Gilded Age. Le demi-siècle séparant la fin de la guerre de Sécession (1861-1865) de la Grande Guerre (1914-1918) a été celui de bouleversements géopolitiques majeurs. Au cours de ces décennies décisives, l’Europe renforce sa domination sur le monde en colonisant le continent africain. Unifiée en 1871, l’Allemagne, devient la première puissance européenne. Le Japon, lui, se lance dans un prodigieux effort de modernisation qui le conduit finalement à la victoire contre la Russie lors du conflit de 1904-1905. L’ascension des États-Unis au premier rang économique mondial n’a pas été le moindre de ces bouleversements. Alors que ce pays, en 1865, était encore largement rural et peu densément peuplé, il fait déjà figure de géant industriel et démographique (près de 100 millions d’habitants) à la veille de la Première Guerre mondiale. À bien des égards, c’est entre 1865 et 1901, au cours du Gilded age (âge doré), comme l’ont nommé Mark Twain et Charles Dudley Warner, qu’ont été posées les bases de la puissance actuelle des Etats-Unis.
Avant le Gilded Age : les conséquences de la guerre de Sécession
Le sud des États-Unis exsangue
Au sortir de la guerre de Sécession (1861 – 1865), les États-Unis sont un pays meurtri. Son coup en vies humaines est énorme : 600 000 morts et disparus. Le pays est encore profondément divisé. Les régions méridionales, celles des vaincus du conflit, sont dévastées et fortement appauvries. L’effort de réconciliation entre les anciens États confédérés et ceux de l’Union (le nord) doit passer par une reconstruction effective de l’économie et des infrastructures sudistes. La tâche est compliquée par l’abolition de l’esclavage en décembre 1865 (XIIIe amendement) sur lequel s’appuyait l’économie agricole du Sud.
La Reconstruction Era lancée par Andrew Johnson
Après l’assassinat d’Abraham Lincoln, c’est le président Andrew Johnson, réputé pour ses sympathies sudistes, qui lance la reconstruction. C’est la Reconstruciton Era. Après les élections de 1866, toutefois, le Congrès prend un tournant plus radical et impose une transformation nette des anciens États esclavagistes. Le Freedmen’s bureau (bureau des hommes libérés) prend en charge les anciens esclaves noirs en défendant leurs droits et en assurant leur accès à des services tels que l’éducation ou la santé. La reconstruction entraîne également l’arrivée au Sud de nombreux nordistes, en particulier des politiciens et des hommes d’affaires intéressés par les opportunités économiques qui s’y présentent. Ils sont péjorativement appelés les carpetbaggers par la population locale.
Enforcement acts vs. Ku Klux Klan
Les années du président Grant (1869-1877) constituent l’apogée de la reconstruction radicale. En 1870 et 1871, les enforcement acts garantissent aux noirs vivant dans les États méridionaux le droit de vote et de se présenter à des élections, ou encore leur égalité devant la loi.
Les autorités doivent néanmoins affronter une forte réaction d’une partie de la population blanche, humiliée par la défaite et rétive à l’ordre nouveau imposé par le Nord. C’est dans ce contexte qu’a été créé le Ku Klux Klan dès 1865. Le mouvement se lance dans des campagnes de terreur, commettant notamment des violences à l’encontre des noirs récemment libérés. Le président Grant mène une lutte impitoyable contre le Klan qui est éliminé dès le début des années 1870.
Le Gilded Age du Sud : Jim Crow laws et lost cause
Passé l’élan de la Guerre civile et des premières années de la reconstruction, la volonté des élites américaines de promouvoir l’égalité raciale, jamais unanime, s’affaiblit nettement. Cette question passe au second plan dès la fin du deuxième mandat de Grant en 1877 et, à partir des années 1890, les Etats du Sud peuvent mettre en place de nouvelles lois raciales, les Jim Crow laws, qui établissent une stricte ségrégation entre leurs populations noire et blanche. Malgré des efforts de développement économique, en particulier en vue de reconstruire les villes et les chemins de fer sudistes, la région reste à l’écart de l’extraordinaire croissance que connaît le reste du pays à la fin du XIXe siècle. Le sud demeure profondément rural, mais son agriculture est peu productive et ne se modernise que lentement. En revanche, le sud connaît un remarquable essor culturel, en particulier littéraire. Les écrivains de la lost cause (cause perdue), tels Abram Joseph Ryan ou Daniel B. Lucas célèbrent le panache et le romantisme des sudistes vaincus lors de la guerre de Sécession.
Une vie politique peu enthousiasmante
Le Gilded Age, l’âge d’or du Grand Old Party
Au cours du Gilded Age, de 1865 à 1913, le Parti républicain, celui d’Abraham Lincoln, domine nettement la scène politique nationale. Fondé comme un parti abolitionniste et protectionniste, il bénéficie en effet de la victoire de l’Union au cours de la guerre de Sécession. En près de quarante ans, seul le démocrate Grover Cleveland accède à deux reprises à la présidence, entre 1884 et 1889 puis entre 1893 et 1897. Lorsque Woodrow Wilson est élu président en 1912, sa victoire est avant tout due à la division de ses adversaires républicains, entre William H. Taft et Theodore Roosevelt qui se présente en troisième candidat. La période dorée de l’histoire américaine est donc également celle du Grand Old Party, dominant dans le Nord et l’Ouest et très lié aux milieux d’affaires et à la bourgeoisie nordiste. Le parti démocrate, lui, représente essentiellement le sud des Etats-Unis et les communautés immigrées les moins bien intégrées, particulièrement les catholiques les juifs. Il parvient ainsi à dominer certaines villes du Nord, comme New York, où il bénéficie du soutien d’une forte communauté irlandaise. À l’échelle nationale, la vie politique américaine ne connaît donc que peu d’évolutions. En outre, le pouvoir présidentiel paraît faible et peu actif jusqu’à l’émergence de Theodore Roosevelt.
La corruption au niveau local
La vie politique locale, elle, se caractérise par une forte corruption. Le meilleur exemple en est le système des machines politiques, dirigées par des boss. Il s’agit de dispositifs permettant aux deux principaux partis de remporter des élections grâce à un clientélisme organisé permis par la collusion d’électeurs, d’hommes d’affaires et d’élus, le boss assurant la coordination entre ces différents acteurs. La plus puissante de ces machines est celle des démocrates de Tammany Hall à New York, dirigée par des chefs charismatiques comme William « boss » Tweed ou « Honest » John Kelly. Bien que critiquée, cette organisation a au moins un effet positif : sa contribution à l’intégration dans le jeu politique de la communauté irlandaise de New York.
Le Gilded Age, l’âge d’or du « big business »
Le Gilded Age est avant tout un âge d’or pour l’économie des Etats-Unis, le Sud excepté. Les décennies qui suivent la Guerre civile sont en effet marquées par une modernisation sans précédent du pays, engendrant d’importantes transformations sociales.
Le prodigieux essor économique des États-Unis
De 1870 à 1916, le Produit national brut (PNB) américain est multiplié par six, ce qui correspond à une croissance annuelle moyenne d’environ 4 %. Dans les années 1890, la production industrielle des États-Unis dépasse celle du Royaume-Uni. En 1913, elle équivaut à celles du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la France réunies. Ces chiffres impressionnants donnent la mesure du prodigieux essor économique américain. Ce développement connaît plusieurs phases. Dans les années suivant la guerre de Sécession, l’industrie du chemin de fer et la sidérurgie, dont la capitale se trouve à Pittsburgh, croissent fortement.
Par la suite, l’économie des Etats-Unis se diversifie avec l’émergence de nouveaux secteurs comme les industries chimiques et mécaniques ainsi que l’électricité. Elle profite des immenses ressources du continent américain, de l’afflux presque constant d’immigrants industrieux et déterminés à améliorer leur sort dans le nouveau monde mais aussi de l’apport de capitaux étrangers, provenant souvent de Grande-Bretagne. Les investisseurs britanniques, de fait, sont attirés par le dynamisme de l’économie américaine et par la place financière de New York dont l’importance croît rapidement. Dans le même temps, des tarifs douaniers très élevés protègent efficacement les entreprises locales de la concurrence de biens étrangers.
Le Gilded Age, âge des grands capitaines d’industrie
Le Gilded Age est surtout l’ère des grands capitaines d’industrie qui accumulent des fortunes sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Dès le début des années 1860, John Rockefeller commence l’exploitation de plusieurs gisements de pétrole au nord du pays. En 1870, il créé la Standard oil of Ohio, dont la stratégie d’intégration horizontale lui assure rapidement un quasi-monopole sur la production pétrolière américaine. À la fin du XIXème siècle, Rockefeller est l’homme le plus riche des Etats-Unis. Il devance son grand rival Andrew Carnegie, immigré écossais devenu le baron l’acier américain dans les années 1880 grâce à une astucieuse politique d’intégration verticale. Au-delà de ces deux brillants exemples, d’autres hommes d’affaires se distinguent comme J.P. Morgan, William A. Clark ou Andrew Mellon. Beaucoup d’entre eux se lancent dans des initiatives philanthropiques ou le mécénat culturel afin d’afficher leur souci du bien commun. Le développement économique spectaculaire des Etats-Unis est également dû à de brillants scientifiques ou inventeurs comme les frères Wright et surtout Thomas Edison, pionnier de l’électricité et fondateur de la General Electric.
Le Gilded Age, un âge de conflits sociaux
Pour autant, l’époque n’est pas exempte de conflits sociaux. En effet, l’industrialisation des États-Unis ne profite pas également à tous et de nombreux ouvriers se sentent mis à l’écart du développement économique du pays. L’American Federation of Labor, créé en 1886, rassemble plusieurs associations syndicales déterminées à jouer un rôle politique majeur afin d’améliorer le sort des travailleurs américains. Sans atteindre la même intensité que dans certains États européens, le combat ouvrier devient une donnée importante de la société américaine. Il alimente la méfiance à l’égard du big business, accusé de ne guère se soucier du partage des richesses produites.
Le Gilded Age : un âge d’expansion territoriale
La deuxième moitié du XIXème siècle voit les Etats-Unis poursuivre leur expansion vers l’Ouest de leur continent, au détriment des tribus indiennes qui l’occupaient. Cette épopée fondatrice du providentialisme américain, justifie en partie le peu d’intérêt de l’opinion publique pour les affaires internationales. À la fin du siècle, la conquête de l’Ouest est presque achevée. L’accession au rang d’Etat de l’Arizona et du Nouveau Mexique en 1912 y met officiellement fin mais, dès les années 1890, l’avancée américaine avait cessé dans les faits. Si le « gilded age » a généralement été marqué par une politique isolationniste de la part des Etats-Unis, celle-ci laisse place à une diplomatie plus offensive à la fin de la période. Ayant complété leur expansion continentale et bâti la société la plus prospère du monde, les Américains sont de plus en plus enclins à s’affirmer sur la scène internationale.
La guerre hispano-américain de 1898
Une période marquante s’achève. À présent, les Etats-Unis doivent se doter de nouveaux objectifs vers lesquels orienter leur dynamisme sans égal. Très conscients de leur puissance, les Américains semblent prêts, à la fin du XIXe siècle, à accepter une politique étrangère plus offensive.
À partir de 1895, la révolte cubaine contre le colonisateur espagnol leur en donne l’occasion. La presse, avec William Randolph Hearst en fer de lance, se lance dans une violente campagne de dénigrement de l’Espagne et appelle à une intervention des États-Unis afin de les déloger de Cuba. Certains politiciens lui emboîtent le pas, comme le jeune Theodore Roosevelt, alors secrétaire adjoint à la Marine.
En février 1898, l’explosion (probablement accidentelle) de l’USS Maine, cuirassé de la marine américaine, à La Havane, déclenche finalement la guerre tant attendue contre l’Espagne. Celle-ci, exsangue et faible, ne fait plus le poids et est rapidement vaincue aussi bien à Cuba qu’aux Philippines. Les États-Unis récupèrent ces territoires, ainsi que l’île de Porto Rico, et s’imposent comme une grande puissance mondiale, capable d’intervenir à l’étranger pour défendre ses intérêts ou ses idéaux. Bien qu’elle soit encore loin d’égaler la Royal Navy britannique, la marine américaine fait la preuve de sa puissance et de sa modernité au cours de ce conflit.
La République impériale de Theodore Roosevelt
L’assassinat du président McKinley, en 1901, marque un tournant dans l’histoire des Etats-Unis. Le successeur du chef d’Etat défunt, son vice-président Theodore Roosevelt, est en effet appelé à accroître l’influence de son pays dans le monde.
Théodore Roosevelt, l’ère du progressisme
Theodore Roosevelt inaugure l’ère du progressisme. Certains politiciens aussi bien républicains que démocrates se donnent alors pour mission de réformer l’économie et le système politique américains. Théodore Roosvelt réforme donc pour éliminer certains effets négatifs du développement économique : concentration de l’industrie, affairisme, corruption politique ou encore inégalités sociales.
Une politique étrangère audacieuse
Dans les faits, la politique intérieure mise en œuvre par Roosevelt se révèle prudente voire timide. Ses actions sur la scène internationale frappent davantage les esprits. On parle alors de politique du big stick (gros bâton). Il complète ainsi la doctrine Monroe – qui affirmait le refus par les Etats-Unis de toute ingérence européenne en Amérique – par un corollaire : les Américains peuvent et doivent intervenir, y compris militairement, dans d’autres nations de leur continent pour y défendre leurs intérêts. Roosevelt s’intéresse également aux affaires asiatiques et c’est lui qui fait office de médiateur entre la Russie et la Japon suite à leur conflit de 1904-1905. Enfin, il s’implique dans certaines crises européennes, par exemple au Maroc en 1905 pour éviter une guerre entre la France et l’Allemagne. Theodore Roosevelt, loin de se contenter de jouer les médiateurs, donne aussi une marque impériale à la politique étrangère américaine. Il est ainsi un ferveur défenseur de la présence américaine à Cuba ou aux Philippines, où une guerre sanglante doit être menée contre une rébellion locale. En 1907, le président procède à une véritable démonstration de force en envoyant une flotte de seize cuirassés (la « Grande flotte blanche ») effectuer un tour du monde. Ce voyage de deux ans impressionne les Etats européens et consacre définitivement le statut de grande puissance maritime des Etats-Unis.
La Grande Guerre et la fin du Gilded Age
Reflux de la république impériale
Roosevelt ne se représente pas à l’élection présidentielle de 1908 et le nouveau président William H. Taft n’a pas l’enthousiasme de son prédécesseur pour les grandes aventures internationales. À la politique du big stick (gros bâton), il préfère la diplomatie du dollar, l’Amérique devant mener une politique d’influence en s’appuyant essentiellement sur sa force économique. Son successeur, le démocrate Woodrow Wilson (1913-1920) a initialement les mêmes réticences à l’égard des interventions extérieures, qui se manifeste notamment par son strict neutralisme au moment où éclate la Première Guerre mondiale, en Europe. Il préfère se concentrer sur les affaires intérieures où il obtient des succès comme la création de la réserve fédérale en 1913 ou les lois antitrust de 1914.
Les États-Unis, une puissance incontournable pendant la Grande Guerre
Les États-Unis sont pourtant devenus une nation incontournable dont le soutien économique et militaire est très convoité par les démocraties européennes en guerre, à savoir la France et la Grande-Bretagne. À l’inverse, si l’Allemagne tente de maintenir la puissance d’outre-Atlantique hors du conflit, sa stratégie sous-marine agressive scandalise l’opinion publique américaine, révoltée par le naufrage du Lusitania en 1915. Lorsqu’en 1917, les Etats-Unis finissent enfin par entrer en guerre, ils n’ont pas d’armée de terre. Pourtant, il ne fait alors aucun doute que leur puissance démographique, économique et industrielle jouera un rôle majeur dans la résolution du conflit. De fait, les offensives allemandes du début de l’année 1918 ont pour but de vaincre les forces franco-britanniques avant l’arrivée en masse de soldats américains en France. Lorsque la Grande Guerre s’achève, le 11 novembre 1918, près de deux millions d’entre eux combattent sur le front de l’Ouest. Si le conflit s’était poursuivi durant encore une année, ils auraient probablement été quatre millions. Les États-Unis seraient alors devenus la première puissance du camp de l’Entente.
Le Gilded Age ou l’émergence de la puissance américaine
La participation américaine à la Grande Guerre a été la dernière étape de l’émergence des Etats-Unis comme grande puissance mondiale. En effet, il s’agissait de la première intervention militaire américaine en Europe, continent alors au centre du système international. Les États-Unis ont également joué un rôle décisif lors de la négociation du Traité de Versailles (1919) ayant officiellement mis fin au premier conflit mondial. La puissance américaine s’est essentiellement développée après la guerre de Sécession. Elle s’est appuyée sur le dynamisme démographique des Etats-Unis, l’abondance de nombreuses ressources naturelles (charbon, pétrole…) en Amérique du Nord, un système économique efficace fondé sur la libre-entreprise et le progrès scientifique et une industrialisation rapide permise par un protectionnisme intelligent. Première économie mondiale dès la fin du XIXe siècle, les Etats-Unis ne pouvaient plus se contenter de leur isolationnisme traditionnel.
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