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« Motion de censure » : définition juridique

Publié le 31/05/2020
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En France, une motion de censure est une proposition faite par des députés de l’Assemblée nationale de voter pour renverser le gouvernement. Ce dernier est en effet responsable devant le Parlement (art 20 de la constitution du 4 octobre 1958), c’est-à-dire qu’il doit répondre de son action devant les représentants du peuple, il n’agit pas en toute immunité. En conséquence, une partie des représentants du peuple, les députés, disposent de ce moyen de contrôle, le pouvoir de contraindre le gouvernement à démissionner, si l’action du gouvernement les insatisfait.

Ainsi, la constitution du 4 octobre 1958, la constitution en vigueur, contraint en son article 50 le Premier ministre, qui dirige le gouvernement (art. 21), à remettre la démission de son gouvernement au président de la République si une motion de censure est adoptée :

Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement.

Voir ici ce qu’est une « constitution ».

Cette motion de censure peut être adoptée selon une procédure et des conditions précisées par les alinéas 2 et 3 de l’article 49 de la constitution, et par les article 153 et 154 du règlement de l’Assemblée nationale. L’article 49 distingue deux types de motions de censure.

Comment fonctionne une motion de censure ?

motion de censure constitution france
L’annonce de l’abolition du régime impérial devant le palais du corps législatif (à Paris), le 4 septembre 1870, Jules Didier et Jacques Guiaud, 1871 (détail) | Wikimedia Commons

La motion de censure « spontanée »

L’alinéa 2 présente la motion de censure qualifiée de « spontanée » par la tradition juridique :

L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.

Les conditions de recevabilité et d’adoption d’une motion de censure spontanée sont strictes, ce qui rend l’opération difficile à ses initiateurs. L’encadrement de ce moyen de contrôle de l’Assemblée nationale sur le gouvernement par les concepteurs de la Constitution est un des éléments qui avait pour objectif de « rationaliser » l’activité parlementaire (on parle de « parlementarisme rationalisé »), c’est-à-dire de limiter son influence pour prévenir une trop grande instabilité gouvernementale et préserver l’efficacité de son action (la IVe République, qui a privilégié le scrutin proportionnel pour l’élection des députés, a connu 24 gouvernements de décembre 1946 à mai 1958, dont certains ayant duré un mois seulement). 

La condition de recevabilité de la motion de censure par le président de l’Assemblée à sa signature par au moins un dixième des députés, c’est-à-dire 58 d’entre eux (il y a 577 députés, le nombre de 57,7 est arrondi au nombre supérieur) permet d’éviter la multiplication des initiatives de groupes très minoritaires, d’autant qu’un député ne peut signer que trois motions par session ordinaire, une par session extraordinaire, et une seule motion à la fois.

Le délai de 48 heures imposé entre le dépôt de la motion et le vote pare les « embuscades » en laissant au gouvernement le temps de réagir en s’assurant ses soutiens. Ce délai peut se révéler précieux si le gouvernement ne dispose pas du soutien d’une large majorité. Il est aidé par le mode particulier du calcul de la majorité pour le vote de la motion : elle doit obtenir 289 votes favorables pour être adoptée. Le gouvernement ne peut donc être renversé qu’à la condition que la majorité absolue des députés lui soit expressément opposée. Il ne peut y avoir censure fondée sur une majorité relative, puisque les éventuels absents et abstentionnistes sont considérés comme favorables au gouvernement. « La non-censure » est « présumée » (Duhamel et Tusseau).

La motion de censure dite « provoquée » : l’article 49-3

L’alinéa 3 (le fameux 49-3) présente la motion de censure dite « provoquée » :

Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.

Le 49-3 permet au gouvernement de faire adopter un texte de loi sans qu’il ait été voté par une majorité. Les conditions de recevabilité de la motion de censure à déposer dans les vingt-quatre heures étant les mêmes que pour le 49-2, il est particulièrement ardu aux opposants de la faire aboutir. Si l’Assemblée avait été opposée au gouvernement, elle aurait pu avoir recours au 49-2. Il faudrait, pour que la motion provoquée par le 49-3 soit dissuasive, que la loi en question suscite une opposition telle qu’elle se propage dans les rangs de la majorité. Cependant, le recours à l' »arme du 49-3″ peut être perçu comme un déni de démocratie par l’opinion publique. Symbole de la « dégénérescence du Parlement » (Duhamel et Tusseau), sa possibilité d’utilisation a été restreinte par la révision constitutionnelle de 2008 en la limitant aux loi de finances ou de financement de la sécurité sociale (qui représentent, toutefois, une part conséquente du travail législatif), ou à un autre projet ou proposition de par session.

Le 49-3 a été utilisé 87 fois depuis 1958 (au 19 juin 2020), dont 28 fois par Michel Rocard. 

 

Une arme inoffensive ?

La motion de censure s’est montrée jusque-là inoffensive. Sur les 58 motions déposées depuis 1958 (au 1er juin 2020), seule une a été adoptée. Le 2 octobre 1962, les députés déposent une motion contre le gouvernement, en réponse à la volonté exprimée le 29 août par le président de la République, Charles de Gaulle (1890 – 1970), de réviser la Constitution selon la procédure prévue à l’article 11, par référendum mais sans vote préalable des assemblées (procédure de l’article 89), pour l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct. La motion est discutée le 4 octobre et adoptée dans la nuit du 5 par 280 voix sur 480. Le gouvernement de Georges Pompidou (1911 – 1974) est renversé. Cependant, le président n’accepte pas immédiatement la démission du gouvernement et dissout l’Assemblée le 10 octobre. Le référendum est approuvé le 28 octobre, et les élections législatives du 18 et des 25 novembre 1962 voient la victoire des gaullistes et leurs alliés (40%). La démission du gouvernement censuré est acceptée le 28 novembre, pour qu’un second se forme. Il faut noter toutefois que certains gouvernement ont échappé de peu à la censure, comme le gouvernement Bérégovoy en 1992 (286 voix sur 289 nécessaires pour atteindre la majorité absolue).

 

À quoi sert en définitive la motion de censure ?

La motion de censure permet surtout à l’opposition d’ouvrir un débat sur l’action du gouvernement. Elle peut être motivée (article 153.3 du règlement de l’Assemblée nationale), ses initiateurs peuvent y présenter leurs griefs, et elle est discutée à l’Assemblée, les orateurs disposant d’un temps de parole déterminé :

[…] de quinze minutes à l’orateur désigné par chaque groupe et d’une durée de cinq minutes aux autres orateurs. […]

Article 154.4 du règlement de l’Assemblée nationale

Il n’y a pas de restriction sur la motivation de la mention. L’opposition peut ainsi « communiquer« , c’est-à-dire attirer l’attention médiatique sur ce qu’elle a à dire. Par exemple, le 11 décembre 2018, 62 députés de plusieurs groupes d’opposition ont déposé une motion de censure du gouvernement Philippe en application de l’article 49.2 de la Constitution, motivée, pour critiquer la gestion de la crise des gilets jaunes :

Le lien de confiance entre notre peuple et le Gouvernement est brisé, rompu, et l’on ne voit nulle possibilité pour ce dernier de renouer cette relation. Le divorce est acté, il faut changer radicalement de cap

Texte de la motion

Elle a donné lieu à une longue discussion le 13 décembre, avant d’être rejeté avec seulement 70 votes favorables. Il est toutefois pertinent de se demander si le vote d’une motion de censure permet véritablement à l’opposition de se faire entendre par l’opinion publique, et si la parole des orateurs, abondante, se fait entendre en dehors de l’hémicycle au-delà d’éventuelles saillies. 

 

À lire

  • Denis Baranger, Le Droit constitutionnel
  • Olivier Duhamel, Guillaume Tusseau, Droit constitutionnel et institutions politiques 
  • Bastien François, Le Régime politique de la Ve République