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La France perd l’Alsace-Lorraine : 10 mai 1871 (traité de Francfort)

Publié le 25/04/2019
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La guerre de 1870 (la « guerre franco-prussienne » ou « guerre franco-allemande ») oppose la France à la Prusse, alliée à la majorité des États allemands (l’Allemagne n’est pas encore unie), du 19 juillet 1870 à l’armistice, le 28 janvier 1871.

La France perd cette guerre. Elle change de régime au cours du conflit : le Second Empire (né le 2 décembre 1852), dirigé par Napoléon III (1852 – 1870), chute au profit de la IIIe République (4 septembre 1870). La Prusse, dont la politique est dirigée par le chancelier Otto von Bismarck (1815 – 1898), fait de même, et profite de la victoire pour unifier l’Allemagne en un seul État (à l’exception de l’Autriche). Elle proclame l’Empire allemand à la galerie des Glaces du château de Versailles le 18 janvier 1871.

 

Le traité Francfort : 10 mai 1871

Le traité de Francfort du 10 mai 1871 conclut la guerre franco-prussienne. Il prévoit notamment que la France verse une très forte indemnité de guerre à l’Allemagne (5 milliards de francs-or) et qu’elle lui cède des territoires : les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin qui forment l’Alsace, la majeure partie de la Moselle, la partie est de la Meurthe et quelques communes des Vosges, en Lorraine.

Ces territoires sont restés connus comme l’Alsace-Lorraine (le plus couramment), ou l’Alsace-Moselle (rarement).

La volonté de la Prusse d’annexer ces territoires est rendue publique dès une circulaire du 13 septembre 1870. Après la signature de l’armistice, le 28 janvier 1871, les troupes de l’Allemagne occupent la France. Des élections parlementaires sont organisées en France le 8 février 1871, afin de doter le pays d’un gouvernement capable de traiter avec l’Allemagne et de mettre fin à l’occupation. Les Français envoient à l’Assemblée nationale, réunie à Bordeaux, une majorité favorable à la paix, et donc prête à céder ses provinces. Les Alsaciens votent en majorité pour des députés qui refusent l’annexion et qui manifestent leur opposition par une déclaration le 16 février 1871. Cependant, un traité de paix préliminaire franco-allemand est signé à Versailles le 28 février.Le 1er mars, l’Assemblée vote la ratification du traité de paix préliminaire (546 pour, 107 contres, 23 abstentions). Les députés des départements cédés démissionnent en signe de protestation. Le traité de paix final est signé le 10 mai à Francfort-sur-le-Main.

L’annexion de l’Alsace-Lorraine est légale : elle a été pleinement acceptée par l’Assemblée française, qui l’a entérinée dans le droit.

 

Les conséquences en France de la perte de l’Alsace-Lorraine

10 mai 1871 traite francfort alsace moselle
La tache noire, Albert Bettannier, 1887 | Wikimedia Commons

La France sort très affaiblie du traité de Francfort. Elle perd toute l’Alsace (française depuis 1648), la Moselle (sauf l’arrondissement de Briey), dont les villes de Metz (le chef-lieu, française depuis 1552), Thionville, Forbach, Château-Salins ou Sarrebourg, la partie Est de la Meurthe et quelques localités des Vosges, en tout 1694 communes et 1,5 millions d’habitants (alors que la population française croît moins vite que celle de l’Allemagne, de l’Italie ou du Royaume-Uni). Le chef de l’exécutif, Adolphe Thiers (1797 – 1877), parvient néanmoins à conserver Belfort et son arrondissement (« arrondissement subsistant du Haut-Rhin » puis, aujourd’hui, Territoire de Belfort, jamais réintégré au Haut-Rhin). Six départements du nord de la France ainsi que Belfort sont occupés par les troupes allemandes jusqu’au paiement de l’indemnité de 5 milliards de francs-or (le paiement est effectué en 1873 et le dernier soldat allemand quitte Verdun le 16 septembre 1873). La France perd en outre 20% de son potentiel minier et sidérurgique, une lourde peine en pleine révolution industrielle

La perte des provinces devient un traumatisme national. Elle influence l’esprit public de la France jusqu’à la Première Guerre mondiale. Le thème de la revanche contre l’Allemagne, devenue « ennemi héréditaire », s’inscrit comme un élément persistant du débat public. L’attention patriotique se fixe sur la « la ligne bleue des Vosges », expression de Jules Ferry. Des intellectuels s’interrogent sur les motifs de la défaite. Ernest Renan (1823 – 1892), dans La Réforme intellectuelle et morale (1871) pose la Prusse comme un modèle à suivre, et l’historien Ernest Lavisse (1842 – 1922) passe trois ans en Prusse pour étudier les fondements de cette monarchie. Le souvenir de la défaite est entretenu par la littérature (L’Année terrible de Victor Hugo en 1872, les Contes du lundi d’Alphonse Daudet en 1873), qui ravive la nostalgie pour les provinces perdues au tournant du siècle (Les Oberlé de René Bazin en 1901, Colette Baudoche, histoire du jeune fille de Metz du nationaliste Maurice Barrès, en 1909). Le folklore alsacien, coiffe des jeunes filles ou flèche de la cathédrale de Strasbourg, prend sa place dans la mythologie nationale.

Elle permet au reste à Jules Ferry de justifier la politique coloniale d’une France, enfermée dans « les étroites limites du traité de Francfort », et qui doit récupérer son statut du grande puissance. 

La perte de ces provinces provoque enfin, en France, une réflexion sur la définition de la nation. Elle se développe contre ce que l’on désigne comme la « conception allemande de la nation », qui repose sur des fondements linguistiques et culturels : sont allemands les peuples de culture allemande qui parlent allemand (ou l’un de ses dialectes). Cette conception est développée par Johann Gottfried von Herder (1744-1803) puis Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), dont le Discours à la nation allemande (1807), écrit alors que les États allemands sont sous la domination de l’empire de Napoléon, dessine une unité allemande préalable à sa réalisation politique en 1871. La « conception française de la nation » est développée par l’historien Numa Denis Fustel de Coulanges (1830-1889) dans une lettre publiée dans la Revue des deux mondes du 27 octobre 1870 qui répond à l’historien allemand Théodore Mommsen (1817 – 1903) qui justifiait l’annexion de l’Alsace, et par Ernest Renan dans sa célèbre conférence du 11 mars 1882 à la Sorbonne, Qu’est-ce qu’une nation ?. Cette conception insiste sur le consentement, sur le « désir de vivre ensemble ». Pour Fustel de Coulange, la « patrie, c’est ce que l’on aime ». Pour Renan, l’existence d’une nation est comme un « plébiscite de tous les jours ». L’annexion allemande de l’Alsace-Moselle, qui n’est pas passée par l’approbation populaire, s’en trouve déligitimée.

 

L’Alsace-Lorraine dans l’Empire allemand

Les départements intégrés à l’Empire allemand forment une nouvelle entité : l’Alsace-Lorraine. Ces territoires, qui n’avaient pas d’unité administrative en France, sont regroupés, sous administration allemande, dans un unique territoire, le Reichsland Elsass-Lothringen (la terre d’empire d’Alsace-Lorraine). L’Alsace-Lorraine est une « terre d’Empire », ce qui signifie qu’elle est administrée directement par le pouvoir central. L’Empire allemand, autoritaire, était néanmoins de nature fédérale : les anciens États allemands, qui avaient fusionné avec la Prusse pour former l’Empire, gardaient une autonomie. L’Alsace-Lorraine ne devient un état fédéré à part entière qu’en octobre 1918, juste avant de réintégrer la France. 

Sur les 1,5 millions d’habitants de l’Alsace-Lorraine, 160 000 choisissent de garder la nationalité française. Ce sont les « optants ». Ils doivent émigrer. 

L’Alsace-Lorraine fait l’objet d’une politique de germanisation. Une importante population allemande vient s’installer dans la région : elle représente en 1910 un sixième de la population, dont 40% de la population de Strasbourg. L’allemand, devenue la langue administrative, devient obligatoire dans l’état civil (les prénoms français sont refusés), dans la toponymie, dans le nom des enseignes, etc. Elle devient la langue unique de l’enseignement, à l’école comme à l’université. L’université impériale de Strasbourg, qui remplace l’université napoléonienne, est inaugurée dans un nouveau palais le 1er mai 1872, et devient un symbole de la germanisation de la région. Autre symbole marquant l’intégration de l’Alsace-Lorraine à l’Empire, le château du Haut-Kœnigsbourg (Orschwiller, Bas-Rhin), reconstruit par l’empereur Guillaume II (1888 – 1918), qui affiche aux yeux de tous, du haut de ses 757 mètres d’altitude, le caractère allemand de la région. 

À partir de du 1 janvier 1874, l’Alsace-Lorraine peut être représentée par 15 députes au Reichstag (parlement de l’Empire). La vie politique locale se clive entre protestataires, hostiles à l’État allemand, et autonomistes, qui demandent de pouvoir gérer leurs affaires tout en restant dans l’Empire allemand. Les populations n’envoient d’abord au Reichstag que des députés protestataires, en réaction, notamment, à la politique de germanisation. La tendance protestataire décroit ensuite avec une libéralisation progressive de la politique allemande dans la région. 

 

La réintégration de l’Alsace-Lorraine en 1919

L’Alsace-Lorraine réintègre la France après la ratification du traité de Versailles en 1919, qui conclut la victoire pendant la Première Guerre mondiale (1914 – 1918). Ils sont annexés de fait par l’Allemagne nazie, mais réintègrent la France ensuite. Ces territoires disposent depuis leur réintégration après la Première Guerre d’un certain degré d’autonomie, qui se manifeste par l’existence d’un droit local. Ainsi, l’Alsace-Moselle n’est pas concernée par la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, et vit toujours sous le Concordat de 1801. 

 

À lire

  • Jean-Claude Caron et Michel Vernus, L’Europe au 19e siècle, Chapitre 9 – Le temps des nationalismes. L’Allemagne et l’Italie de 1871 à 1914
  • Pauline Piettre, Le regard des Britanniques sur la France en guerre (1870-1871) : l’évolution d’une opinion attentive, Revue Histoire, économie et société (2012/3)
  • Pierre Rigoulot, L’Alsace-Lorraine pendant la guerre, 1939-1945
  • François Roth, Alsace-Lorraine: Histoire d’un pays perdu
  • Georges-Henri Soutou, L’Europe de 1815 à nos jours