« Tout est perdu fors l’honneur » : cette célèbre phrase est attribuée à François Ier (r. 1515 – 1547), qui l’aurait écrite dans une lettre à sa mère, Louise de Savoie (1476 – 1531), après avoir été arrêté par les troupes de son rival, l’empereur Charles Quint (1516 – 1558), après sa capture à la bataille de Pavie en 1525. C’est une défaite pour François Ier, qui ne peut s’installer de nouveau dans le duché de Milan, perdu en 1522. Le roi de France reste prisonnier un an à Madrid, jusqu’à ce qu’il signe le 14 janvier 1526 le traité de Madrid, très défavorable à la France, qu’elle rejeta une fois qu’il fut libéré.
« Tout est perdu fors l’honneur » : une phrase tronquée de François Ier
Portrait de François Ier | Google Arts & Culture
Cette phrase est en réalité tronquée. Sa vraie version dans la lettre envoyée à Louise de Savoie est :
Pour vous faire savoir comment se porte le reste de mon infortune, de toutes choses ne m’est resté que l’honneur et la vie sauve.
La phrase avait été reprise, dans une version modifiée (« tout est perdu… ») par Juan Antonio de Vera y Figueroa (1583 – 1658) dans une Histoire de l’empereur Charles Quint, dédiée à Marie-Thérèse d’Autriche (r. 1660 – 1683), épouse de Louis XIV (r. 1643 – 1715). Pierre Le Hayer Du Perron (1603 – 1680) traduit le livre et rend la phrase ainsi : « Tout est perdu sinon l’honneur. »
La forme sous laquelle cette citation est connue aujourd’hui est une création de l’historien Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy (1737 – 1800), dans un livre de 1779, Les Fabliaux :
Non seulement il voulu, comme chacun sait, être armé chevalier des mains de Bayard ; mais il lui arrivait quelque fois de se faire peindre la barbe, et de se montrer ainsi à ses courtisans, habillé comme les preux de nos romanciers. Brave et téméraire à la guerre, galant et magnifique dans sa cour, loyal, généreux, prodigue, fidèle à sa parole, il eut toutes les qualités et les défauts des anciens chevaliers. Il est probable que c’est à la pétulance de cet esprit chevaleresque qu’il faut attribuer la fatale journée de Pavie et les malheurs qui en furent la suite ; mais, à coup sûr, c’est ce même esprit aussi qui dicta ce mot sublime, tout est perdu fors l’honneur.
Cet historien, hostile à l’esprit des Lumières, nostalgique du temps de l’esprit chevaleresque et la galanterie, fait de François Ier un héros de roman qui incarne ces idéaux. Selon l’historien Didier le Fur, il aurait modifié le mot de François Ier pour lui donner une teinte plus médiévale. Fors, au sens de « excepté, hormis » (du latin classique foris, « dehors »), est un archaïsme au XVIIIe siècle (employé par exemple par Chateaubriand (1768 – 1848), amoureux des archaïsmes : « […] indépendant de tout, fors de Dieu, je suis chrétien sans ignorer mes faiblesses », Essai sur les révolutions). Cette édification connaît un certain retentissement, dont témoigne le maintien de cette citation dans la mémoire collective. L’image du roi est fixée dans cette phrase. Chevalier, il aurait préféré mourir sur le champ de bataille plutôt que de fuir, sous-entendant que le XVIIIe siècle n’était plus capable de produire de tels héros.
Legrand d’Aussy contrecarre la mauvaise réputation faite à François Ier au XVIIe siècle par les historiens, sous les Bourbons. François Ier était vu comme un roi valeureux et brillant, mais considéré comme un piètre guerrier, décevant eu égard à ce que ses qualités laissaient espérer, inconstant en comparaison avec Charles Quint, et responsable des malheurs de son royaume. Cette citation est aujourd’hui reprise pour parler d’une défaite ou d’un échec qui n’est pas infamant.
Il est des choses caractéristiques et mémorables qui reviennent et se répètent, pour l’enseignement des esprits attentifs, dans les échos profonds de l’histoire. Le mot de Waterloo : La garde meurt et ne se rend pas, n’est que l’héroïque traduction du mot de Pavie : Tout est perdu, fors l’honneur.
À lire
- Didier Le Fur, François Ier
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