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« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » : quelle origine ?

Publié le 01/02/2019 (m.à.j* le 21/11/2022)
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« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » : cette célèbre phrase est associée à la bataille de Fontenoy (en Wallonie actuelle), affrontement qui opposa le 11 mai 1745 une armée austro-hollando-anglaise sous commandement du duc William de Cumberland à une armée française sous commandement de Maurice de Saxe, dans le cadre de la guerre de Succession d’Autriche. Mais elle est plus peut-être une invention postérieure de Voltaire (1694 – 1778).

La bataille de Fontenoy

messieurs les anglais tirez les premiers
Wikimedia Commons

Les Français y remportèrent une victoire de justesse sous les yeux du roi Louis XV (1715 – 1774) et du dauphin. Au cours de la bataille, Milord Charles Hay, capitaine aux Gardes anglaises, et le comte d’Anterroches, capitaine des grenadiers aux Gardes françaises, se seraient mutuellement salués alors que leurs troupes se faisaient face. Le premier aurait alors invité le second à tirer le premier. L’invitation aurait été renvoyée. « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » est restée dans la mémoire collective comme le symbole de la courtoisie française ou du panache de ses militaires.

L’origine de « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »

Éric de Saint-Denis, dans un article analysant le caractère mythique de la bataille de Fontenoy dans la mémoire collective française, revient sur la genèse de cette citation. Aucune source ne permet d’affirmer l’authenticité de cet épisode. Dans la forme dans laquelle on la connaît, on devrait plutôt cette anecdote à Voltaire, qui la rapporte dans deux textes, l’Histoire de la guerre de 1741 et le Précis du siècle de Louis XV  (le premier texte, travaillé jusqu’en 1748, et repris dans le second, terminé en 1755) sous une forme différente de celle retenue par la tradition :

Cependant les Anglais avançaient, et cette ligne d’infanterie, composée des Gardes françaises et suisses et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du régiment du Roi, s’approchait de l’ennemi, où était à cinquante pas de distance un régiment des Gardes anglaises. Celui de Cambel et le Royal Écossais étaient les premiers, M. de Cambel était leur lieutenant-général ; le comte d’Albemal, le général-major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Malbouroug, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés leur rendirent le salut. Mylord Charles Hay, capitaine aux Gardes anglaises, cria : Messieurs des Gardes françaises, tirez.

Le comte d’Antroche, alors lieutenant des Grenadiers, et depuis capitaine, leur dit à voix haute : Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers, tirez vous-même. Alors le capitaine dit aux siens en anglais : faites feu.

Histoire de la guerre de 1741

Les officiers des gardes françaises se dirent alors les uns aux autres : « Il faut aller prendre le canon des Anglais. » Ils y montèrent rapidement avec leurs grenadiers, mais ils furent bien étonnés de trouver une armée devant eux. L’artillerie et la mousqueterie en couchèrent par terre près de soixante, et le reste fut obligé de revenir dans ses rangs.

Cependant les Anglais avançaient, et cette ligne d’infanterie, composée des gardes françaises et suisses, et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du régiment du roi, s’approchait de l’ennemi. On était à cinquante pas de distance. Un régiment des gardes anglaises, celui de Campbell, et le royal-écossais, étaient les premiers : M. de Campbell était leur lieutenant général ; le comte d’Albemarle, leur général major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Marlborough, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Biron, qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises leur rendirent le salut, Milord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes françaises, tirez. »

Le comte d’Auteroche, alors lieutenant des grenadiers et depuis capitaine, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes. »

Précis du siècle de Louis XV

L’anecdote est en revanche absente de son poème La Bataille de Fontenoy, écrit dans les jours qui l’ont suivie. Selon Éric de Saint-Denis, l’insertion de ce dialogue aurait pu répondre à la demande d’un courtisan ou d’un ami, ou Voltaire aurait pu être emporté par la volonté de teinter son récit de lyrisme héroïque. Toutefois, elle est aussi rapportée par une lettre anonyme non datée, dans les termes suivants :

[…] les officiers de la première ligne saluèrent les nôtres en leur disant : « À vous Messieurs les Français à tirer !« . Le salut leur fut rendu, et ils tirèrent les premiers.

Rapporté par Éric Saint-Denis

Si rien ne dit à quelle source a puisé cette lettre, l’existence de deux sources différentes pourrait faire penser, sans aucune certitude, à la véracité de ce dialogue, d’autant qu’il existait une telle courtoisie militaire au XVIIIe siècle.

La seule survivance de la bataille de Fontenoy ? 

Oubliée pendant la Révolution, le souvenir glorieux de la victoire de Fontenoy est exploité par la propagande royale pendant la Restauration. Il survit dans la littérature du XIXe siècle, puis dans les manuels scolaires de la deuxième partie du siècle, pour s’effacer peu à peu ensuite, contrairement à d’autres affrontements célèbres (comme Marignan en 1515). La formule a en revanche survécu au souvenir de la bataille. C’est là le pouvoir extraordinaire de VoltaireIl a contribué à forger la représentation que les Français se font de leur propre histoire. 

Tournure éculée des intitulés d’articles critiques du Royaume-Uni, elle a été ainsi reprise par des tribunes écrites à propos du Brexit (« Messieurs les Anglais, tirez-vous les premiers ! », « Messieurs les Anglais, partez les premiers ! », « Brexit: mesdames et messieurs les Anglais, payez les premiers ! »), ou, autre exemple, à propos du football anglais.