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La statue – La Vénus d’Ille – Prosper Mérimée

Publié le 12/06/2017 (m.à.j* le 19/03/2020)
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 Vénus d'Îlle
Le Désespéré, Gustave Courbet, 1843

La Vénus d’Ille (1837) est une nouvelle fantastique de Prosper Mérimée (1803 – 1870).

La veille du jour de son mariage, M.Alphonse a passé son alliance au doigt d’une statue de Vénus, découverte par son père. Il a donné un autre anneau à sa femme. 

Le soir, M.Alphonse est nerveux. Mérimée installe alors une atmosphère inquiétante. 

 

La Vénus d’Ille (1837) : l’anneau et la statue


M. Alphonse me tira dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en détournant les yeux :

Vous allez vous moquer de moi… Mais je ne sais ce que j’ai… je suis ensorcelé ! le diable m’emporte !

La première pensée qui me vint fut qu’il se croyait menacé de quelque malheur du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame de Sévigné : « Tout l’empire amoureux est plein d’histoires tragiques, » etc.

Je croyais que ces sortes d’accidents n’arrivaient qu’aux gens d’esprit, me dis-je à moi-même.

— Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur Alphonse, lui dis-je. Je vous avais prévenu.

— Oui, peut-être. Mais c’est quelque chose de bien plus terrible.

Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre.

— Vous savez bien, mon anneau ? poursuivit-il après un silence.

— Eh bien ! on l’a pris ?

— Non.

— En ce cas, vous l’avez ?

— Non… je… je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus.

— Bon ! vous n’avez pas tiré assez fort.

Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt.

Il me regardait fixement d’un air hagard, s’appuyant à l’espagnolette pour ne pas tomber.

— Quel conte ! lui dis-je. Vous avez trop enfoncé l’anneau. Demain vous l’aurez avec des tenailles. Mais prenez garde de gâter la statue.

— Non, vous dis-je. Le doigt de la Vénus est retiré, reployé ; elle serre la main, m’entendez-vous ?… C’est ma femme, apparemment, puisque je lui ai donné mon anneau… Elle ne veut plus le rendre.

J’éprouvai un frisson subit, et j’eus un instant la chair de poule. Puis, un grand soupir qu’il fit m’envoya une bouffée de vin, et toute émotion disparut.

Le misérable, pensai-je, est complètement ivre.

— Vous êtes antiquaire, monsieur, ajouta le marié d’un ton lamentable ; vous connaissez ces statues-là… il y a peut-être quelque ressort, quelque diablerie, que je ne connais point… Si vous alliez voir ?

— Volontiers, dis-je. Venez avec moi.

— Non, j’aime mieux que vous y alliez seul.

Je sortis du salon.

Le temps avait changé pendant le souper, et la pluie commençait à tomber avec force. J’allais demander un parapluie, lorsqu’une réflexion m’arrêta. Je serais un bien grand sot, me dis-je, d’aller vérifier ce que m’a dit un homme ivre ! Peut-être, d’ailleurs, a-t-il voulu me faire quelque méchante plaisanterie pour apprêter à rire à ces honnêtes provinciaux ! et le moins qu’il puisse m’en arriver, c’est d’être trempé jusqu’aux os et d’attraper un bon rhume.

De la porte je jetai un coup d’œil sur la statue ruisselante d’eau, et je montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je me couchai ; mais le sommeil fut long à venir.