Si tout le monde connaît, au moins dans les grandes lignes, la Torah écrite, que les chrétiens appellent l’Ancien Testament, très peu connaissent réellement la Torah orale, le Talmud. Talmud signifie littéralement « étude » en hébreu. L’éducation religieuse des enfants juifs se fait aujourd’hui par le Talmud Torah : des classes d’étude de la Torah pour donner les fondements d’éducation religieuse à l’enfant. Torah est un mot hébraïque que l’on pourrait traduire par « manuel », « mode de fonctionnement ». Le Talmud, fondamentalement, serait alors l’étude de ce véritable « manuel de la vie » qui est, pour les juifs, le corpus hébraïque.
Il paraît compliqué de comprendre pourquoi les juifs auraient besoin d’un corpus supplémentaire à la Torah écrite, c’est-à-dire à l’Ancien Testament. Pourquoi celle-ci, émanant directement de Dieu, ne serait pas suffisante ? Le Deutéronome, un des livres de la Torah, dit que l’interprétation de ses préceptes doit être confiée aux sages des générations à venir, à un guide interprétatif :
Selon la doctrine qu’ils t’enseigneront, selon la règle qu’ils t’indiqueront, tu procéderas ; ne t’écarte de ce qu’ils t’auront dit ni à droite ni à gauche
Deutéronome 17 : 11
Cette partie du Deutéronome et de ce « guide interprétatif » a fondé le pouvoir d’interprétation de l’Écriture par l’Église catholique et sa légitimité à fixer des règles. La différence étant que l’Alliance ayant été ouverte par Jésus par les catholiques, ce ne serait plus au peuple juif d’interpréter la loi, mais aux descendants de saint Pierre, sur qui la nouvelle Alliance repose. Le Talmud est donc un des principaux travaux d’aboutissement et de commentaire de cette loi orale, produit en Babylonie et en Galilée, du IIIe à la fin du Ve siècle de l’ère chrétienne.
Le Talmud a suscité fantasmes et dénigrements de l’Europe médiévale à nos jours. Les livres du Pentateuque, des Prophètes et des Hagiographes, parties intégrantes du corpus chrétien, n’ont plus été attaqués sérieusement par la théologie chrétienne après la condamnation du marcionisme (144). Pour s’en prendre aux juifs, c’est donc le Talmud qui a été utilisé, à la fois par une frange antisémite de l’Église, mais aussi par toutes les autres formes d’antisémitisme, religieuses ou non.
À cette fin, de nombreuses citations tronquées, voire sorties sans vergogne de leur contexte, ont été utilisées pour montrer le caractère supposément atroce de ce texte. Pire encore : de faux Talmud ont été publiés à travers l’Histoire. Des citations de ces faux Talmud, composées de références absolument inexistantes, refont leur émergence sur Internet, prétextant que la loi orale des juifs prétendrait que les relations avec les enfants sont autorisées, qu’il faut mépriser et blâmer le non-juif, voire, pire, qu’il serait permis de le voler ou de le tuer.
Il est essentiel de combattre ces mensonges.
Voir ici : la tradition juive des trois semaines
Le Talmud : une définition
Pour comprendre ce qu’est le Talmud, il faut tout d’abord revenir à l’histoire biblique.
Tout part du Mont Sinaï. Moïse reçoit les Tables de la Loi et se voit inspirer les cinq livres de la Torah écrite.
Mais ses prescriptions restent difficiles à décrypter. En apparence, c’est un mélange de récits, souvent contradictoires les uns avec les autres, aux lois parfois sensées et accessibles, parfois très dures à comprendre et extrêmement floues. Par ailleurs, l’hébreu étant une langue consonantique, la Torah écrite n’a pas de voyelles. Elle est, en l’état, difficilement compréhensible sans l’aide de la tradition orale.
Sur le Mont Sinaï, Moïse aurait donc reçu les méthodes d’exégèse de cette Torah, ainsi que les principales modalités d’application de celle-ci. Petit exemple : le livre de l’Exode et le Deutéronome disent :
Tu les attacheras [ces paroles] en signe sur ta main et elles seront comme fronteaux entre tes yeux
Deut. 6, 5;10, traduction chabad.org
De quoi s’agit-il ? La loi orale joue aussi le rôle d’un véritable « mode d’emploi » : la Torah écrite parle ici des tefilin, les phylactères que les juifs mettent chaque matin au bras et sur le front. Certes, le sens allégorique et métaphorique n’est pas exclu, mais la logique du texte inspiré par le divinité incite à l’interprétation littérale. Alors, que sont ces phylactères ? En quel cuir doivent-ils être fabriqués ? Comment les mettre ? C’est à ces questions que la loi orale répond.
Si la loi orale est d’abord une œuvre de transmission orale de génération en génération de juifs, elle fait l’objet à certaines époques de compilations qui aboutissent progressivement au Talmud. En 587 avant l’ère chrétienne, le royaume de Juda est conquis par l’Empire néo-babylonien. Une partie de la population de Jérusalem est déportée à Babylone, puis, à la suite de la conquête de la Babylonie par l’Empire perse, les juifs se disséminent partout dans les métropoles perses. À la fin du VIe siècle avant l’ère chrétienne, l’empereur Cyrus II redonne aux juifs le droit de retourner sur leurs terres, après la proclamation d’un décret en 538 av. J.-C. Le Second Temple est construit. Environ un siècle plus tard, autour de 450 av. J.-C., le scribe Esdras, un des leaders politiques des juifs dans la Perse de l’époque, lance de nouveau un grand appel au retour sur la terre d’Israël. Les livres d’Esdras et de Néhémie, reconnus par le canon chrétien, sont rédigés, et la Grande Assemblée, constatant que la loi orale est partiellement délaissée par les juifs de l’époque, commence à compiler la tradition orale. Elle fixe le canon biblique en incorporant par exemple les livres des Prophètes et le livre de Ruth, et re-fixe certains fondamentaux de la loi orale, notamment sur le plan des règles d’exégèse biblique.
Les juifs font face à une situation inédite lorsque le Second Temple est détruit par l’Empire romain en 70 de l’ère chrétienne. La tradition orale avait jusque-là été transmise de maîtres à élèves génération après génération, mais l’instabilité politique et la perte de souveraineté totale des juifs sur leur terre crée l’angoisse de la disparition de la Torah orale. Au IIe siècle de l’ère chrétienne, le dirigeant Juda haNassi prend une décision capitale : il compile la loi orale. Au sein de six ordres composés de nombreux traités ainsi que des rajouts (beraïtot), il couche par écrit toutes les discussions qui ont agité les sages du peuple juif les derniers siècles à tous les sujets : de la façon dont le Shabbat (jour de repos où l’on honore Dieu) doit être pratiqué très concrètement jusqu’à la manière dont les juifs doivent prier.
C’est ce qu’on appelle la Michna, un corpus qui n’affirme rien en soit, mais retrace les discussions, les débats et les exégèses des sages de l’époque.
Dans les siècles qui suivent la compilation de la Michna, essentiellement entre le IIIe siècle et le VIe siècle de l’ère chrétienne, d’autres sages, les Amoraïm, à la fois en Judée, alors rebaptisée Palestine (du nom des Philistins de la Bible) par l’empereur Hadrien (117 – 138), et en Babylonie, commentent la Michna en cherchant à pousser le texte au bout de ce qu’il peut nous en dire, tout en le connectant explicitement à la Torah écrite.
- En araméen, cela s’appelle la Guemara : c’est-à-dire l’ensemble de la Mishna et de ses commentaires.
- En hébreu, ces commentaires sont baptisés Talmud, « étude ».
Deux Talmud se font alors face et se complètent : le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Babylone. Face aux vagues de persécution de l’Empire byzantin qui commencent à atteindre durement les juifs de Galilée, le Talmud de Jérusalem est souvent considéré comme plus bâclé et est beaucoup moins étudié que le Talmud de Babylone, véritable cœur de l’étude juive jusqu’à nos jours. Les sources de la théologie chrétienne se séparent de celle du judaïsme : aux yeux des pères de l’Église l’Alliance est abolie par la venue de Jésus, et le monopole de l’interprétation passe aux mains de ce qu’ils jugent être le nouveau temple : l’Église romaine.
Ce que le Talmud ne dit pas
Fantasmes et fausses citations pullulent sur le Talmud. Il convient donc de montrer, d’abord, ce qu’il ne dit pas.
Le Talmud ne fixe pas de lois, mais commente des débats contenus dans la Michna et ses rajouts. Ce que l’on appelle la halakha, c’est-à-dire la « loi juive », n’est pas directement donnée par le Talmud. Certes, le Talmud apporte de nombreux éléments qui permettent de l’approcher, et nombre de passages tranchent sur certains sujets fondamentaux (par exemple sur les horaires de prière). La halakha, la loi, s’adapte en fonction des coutumes, des circonstances collectives. Aujourd’hui, elle est essentiellement fixée par le Choulhan Aroukh, recueil de halakha publié en Italie à la fin du XVIe siècle par le rabbi Joseph Karo (1488 – 1575).
De même, le Talmud ne traite pas, ou très peu, de mystique. Cela n’empêche pas les sages de l’époque d’avoir de très nombreuses discussions mystiques : pourquoi suit-on cette pratique ? Pourquoi le cuir doit-il être comme ci et pas comme ça ? Pourquoi la Création ? Ce n’est toutefois pas le cœur du sujet du Talmud, qui est une étude pure et dure. La mystique juive, la Kabbala, existe déjà de fait à l’époque, mais reste transmise uniquement de maître à — certains — élèves, à cause de son caractère éminemment secret (kabbala signifiant littéralement « transmission » ou « réception »). Il faut attendre d’autres persécutions, plus tardives, impliquant des risques de disparition de cette transmission, pour que la Kabbala ne soit progressivement couchée sur le papier et expliquée, à la fin du Moyen Âge et au XVIe siècle notamment. Son caractère très puissant et éminemment polémique au sein du monde juif en a toujours fait un sujet sensible : il convient donc, selon le Talmud stricto sensu, de ne pas trop se torturer avec des questions ésotériques, que l’on peut certes étudier, mais qui ne doivent pas passer au-delà de la loi au sens le plus rationnel du terme.
De nombreux faux Talmud ont par ailleurs émergé, notamment aux XVIIIe et XIXe siècles. Dès le XIIIe siècle de l’ère chrétienne, on brûle le Talmud en place public à Paris sous prétexte qu’il insulterait Jésus. Or, le Talmud ne parle jamais des chrétiens. Il se contente de chercher qui pourrait être Jésus, en désignant notamment un personnage qui aurait vécu au IIe siècle avant l’ère chrétienne. Mais il n’affirme jamais ouvertement qu’il s’agissait du Jésus historique. Ce n’est pas du tout le sujet du Talmud. Certes, la Trinité est une doctrine très critiquée par tous les juifs, l’unicité de Dieu étant le fondement de la foi juive, et Jésus n’est pas reconnu comme Messie, mais ni le rapport entre les juifs et les chrétiens, ni la personne de Jésus, ne sont jamais vraiment abordés.
Le rapport entre juifs et non-juifs est une des choses qui a le plus fait polémique. Le Talmud parle par moments des « non-juifs », mais des « méchants » (les rechaïm) ou des « idolâtres ».
- La notion de « méchant » (rechaïm) est surtout conceptuelle : il s’agit de l’idée d’une personne, juive ou non-juive, absolument dépourvue de sens moral et de loi morale, qui n’a aucun intérêt pour le spirituel. Cette personne dénuée de conscience morale doit être honnie par la société. Cependant, peu nombreux sont les hommes dépourvus de sens moral. Cette réflexion autour de la notion de « méchant », juif comme non-juif, est surtout théorique. Beaucoup d’antisémites attaquant le Talmud ont remplacé, frauduleusement, réchaïm par « non-juifs », comme s’il s’agissait du synonyme juif de « mécréant » chez les musulmans (un mécréant étant tout simplement, dans l’islam, un « mal croyant », un non-musulman).
- La notion d’idolâtre, dans le Talmud, désigne un individu dépourvu de règles de morale saines, qui ne croit pas en un Dieu unique mais prie des idoles au sens le plus strict du terme. Les musulmans ne sont absolument pas inclus dans cette catégorie en raison de leur monothéisme pur. En ce qui concerne les chrétiens, le jugement est plus complexe. Au XIIe siècle, le rabbin Maïmonide (1135 – 1204) a estimé que la Trinité et le culte des saints pouvait s’apparenter à une forme d’idolâtrie. Cependant les décisionnaires n’ont pas pour tradition de trancher abruptement : le christianisme n’idolâtrerait pas mais associerait à Dieu, et les chrétiens ne peuvent pas être ainsi considérés comme des idolâtres. De plus, les règles éthiques étant globalement les mêmes chez les chrétiens et chez les juifs, ils ne peuvent être concernés par les règles régissant les relations entre idolâtres et juifs.
- Enfin, la notion de « non-juifs », renvoie à celle de goyim, un terme fréquemment utilisé dans le langage courant sans que sa signification soit claire pour autant. Goyim est simplement le pluriel de goy, qui est le mot hébraïque désignant une nation. Israël est, par exemple, considéré explicitement comme un goy par la Bible, et Dieu dit à Abraham que sortira de lui un goy : Israël. Le Talmud parle surtout de relations très formelles, souvent professionnelles, entre les juifs et les non-juifs. Toutes les règles rationnelles doivent être appliquées entre juifs et non-juifs, par exemple l’interdiction stricte du vol, l’honnêteté dans les affaires, les lois de politesse et de respect de l’autre, etc. En ce qui concerne les lois jugées irrationnelles et émanant uniquement de Dieu, comme l’interdiction du prêt à intérêt, elles ne concernent toutefois que les juifs entre eux selon le Talmud, puisqu’elles sont, par définition, incompréhensibles par des règles de pure philosophie morale.
On ne passera pas sur toutes les fausses citations du Talmud. L’auteur de l’article est néanmoins prêt à répondre, dans les commentaires, sans engagement total de sa part, aux citations fausses et tronquées du Talmud, et très souvent de faux Talmud que les sites antisémites se plaisent à ressortir jour après jour. Ces derniers n’hésitent pas à publier des citations tirées de traités qui n’existent pas. Par exemple, les passages cités dans le Talmud démasqué de J-B. Pranaitis (1861 – 1917), un prêtre lituanien, sont des faux inventés de toutes pièces. Ces faux vont jusqu’à inventer l’obligation rituelle juive délirante de pratiquer le meurtre des chrétiens.
Il est en outre très facile de sortir une citation du Talmud, en fait surtout de la Michna, de son contexte. La Michna est un recueil de discussions, où le but est d’opposer des points de vue très différents afin d’en tirer la loi. Deux écoles de pensées s’affrontent régulièrement : celle de Beth Shammaï, la plus dure, et celle de Beth Hillel.
Prenons un exemple parfois utilisé par les sites antisémites. Le traité Guittin est une partie de la Michna qui s’étend sur les cas dans lesquels un couple peut divorcer. L’école du Beth Shammaï dit que le divorce est possible uniquement s’il y a eu adultère. Le Rabbi Akiva, un docteur de la Micha, précise : le divorce doit être possible si l’homme n’aime pas physiquement sa femme. L’école du Beth Hillel ajoute : il doit être possible si la femme a mal cuit un plat. Or cela ne veut pas dire que la Michna dit qu’un homme doit brutalement divorcer de sa femme si elle a raté un plat. Cela veut dire que deux logiques s’opposent : une très dure avec les cas de divorce qui doivent être ultra-encadrés dans leur motif, une autre beaucoup moins dure sur le plan juridique. Mais cela contredit — heureusement — la vision juive selon laquelle la femme est naturellement plus proche de Dieu que l’homme, et où l’Autel pleure lui-même — métaphoriquement — sur le divorce entre deux conjoints, selon ce même Talmud. Dans cet exemple, la Michna ne fait simplement qu’évoquer un débat entre un groupe pour lequel le divorce doit être extrêmement conditionné, et un groupe pour lequel on doit être plus permissif, car un couple qui ne s’entend plus peut littéralement pousser les deux individus qui le composent à la destruction. On parle du cas le plus extrême : même pour le plus trivial des motifs, la loi ne devrait pas, selon certains, s’opposer au divorce, car tout finira, dans ce couple, par se transformer en drame.
Autre exemple fallacieux : on pense que le Talmud tient « les non-juifs pour des bêtes ». Cette citation est tronquée. Le Talmud dit simplement que les adorateurs des étoiles ne sont pas appelés Adam (du nom du premier homme), mais fils d’Adam. Le Talmud parle des adorateurs des étoiles, qui ne sont pas pour autant traités comme des bêtes.
Ce que le Talmud dit
De quoi parle donc le Talmud ? De prime abord, les discussions entre les sages peuvent paraître très ennuyantes pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas de près au judaïsme. Il s’agit tout d’abord, dans la Michna, de sujets « techniques », terre-à-terre. Par exemple, le premier traité, le traité Berakhot, parle des différentes bénédictions qu’un juif doit exprimer au quotidien. Le premier chapitre de ce même traité parle, lui, des heures auxquelles réciter une des principales prières juives, le Chema Israël, et des discussions entre les sages sur cette question.
Néanmoins, le Talmud ne s’arrête pas à ces questions très pointues. Les traités Baba Batra, Baba Metsia et Baba Kama sont, eux, de véritables codes juridiques, qui vont réglementer toutes les relations, à la fois entre les juifs même, et entre les juifs et les non-juifs. Il est clairement interdit par ces traités de voler les non-juifs, tout comme les juifs. En plus de la réprobation du vol, l’image du juif est salie.
La Guemara ensuite, cherche à connecter la Michna à la Torah écrite. Une question typique peuvent donner : à quelle loi relier tel verset ? Comment relier, par des méthodes exégétiques codifiées, tel verset à tel autre verset ? Des règles de logique complexes sont utilisées par le Talmud. La subtilité de la réflexion talmudique en fait son intérêt et sa complexité. Il ne s’agit absolument pas de tirer des principes généraux et globaux. Ici, c’est d’exégèse et de commentaire qu’il s’agit, pas de philosophie — bien que des conceptions philosophiques s’expriment tout au long du Talmud — ni de mystique. On part de la lettre et on va à la lettre, sans trop gloser : on analyse, on décortique, on évoque tous les cas possibles, quitte parfois à aller jusqu’à l’absurde et à chercher le détail du détail.
Tout ce qui nous paraît de prime abord absurde dans le Talmud est ce qui le rend extrêmement actuel et intemporel. Dans son Introduction au Talmud publiée en 1985, depuis traduite en français et très facile d’accès, le rabbin Adin Steinsaltz (né en 1937) évoque le cas du Golem. L’existence ou non du Golem n’est pas ce qui est discuté par le Talmud. Le sujet, c’est de savoir si le Golem peut oui ou non compter dans un minyan, un groupe juif de prière censé être composé d’au moins 10 personnes juives majeures (traité Sanhedrin). Cette réflexion peut paraître absurde, mais tous les problèmes soulevés ici sont très actuels, puisqu’ils questionnent les fondements de notre identité d’êtres humains. Pour savoir s’il compte en minyan, c’est-à-dire savoir s’il a un statut d’être humain à part entière, on se demandera, en partant toujours de la Torah, quelles sont les qualités morales de son créateur, qu’est-ce qui définit son intelligence, sa sensibilité, est-ce qu’ont peut le tuer, est-ce qu’il peut avoir un libre arbitre et faire des choix moraux, et ainsi être intégré dans l’Alliance adamique, humaine, etc. Autant de questions qui sont aujourd’hui plus qu’actuelles, à l’heure du développement de la robotique et de l’intelligence artificielle.
Le Talmud tranche la question de l’universalisme : le judaïsme n’a pas vocation à être prosélyte. Le traité Yebamot énonce par exemple des conditions strictes imposées à celui qui souhaite se convertir — bien que la conversion n’est pas impossible, et qu’il est demandé à ce que le converti soit aimé par les autres juifs. Le traité Sanhedrin développe alors l’idée des lois noahides. S’il existe bien 613 commandements aux juifs donnés dans la Torah écrite et développées par la Torah orale, cela ne signifie pas pour autant qu’aucun commandement ne s’applique aux non-juifs : il doivent suivre sept commandements, donnés à Noé après le Déluge, qui sont des principes moraux généraux, à développer et à creuser, et dont le respect par chaque être humain permet son accès au monde éternel, ainsi que l’accès à une vie spirituelle. Le Talmud dit ainsi : si le judaïsme n’est pas prosélyte, c’est bien parce que les juifs ont une mission bien spécifique sur Terre, et que les non-juifs en ont une autre. À chacun sa voix, à chacun sa récompense.
C’est ainsi qu’il faut comprendre le mot d’Emmanuel Levinas (1906 – 1995) : « c’est pour l’humanité toute entière que le judaïsme est venu » (Israël et l’universalisme). Le Talmud laisse le droit à l’autre d’être l’autre, c’est-à-dire d’être lui-même, sans qu’il se convertisse. C’est ainsi qu’on pourrait résumer la philosophie qui se dégage parallèlement au Talmud : deviens toi-même. Cette idée se trouve dans le nom de la troisième parasha (« péricope », « chapitre ») du livre de la Genèse, dans les mots que Dieu a dit à Abraham : Lekh Lekha, « Pars pour toi », mais aussi, selon le rabbi Loubavitch (1902 – 1994) « Pars vers toi ».
Bibliographie
- Adin Steinsaltz, Introduction au Talmud, 1985
- Enseignements du rabbi de Loubavitch retranscrits par chabad.org.
- Emmanuel Levinas, Israël et l’universalisme
- La Torah écrite, la Torah orale et ses commentateurs.
- Les responsa de leava.org et de torah-box.com
Bonjour Maximilien,
Je tiens à vous remercier pour cet article.
Je ne suis pas juive mais je m’intéresse aux religions en général, et je remaque que c’est souvent les clichés et les »on-dits » qui me poussent à creuser le sujet!
J’ai par le passé beaucoup entendu de choses sur le Talmud.
J’ai également entendu beaucoup de choses sur la Kabbalah, et suis au regret de vous dire qu’il n’en était rien de très flatteur. Mais c’est ce qui m’a amené ici.
C’est un juif lui-même qui m’a expliqué que le Talmud n’aurait jamais du être écrit et que c’était quelque chose qui ne devait se transmettre qu’oralement. Il m’a également expliqué que ce même Talmud en réalité renseignait sur la façon dont les affaires doivent être faites, et ce dans un but qui ne paraît pas honorable ou glorieux: contrôler les richesses et se hisser dans les haut-rangs de la société. Il disait également que le talmud expliquait comment il fallait se comporter envers les non-juifs, qui n’étaient pas reconnus comme étant des êtres humains, et qu’ils devaient même être asservis.
Je ne fais que relayer ce qu’il m’a dit; je ne prends jamais les paroles d’une personne comme étant une vérité absolue.
Le fait que vous ayez parlé de ces « faux » qui auraient été imprimés pour décrédibiliser la religion juive peut expliquer en grande partie ce genre de pensée, et la méfiance qui en découle.
En revanche, en lisant ces phrases, je vous avoue que je n’ai pas été rassurée :
» Pour savoir s’il compte en minyan, c’est-à-dire savoir s’il a un statut d’être humain à part entière […] » &
« …comme l’interdiction du prêt à intérêt, elles ne concernent toutefois que les juifs entre eux selon le Talmud »
Ayant travaillé avec des israéliens par le passé, qui ont été des gens charmants, je vous avoue que lorsque j’entends qu’il faut un texte écrit, qu’il faut débattre pour juger de la nature-même d’une personne, m’attriste. Être humain n’a selon moi rien à voir avec ses croyances et/ou convictions. Et c’est ici que mon intérêt pour le judaïsme s’arrête en tant que chemin spirituel personnel…
Ensuite, les prêts avec intérêts qui ne sont possibles que pour les non-juifs, je ne le comprends pas, car je le trouve discriminatoire, quelqu’un de bon et juste devrait, il me semble, demander les mêmes intérêts à tout le monde, ou au contraire n’en demander à aucun.
Ce qui me gêne profondément dans la culture juive du moins l’impression que j’en ai jusqu’ici est justement cet aspect communautaire, cette impression que si l’on n’est pas juif, on est un « sous-homme », qu’on ne mérite pas d’être respecté en tant qu’être humain… C’est très blessant pour moi.
J’ai également vu un rabbin expliquer cela dans une vidéo, en disant que les « goyim », puisqu’ils ne sont pas juifs sont des bêtes, des animaux, qu’ils ne sont pas assez intelligents car ils n’ont pas été choisis par Dieu etc.
Bien-sûr je n’attaque rien ni personne, il ne s’agit que de mon ressenti d’après ce que je sais.
Sur un autre domaine, j’aime beaucoup l’ésotérisme, et je remarque que nombre des auteurs que je lis ont obtenu leurs enseignements de la Kabbale. Pourtant aujourd’hui, l’image que j’ai de la Kabbale n’a rien d’attrayant, on entend parler de magie noire, voire de secte… Je n’en sais rien.
Je voudrais revenir sur le terme « anti-sémite »; ne désignait-il pas des peuples parlant l’Hébreu, l’Araméen et l’Arabe? Les sémites ne sont-ils pas des peuples venant d’Asie Occidentale? Pourquoi le terme anti-sémite renvoie-t-il toujours uniquement au peuple juif?
…
Vous savez, moi, je rêve d’un monde où nous pourrions simplement vivre en paix, malgré nos croyances et convictions, malgré nos origines et notre histoire… Je ne sais pas si c’est possible. Je l’espère néanmoins.
Merci de m’avoir lue.
Pourquoi dieu envoi la Torah si elle demandait beaucoup d’interprétation il est vraiment bête
Et la Torah orale ???
ERRATUM-CORRIGE: j’ai encore beaucoup ‘à’ étudier, lapsus altamente révélateur, mais ceci dit, l’erreur est vraie aussi!
:)) Non, très cher Maximilien, non, vous avez non seulement le droit mais aussi et surout le devoir de vous reposer, en espérant que là est la raison qui vous a ‘retardé’. Alors si vous ne voulez pas etre un juste dévoilé, d’accord, mais vous ne refuserez pas d’etre une ‘étincelle illuminée’! Allez à bientot, Maximilien, merci et belle soirée. monique PS: Vous avez une autre lettre à decacheter, mais je ne suis ni attendeuse ni pressée, j’ai encore beaucoup étudier!
Maximilien, vous êtes un homme bon et peut-être bien, un des 36 justes de notre génération. Bien sûr que vous avez raison de vouloir aider à sauver ne serait-ce qu’un seul Homme ou à faire en sorte qu’au moins un antisémite devienne filosémite ou voire même_contentons-nous_ ‘cynique’ ou pacifique. La mienne n’était en rien une critique_je sais que vous l’avez compris_mais d’une chose je suis certaine, c’est qu’aucun juif, jamais plus, ne doit baisser la tête comme une victime qui attend la lame qui la lui tranchera, mais doit rester la tête haute, sans arrogance, mais avec une digne élégance. Moi quand on m’agresse, je passe outre mais pas avant d’avoir cité avec désinvolture, nos Prix Nobel, ou les grands hommes qui ont aidé le monde, histoire de leur clouer le bec. Surtout bien entendu le plus célèbre de tous et dans le monde, Albert Einstein avec’ à la main’ une de ses phrases, (que je connais par coeur) tirée de son livre: COMMENT JE VOIS LE MONDE: » La passion de la connaissance pour elle-même, la passion de la justice jusqu’au fanatisme et la passion de l’indépendance personnelle expriment les traditions du peuple juif, et je considère mon appartenance à cette communauté comme un don du destin. » Et puis je m’en vais, sans me retourner, en souriant de bonheur! Encore merci, Maximilien. monique
Désolé du délai de réponse pour commencer. Merci mille fois pour votre réponse Monique ! Tsadik non très très très loin de là haha , encore moins un des 36 tsadkim cachés !
Je suis tout à fait d’accord avec vous : ce que nous avons, maintenant, c’est aussi et surtout une fierté qui nous est rendue. Et je pense que c’est ce dont un peuple a le plus besoin… La citation est très belle en tout cas !
Je pense aussi que ce qui fait d’Am Israël quelque chose de très particulier, c’est que c’est à la fois un universalisme et un particularisme : un peuple particulier, avec ses traditions propres, qui porte en lui, plus qu’un message universel, une existence qui, notamment à cause de la diaspora, ne peut pas se penser sans l’universalisme. On le voit très concrètement en Israël aujourd’hui : un peuple, très uni, fait d’un melting-pot colossal de toutes les régions du monde, qui, malgré les très légères frictions, reste extrêmement soudé.
Bonsoir Maximilien, je suis un peu en retard, mais comme ce problème dure depuis 2000 ans et des poussières, quelques mois sera bénin et n’y changera absolument rien. Passé ce préambule, en ce qui me concerne, ma conviction est faite, sur le fait établi qu’aucune discussion, aucune démonstration aucune preuve pour récuser ‘les mensonges’ que vous avez si sompteusement comptabilisés ne changeront l’idée des chrétiens et de ceux qui détiennent le pouvoir ‘Spirituel’ des Églises chrétiennes, à moins, à moins comme dirait Léon Askénazi dit Manitou, que les chrétiens, tous, se convertissent au judaisme!:) C’est donc peine perdu, pour moi, car dans ce cas, les premiers ont toujours tort. Alors! Je me souviens d’une phrase de Woody Allen qui en dit long en disant court: » En Israël, je n’ai pas besoin de me justifié. » Tout est dit. Nous sommes au troisième millénaire, un vrai progrès! et on en est encore à discuter sur toutes les infamies vomies sur les juifs! Attendons le Méssie, si jamais il ne s’enfuit pas en les entendants. Moi je préfère dialoguer avec qui pratique les philosophies extrème orientales, on s’entend mieux, d’ailleurs Confucius dans ces dialogues rejoint beaucoup Rabbi Hillel, c’est pas beau, ça!? Avant de vous remercier et de m’en aller, si je puis me permettre, j’ajouterais à votre liste trois ouvrages magnifiques_c’est difficile de choisir_ mais j’ai choisi: ‘VERUS ISRAEL’ de Marcel Simon, HISTOIRE D’UN MYTHE (La « conspiration » juive et les protocoles des sages de Sion) de Norman Cohn et L’HOMME DE LA HALAKHAH de Joseph Dov Soloveitchik . Merci. monique
Shavoua tov Monique !
Pour commencer merci beaucoup pour votre très beau commentaire. Je suis d’accord sur le fond avec vous, quand vous dites que l’antisémitisme est une plaie qu’aucune argumentation n’ébranlera. Néanmoins, je pense que j’avais le devoir d’écrire cet article, notamment en voyant de plus en plus de jeunes juifs ne plus savoir comment se justifier face à ces mensonges, mais aussi persuadé qu’individuellement, des tonnes de personnes peuvent ne pas tomber dans l’antisémitisme si on leur présente une contre-argumentation détaillée. Si ça peut sauver 10, 20, 30 personnes, c’est déjà très bien. Je l’ai vu comme une mitsva, un kiddouch Hachem à mon tout petit niveau. 🙂
Tout à fait d’accord sur les spiritualités d’extrême Orient. Quand on s’intéresse à notre tradition mystique et ésotérique, notamment à travers la Kabbalah, on s’aperçoit des ressemblances sidérantes avec les spiritualités bouddhistes, hindouistes et yogi notamment. Un parallèle intéressant peut être fait entre la « Chekhina », présence féminine de D.ieu qui peut se traduire par des symptômes d’éveil spirituel et de jouissance spirituelle, et la Kundalini, de même que la similarité entre les chakras et l’Arbre de vie et ses sephiroth est épatante. Beaucoup de choses à dire !
Encore une fois merci pour votre commentaire. 🙂
Passionnant ! Merci pour cette lecture !
Merci beaucoup, DM ! Je suis extrêmement ravi que l’article vous ait plu ! Que D.ieu vous bénisse !
Article passionnant, cela me suggère un chemin psychanalytique, j’ai apprécié le « pars vers toi ». Merci
Votre commentaire me fait extrêmement plaisir ! C’est vous que je remercie ! 🙂
Le temple détruit par Titus a été construit peu auparavant par Hėrode
Bonjour. Si tant est que le Second Temple ait été construit par Hérode – il est vrai qu’il a été agrandi et magnifié par lui et personne ne l’a jamais nié -, comment justifiez-vous :
1. Sa description dans des livres que même les historiens les plus sceptiques estiment être antérieurs au Ie siècle de l’ère chrétienne (livres de Zacharie et d’Ezechiel, notamment) ?
2. La description que les Grecs en font ?
3. La description que les Romains en font lors de la conquête de la Judée ?
4. Surtout : la description que les livres de Maccabées en font ?
5. Le fait que déjà au IIe siècle avant l’ère chrétienne – donc au moins deux siècles avant Hérode -, les Hasmonéens servent dans le Temple ?
6. Tous les témoignages, lors de la guerre des Maccabées (-175 – -144), de juifs et de Saducéens (donc grecs) qui décrivent le Temple ?