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Patriotisme et nationalisme : quelle différence ?

Publié le 30/05/2019
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La question de la différence entre patriotisme et nationalisme se présente plutôt comme une opposition. Opposer patriotisme et nationalisme est un lieu commun du discours politique.

Patriotisme et nationalisme : une dichotomie ?

Le patriotisme, notion méliorative, est en général identifié à l’amour de son pays, à une conception « ouverte » de sa patrie, à la volonté désintéressée de la servir et de la promouvoir. Le patriotisme serait ouvert et inclusif. 

A contrario, le nationalisme, notion péjorative, est en général vu comme une doctrine agressive, un amour exalté de la patrie qui dégénérerait en impérialisme, en volonté d’exclure les étrangers à l’intérieur, et de dominer les ennemis à l’extérieur. Il est honni comme la cause principale des conflits qui ont ensanglanté l’Europe au XXe siècle. Le nationalisme serait par définition fermé et exclusif. 

Cette dichotomie est ramassée dans des déclarations et formules restées célèbres. La formule la plus souvent citée est attribuée au général de Gaulle, bien qu’aucune source ne l’atteste : « Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres. »

Moins connue, mais quant à elle attestée, est celle de Romain Gary (1914 – 1980), que l’on trouve dans Éducation européenne (1945) et Pour Sganarelle (1965) : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres. »

Pour Michel Debré (1912 – 1996, cité par Raymond Chevalier dans La Patrie, et Jacques Godechot), le nationalisme est une dégénérescence du patriotisme : « Le nationalisme est, par rapport au patriotisme, ce qu’était l’inquisition vis-à-vis de la religion, une déformation maladive et coupable. »

À la même époque, Georges Orwell (1903 – 1950) affirmait lui aussi l’opposition entre patriotisme et nationalisme, dans un sens similaire. Dans Notes on Nationalism (1945), il distinguait le nationalisme, qui est selon lui une façon de discriminer les hommes selon des catégories du « bon » et du « mauvais », et le fait pour un individu de placer les intérêts de la nation au-dessus de tout, du patriotisme, qui est un dévouement à un pays et à un mode de vie qui ne cherche pas à contraindre les autres.

Le nationalisme a été condamné, au profit de la construction européenne, par une sentence implacable du président de la République François Mitterrand (mandat de 1981 – 1995), prononcée le 17 janvier 1995 devant le Parlement européen : « Il faut vaincre ces préjugés, ce que je vous demande là est presque impossible car il faut vaincre notre histoire et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, Mesdames et Messieurs. Le nationalisme c’est la guerre ! »

Cette opposition entre nationalisme et patriotisme a été formalisée par des hommes ayant connu les conflits mondiaux du XXe siècle. Elle permettait de tracer une frontière entre une doctrine impérialiste à l’origine de conflits sanglants, le nationalisme, et un sentiment courant et nécessaire à la constitution d’une nation, le patriotisme.

Plus récemment, le candidat Emmanuel Macron a réactivé cette opposition en plaidant pour un patriotisme ouvert contre un nationalisme fermé pendant sa campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Il déclarait ainsi le 17 mars 2017 :

Entre le nationalisme étriqué et la réduction à une identité fantasmée, et d’autre part un multiculturalisme béat, il y a l’esprit français. Et l’esprit français, c’est ce patriotisme ouvert que nous portons […] C’est cette volonté de savoir d’où nous venons et aussi où nous voulons aller. Et que le cœur de ce volontarisme n’a jamais été l’exclusion de l’autre.

Il emploie la dichotomie nationalisme/patriotisme pendant l’entre-deux-tours contre son adversaire du Rassemblement national, Marine Le Pen, en déclarant : « Je souhaite dans 15 jours devenir le président des patriotes face à la menace des nationalistes. »

Ce thème n’est pas abandonné par le candidat devenu président de la République. Il y fait une référence remarquée le 11 novembre 2018, dans son discours pour les cent ans de l’armistice de 1918 : « Le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme. Le nationalisme en est sa trahison. »

Il faisait alors cette déclaration devant le président américain, Donald Trump (président depuis janvier 2017), qui avait affiché son ambition pendant sa campagne de restaurer la prépondérance des États-Unis (Make America Great Again), et qui ne s’était pas embarrassé des convenances (« we’re not supposed to use that word ») en se définissant comme « nationaliste » (« I’m a nationalist ! ») au cours d’un meeting le 22 octobre 2018.

Dans une entrevue à la presse quotidienne régionale avant les élections européennes de 2019, Emmanuel Macron liait patriotisme français et ouverture à l’Europe : « Est ennemi de l’Europe celui qui ne croit pas en son avenir. Les nationalistes qui veulent la diviser sont ses premiers ennemis. Je suis un patriote français donc européen. »

Cette stratégie fut pour lui un moyen d’affirmer son engagement pro-européen, tout en affirmant son patriotisme, pour ne pas accréditer la thèse adverse selon laquelle il serait un « mondialiste », quelqu’un qui essaierait de faire fondre la France dans un ensemble supranational. 

Nationalisme ouvert et nationalisme fermé

La dichotomie commune entre patriotisme et nationalisme recoupe la distinction établie par l’historien Michel Winock (né en 1937) dans Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France entre nationalisme ouvert et nationalisme fermé :

Il me semble que la France a connu un nationalisme ouvert et un nationalisme fermé. Nationalisme ouvert : celui d’une nation, pénétrée d’une mission civilisatrice, s’auto-admirant pour ses vertus et ses héros, oubliant volontiers ses défauts, mais généreuse, hospitalière, solidaire des autres nations en formation, défenseur des opprimés, hissant le drapeau de la liberté et de l’indépendance pour tous les peuples du monde.

Un nationalisme clos, apeuré, exclusif, définissant la nation par l’élimination des intrus : Juifs, immigrés, révolutionnaires ; une paranoïa collective, nourrie des obsessions de la décadence et du complot. Une focalisation sur l’essence française, chaque fois réinventée au gré des modes et des découvertes scientifiques, qui font varier l’influence gauloise et l’ influence germanique, l’apport du Nord et l’apport de la Méditerranée, le chant des bardes et les vers des troubadours

D’où vient l’opposition entre patriotisme et nationalisme ?

L’opposition entre patriotisme et nationalisme naît en réalité des usages successifs qui ont été faits de ces termes tout au long de l’histoire. La définition de ces deux notions est vague, elles ne prennent sens que parce que chacune charrie une histoire particulière. 

Patriotisme

Le patriotisme, qui est généralement défini comme l’amour de la patrie ou l’attachement sentimental à la patrie, est à la fois une identité politique et une notion relative et affective.

Identité politique car la patrie est liée dès le XVIIe siècle à la notion de liberté. La patrie est le pays des hommes heureux car libres. La Bruyère écrivait ainsi qu’« il n’y a point de patrie dans le despotique » (Les Caractères, X). D’Holbach écrivait dans son Éthocratie ou le gouvernement fondé sur la morale (1776, cité dans par Albert Soboul [1914 – 1982] dans Comprendre la Révolution) « le patriotisme véritable ne peut se trouver que dans les pays où les citoyens libres et gouvernés par des lois équitables se trouvent heureux ».

Le patriote devint à partir de 1789 le partisan des principes de la Révolution. Ce terme devint même synonyme de sans-culotte et de républicain après l’abolition de la monarchie (21 septembre 1792). Le patriotisme était considéré comme une vertu révolutionnaire (« L’Amour sacré de la patrie » selon La Marseillaise). Au XIXe siècle, les patriotes étaient les hommes de gauche, partisans des principes révolutionnaires et de la république. C’est dans les faits un nationalisme (mais le mot n’est pas employé), le nationalisme ouvert de Michel Winock, ou le nationalisme de tradition jacobine selon Raoul Girardet, qui mêle cet amour parfois excessif de la patrie (« le chauvinisme ») au messianisme humanitaire, une volonté de porter la civilisation dans le monde.

Le patriotisme est une aussi une notion relative et affective, car la patrie est une image vague, où chacun voit ce qu’il veut, mais à laquelle on porte un amour qui est une sorte de piété filiale, patrie étant lié étymologiquement au latin pater, le « père ». Elle peut être d’abord sa « petite patrie », la région dont on provient, la terre qui nous a fait. Après 1789, la patrie se confond avec la Révolution, La Marseillaise appelant « les enfants de la patrie » (premier vers) à défendre la « liberté chérie » contre la menace des puissances étrangères (« La Patrie en danger » est une proclamation du 11 juillet 1792). Avec les débats qui ont fait suite à la perte de l’Alsace-Moselle en 1871, la patrie, sous la plume de l’historien Fustel de Coulanges (1830 – 1889), devient « ce qu’on aime » :

Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie. Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La patrie, c’est ce qu’on aime.

L’Alsace est-elle allemande ou française ? 

La patrie, le pays, est cet objet d’attachement profond qui légitime que l’on se dévoue à elle, qu’on la serve (l’École polytechnique a pour devise « Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire pour elle ») ou que l’on se sacrifie pour elle (une des devises de l’armée française est « Honneur et patrie »). Corneille fit ainsi dire à Horace :

Mourir pour le pays est un si digne sort,
Qu’on briguerait en foule une si belle mort ;

Corneille, Horace, II, 3

« Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie » (Victor Hugo, Hymne) sont les « Morts pour la France » honorés par les monuments dans les villages français après la Première Guerre mondiale.

La patrie peut être aussi un héritage commun que l’on enrichie. Le fronton du Panthéon affiche un grand « Aux grands hommes la patrie reconnaissante », révérant ceux qui ont fait grandir le pays par leurs actes. Elle peut être la langue et les mots. Albert Camus (1913 – 1960) dit dans ses Carnets que « Oui, j’ai une patrie : la langue française. »

Le patriotisme se diffuse aussi à droite avec les premiers nationalistes, la patrie devenant l’objet à conserver, contre les attaques extérieures, mais aussi intérieures, ce qui justifiera leur antisémitisme. Le poète Paul Déroulède (1846 – 1914) fonda ainsi la Ligue des patriotes en 1882, qui devint une groupement antiparlementaire et antidreyfusard. La Ligue de la patrie française, fondée en 1898, contre la Ligue des droits de l’homme, rassemblait d’ailleurs des antidreyfusards.

Mais le patriotisme ne fut pas l’apanage de la droite. Dans une citation restée célèbre, Jean Jaurès (1859 – 1914) lia internationalisme et patriotisme dans une formule cryptique :

Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène.

L’Armée nouvelle (1911)

 

Nationalisme

Le terme de nation est d’abord un mot neutre. Il désigne un peuple, on parle de la « nation juive » ou de la « nation germanique ». Nation est un dérivé du latin nasci, « naître ». 

Avec la Révolution, la nation devint un concept politique. La nation est le souverain, formé d’hommes libres et égaux, source de toute autorité, au détriment du principe du droit divin :

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément

Article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen

Ainsi, à Valmy, les armées françaises, la veille de l’abolition de la monarchie, combattirent au cri de « Vive la nation ».

Le terme de nationalisme est rare au XIXe siècle. Il est absent du dictionnaire Littré (1863). Il est néanmoins présent dans le Larousse de 1874 avec deux sens, 

1. Préférence aveugle et exclusive pour tout ce qui est propre à la nation à laquelle on appartient. 
2. Existence propre des peuples à l’état de nation indépendante. 

Suivant cet héritage révolutionnaire, le nationalisme peut désigner aujourd’hui la volonté d’émancipation nationale d’un peuple, son désir d’avoir un pays, son droit à disposer de lui-même. On parle ainsi du nationalisme pour désigner les mouvements d’émancipation des peuples colonisés, ou les mouvements militants pour l’indépendance d’une région spécifique située au sein d’un État, comme en Catalogne, en Écosse, au Pays basque, en Corse, en Kabylie, au Québec (où l’on parle de souverainisme), etc. On parle aussi d’indépendantisme.

Le nationalisme a une autre identité. Il désigne aussi une doctrine politique de droite mêlant conservatisme social et défense patriotique de la nation. En France, il apparaît sous la IIIe République. C’est le nationalisme fermé défini par Michel Winock, antiparlementaire, antidreyfusard, anticosmopolite, raciste, qui fait le constat la décadence de la France et qui a le souci de combattre tout aussi bien les ennemis de l’extérieur que de l’intérieur. L’historien Raoul Girardet le définit comme :

tout système relativement cohérent de pensée, de sentiments ou d’émotions essentiellement centré sur la défense ou l’exaltation de l’idée nationale.

Déroulède révéla la préoccupation première de ce nationalisme :

C’est en 1886, à Buzenval, au milieu des drapeaux rouges criminellement déployés sur la tombe de nos soldats, et cela en présence et avec l’ approbation de certains députés, que j’ai compris pour la première fois dans quel état d’anarchie nous étions tombés et que, pour la première fois, j’ai déclaré qu’avant de libérer l’Alsace et la Lorraine, il fallait libérer la France.

Rapportée par Michel Winock

Ce nationalisme n’existe pas en France au début du XIXe siècle. 

Les deux plus grandes figures du nationalisme français furent Maurice Barrès (1862 – 1923) et Charles Maurras (1868 – 1952). Barrès aurait opéré la transformation du mot dans ce sens en opposant les « nationalistes » aux « cosmopolites » dans une article du Figaro du 4 juillet 1892 (La Querelle des nationalistes et des cosmopolites). Nationaliste républicain, antidreyfusard (« Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race », Ce que j’ai vu à Rennes, 1904), il fut l’auteur d’une trilogie à succès, Le Roman de l’énergie nationale, dans laquelle il exposa sa vision de l’individu enraciné dans le sol natal. Maurras, figure de proue de l’Action française, mouvement royaliste, a formalisé le nationalisme dans sa théorie du nationalisme intégral, un nationalisme « positiviste » (qui se veut rationnel et moderne, inspiré par la philosophie d’Auguste Comte) qui s’opposait aux principes révolutionnaires, et demandait le retour d’une royauté décentralisatrice, contre le jacobinisme, et les agents de la décadence, « l’anti-France », ennemis de l’intérieur : Juifs, protestants, francs-maçons et les « métèques », c’est-à-dire les étrangers.

À lire

  • Raoul Girardet, Le Nationalisme français : 1871-1914
  • Raoul Girardet, Pour une Introduction à l’Histoire du Nationalisme Français, Revue française de science politique, Vol. 8, No. 3 (Septembre 1958)
  • Jacques Godechot, Nation, patrie, nationalisme et patriotisme en France au XVIIIe siècle, Annales historiques de la Révolution française 43e Année, No. 206 (Octobre-Décembre 1971)
  • Pierre-André Taguieff, La Revanche du nationalisme
  • Michel Winock, Nationalisme, Antisémitisme et Fascisme en France