Tirer les marrons du feu a plusieurs sens :
- sens 1 : faire courir à autrui un risque dont on tire seul le profit ;
- sens 2 : travailler pour le compte d’autrui sans en tirer aucun bénéfice, être la dupe de quelqu’un d’autre ;
- sens 3 : se tirer habilement d’une affaire, tirer profit d’une situation (sens inverse aux trois autres) ;
- sens 4 : tirer profit d’une situation ou trouver la solution à un problème, mettre fin à une situation problématique.
Exemple : pendant toutes ces années de travail, j’ai tiré les marrons du feu pour mes associés en faisant les investissements les plus risqués, et je me trouve aujourd’hui ruiné.
En réalité, aucun des sens ci-dessus ne peut prétendre à être le « vrai sens » de cette expression. Celle-ci ne semble plus vraiment comprise par la majorité des jeunes francophones.
Tirer les marrons du feu : origine de l’expression
La méconnaissance du sens historique de l’expression « tirer les marrons du feu » peut s’expliquer par le fait que son origine n’est plus sentie par les locuteurs. Ceci pourrait s’expliquer par le fait qu’une partie de celle-ci a été retranchée. En effet, elle se présentait autrefois sous la forme : « tirer les marrons [du feu] avec la patte du chat ». Le chat se brûle en tirant les marrons, et c’est un autre qui en profite. De là l’idée de se servir des efforts d’autrui à son profit.
Cette expression a été popularisée par une fable de La Fontaine (1621 – 1695), Le Singe et le Chat (1678). Dans celle-ci, un singe flatte un chat pour le pousser à prendre le risque de tirer d’un feu des marrons chauds afin qu’il les mange. Cependant, cette histoire est bien plus ancienne que la fable de La Fontaine. Des occurrences en attestent. Elle se trouve dans un texte de Jean Boucher de 1612, ou dans les Curiositez françoises de 1640 par Oudin :
tirer les Marrons du feu avec la patte du chat : se tirer d’un danger où d’un dommage par le moyen d’une autre personne.
Certains textes l’évoquent de manière fragmentaire. Ainsi, un texte de 1604 dit :
Celuy qui t’a mis en jeu s’est servi de toy comme le singe de la patte du Chat.
Une Histoire de Foix, Bearn et Navarre de 1609 s’étend bien plus :
Comme donc le singe se sert de la patte du chat pour avoir les chastaignes couvertes de feu & de braise chaude, & n’y met la sienne, de crainte de s’eschauder, mais se sert de la simplicité du chat […]
Le Dictionnaire du français médiéval relève le proverbe « c’est beau jeu que de chat et singe » chez Jean Molinet (1435 – 1507).
Bref, l’histoire du mauvais tour joué par le singe au chat est probablement une fable connue à la fin du Moyen Âge, peut-être attribuée à Ésope, auteur antique grec. Elle est absente de ce recueil des fables d’Ésope, mais présente dans l’Esbatement moral des animaux (1578), traduction d’un livre du flamand Peeter Heyns (1537 – 1598) qui a adapté en sonnet des fables attribuées à Ésope :
Un tout fantasque Singe eut un fort grand desir
De manger des marrons, qu’on mettait dans la cendre :
Là estoit un Chatton duquel il alla prendre
La patte de devant, puis les tire à loisir.
Le petit Chat qui sent la chaleur le saisir
Dict, Escoute un peu Marmot, tu deburois bien entendre
Que j’ay ma fœble peau, pour le moins, aussi tendre
Que la tienne, & pourtant ne me fay desplaisir.
Mais ce dict le Marmot, nul ne vit sans rien faire :
Dequoy donc te plains tu, quand mesme en cette affaire
Il ne peut se trouver de travail plus léger.
Tel donc employ autruy iusques à sa personne,
Lequel ce temps pendant au peril l’abandonne
En se gardant tres bien d’approcher du danger.
Cependant, à l’usage, l’évocation de la patte du chat a disparu, parce que l’expression était peut-être trop longue ou que la mention était évidente. L’amputation de « la patte du chat » a toutefois dû rendre le sens de l’expression moins évident aux locuteurs du XXe siècle. Entendre que quelqu’un a simplement « tiré les marrons du feu », si l’on ne connaît pas la fable, ne peut être compris que comme un acte de bravoure dont on tire un bénéfice. De là le retournement du sens de « tirer les marrons du feu » : d’être la dupe de quelqu’un, l’expression est passée à « tirer profit d’une situation » ou « trouver la solution à un problème, mettre fin à une situation problématique ». L’expression « tirer son épingle du jeu » a peut-être influencé ce retournement. Exemples d’emploi au sens de « tirer profit d’une situation » :
- C’est ce qui s’appelle tirer les marrons du feu. Alors que l’écrasante majorité de la rédaction écrivante vient de quitter Science & Vie avec fracas, les neuf journalistes démissionnaires annoncent, lundi 10 mai, la naissance d’un nouveau mensuel scientifique. (Lemonde.fr)
- Contrats d’apprentissage dans des établissements fermés, stages en restaurant impossibles à décrocher… Le secteur de l’hôtellerie et de la restauration s’adapte au mieux à la crise, mais certains jeunes loirétains auront du mal à tirer les marrons du feu. (Larep.fr)
Ce nouveau sens de l’expression est peut-être lui aussi appelé à se dissiper. L’expression semble mal comprise par les francophones du XXIe siècle. Ceux-ci lui donnent le sens qu’ils veulent bien. Ils essaient de deviner la métaphore derrière l’idée de « tirer les marrons du feu ». Les deux captures d’écran ci-dessous montrent les réponses données par les abonnés au compte instagram Laculturegenerale à la question « Sans regarder sur internet, que signifie pour toi l’expression « tirer les marrons du feu » ? ». Le résultat est sans équivoque : l’expression est connue, mais a « perdu son sens ». Peut-être inventeront-ils un nouveau sens à l’expression.
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