Royaume-Uni, elle a été ainsi reprise par des tribunes écrites à propos du Brexit (« Messieurs les Anglais, tirez-vous les premiers ! », « Messieurs les Anglais, partez les premiers ! », « Brexit: mesdames et messieurs les Anglais, payez les premiers ! »), ou, autre exemple, à propos du football anglais.
Voltaire dont j’aime les écrits, qui aimait l’Angleterre, aurait sûrement trouvé une anecdote pour se moquer de notre condition actuelle. Bien que nous soyons à l’avant-garde de la vaccination, les décès dus au Covid-19 approchent les 100 000, et en même temps, hélas, le départ de l’E-U s’avère aussi problématique que des millions d’entre nous qui s’y opposaient le craignaient. Peut-être qu’une autre anecdote de Voltaire servira:
Candide & Martin vont sur les côtes d’Angleterre, ce qu’ils y voyent.
Ils abordèrent à Portsmouth ; une multitude de peuple couvrait le rivage, & regardait attentivement un assez gros homme qui était à genoux, les yeux bandés, sur le tillac d’un des vaisseaux de la flotte ; quatre soldats postés vis-à-vis de cet homme lui tirèrent chacun trois balles dans le crâne le plus paisiblement du monde, & toute l’assemblée s’en retourna extrêmement satisfaite. Qu’est-ce donc que tout ceci ? dit Candide, & quel Démon exerce par-tout son empire ? Il demanda qui était ce gros homme qu’on venait de tuer en cérémonie. C’est un Amiral, lui répondit-on ? Et pourquoi tuer cet Amiral ? C’est, lui dit-on, parce qu’il n’a pas fait tuer assez de monde ; il a livré un combat à un Amiral Français, & on a trouvé qu’il n’était pas assez près de lui ; mais, dit Candide, l’Amiral Français était aussi loin de l’Amiral Anglais que celui-ci l’était de l’autre ? Cela est incontestable, lui repliqua-t-on. Mais dans ce pays-ci il est bon de tuer de tems en tems un Amiral pour encourager les autres.
Pour ADRIAN.
Il parait utile de remarquer à titre liminaire qu’en ces époques les princes et nobles de haut-rang combattent à la tête de leur propre armée au service du roi. Ils s’entendent préalablement à chaque bataille sur la stratégie et les mesures tactiques en fonction des adversaires et des lieux d’affrontement.
Joseph Comte d’Anterroches est Lieutenant Général des armées du roi de france. À ce titre, porte-parole du souverain face aux princes et nobles de haut-rang.
Lors de la Bataille de Fontenoy, il y fort à parier qu’il n’est pas à portée de voix des anglais et qu’il fait face aux princes et nobles de haut-rang (et donc tourne le dos auxdits anglais) quand (très probablement) il déclare aux princes et nobles de haut-rang :
MESSIEURS… LES ANGLAIS… TIREZ LES PREMIERS…
Autrement dit,
« Messieurs,
(en les désignant dans son dos) les anglais,
(vous avez l’assentiment du roi par ma voix sur ce que vous avez souhaité faire pour surprendre nos adversaires) tirez les premiers ».
Il est dommage que vous vous limitiez à la version de l’inspection générale de l’Éduc’Nat’ tant elle est grotesque.
Présenter (au moins) les deux versions aurait le mérite de ne pas museler le débat.
Merci de votre attention.
Très cordialement.
votre version peut être soutenue. mais elle ignore l’art militaire de l’époque. Les fusils se chargeaient par la gueûle et il fallait mettre l’amorce sous le chien. Donc on tirait au maximum un coup toutes les 30 secondes, voire par minute ! Par ailleurs les régiments se plaçaient bien rangés en ligne face à face (d’où l’appellation de « régiment de ligne »). « on se fusillait véritablement disait un officier ». Alors celui qui tirait le premier n’avait plus qu’à charger à la baïonnette car l’autre régiment s’avançait et tirait de plus près. ceci est bien illustré dans le film « Barry Lindon » !
D’où cette recommandation : « tirez les premiers messieurs les Français, et la réplique.
Je crois que c’est Claude Duneton qui proposait un excellent exercice de ponctuation, montrant combien cette citation est équivoque.