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La révolution néolithique : définition et dates

Publié le 14/06/2022 (m.à.j* le 19/11/2024)
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Définition

« Révolution néolithique » est une expression qui désigne le passage dans certaines sociétés humaines d’un mode de vie de chasseur-cueilleur nomade à celui d’agriculteur sédentaire. En d’autres termes, des sociétés formées de petits groupes d’individus nomades qui subsistaient fondamentalement grâce à la pêche, à la chasse, à la cueillette et à une sylviculture limitée décident de se sédentariser et de fonder l’essentiel de leur subsistance sur la domestication des plantes et des animaux (l’élevage), sans retour en arrière. La plupart des sociétés du monde moderne sont des sociétés issues de la révolution néolithique.

 

L’origine de l’expression « révolution néolithique »

L’expression « révolution néolithique » est une invention de l’archéologue australien d’inspiration marxiste Vere Gordon Childe (1892 – 1957), construite à partir du néologisme « néolithique » (neolithic) inventé en 1865 par l’archéologue britannique John Lubbock (1834 – 1913), qui a aussi inventé le terme « préhistoire ». « Néolithique » est été formé sur le grec neos,  νέος , « nouveau » et lithos, λιθος, « pierre », littéralement « pierre nouvelle », une locution qui renvoie plutôt à la « pierre polie ». Cette période avait été conçue par son inventeur comme une des deux périodes constitutives de l’« âge de pierre », l’autre étant le « paléolithique », « l’âge la pierre taillée ».

Le préhistorien français Émile Cartailhac (1845 – 1921) est le premier à parler de « révolution », mais c’est Gordon Childe qui popularise l’expression « révolution néolithique » en 1925 dans son ouvrage The Dawn of European Civilization, non pas pour pour mettre en lumière le passage de la pierre taillée à la pierre polie, mais pour souligner la rupture primordiale (« révolutionnaire ») qu’a représenté le passage à l’agriculture sédentaire, et de toutes les conséquences que ce passage a entrainées.

 

Les causes

Depuis son émergence il y a 200 000 à 300 000 ans environ, l’être humain, Homo sapiens, était un chasseur-cueilleur, jusqu’à ce que la révolution néolithique se déclenche il y a 12 000 ans environ, vers -10 000 av. J.-C, et vienne bouleverser ce modèle de subsistance dans certaines communautés humaines. Si de nombreuses hypothèses existent sur les causes du déclenchement de la révolution néolithique, la plus facilement mesurable est le passage d’une période de glaciation, le Pléistocène, à une période de climat plus tempéré, l’Holocène (où nous nous situons toujours). L’Europe, par exemple, où les températures étaient sibériennes pendant le Pléistocène, s’est couverte à l’Holocène d’essences tempérées. Le renne, qui constituait la part majeure de l’alimentation animale des chasseurs-cueilleurs, a migré vers le Nord. Les effets de la sélection naturelle ont probablement tenu eux aussi un rôle dans l’émergence de civilisations fondées sur l’agriculture : le cerveau d’Homo Sapiens s’est complexifié, ce dont témoignent des comportements nouveaux, comme la fabrication d’images (l’art pariétal, par exemple sur les parois de la grotte Chauvet il y a environ 37 000 ans), la domestication du chien à partir du loup (entre – 15 000 et – 11 000), celles d’animaux pour son agrément, etc. L’Homo sapiens, plus intelligent, a peut-être changé son regard sur le monde et sur sa place dans la nature.

 

Le processus de néolithisation

Dans plusieurs régions du monde, l’homme se sédentarise et domestique progressivement son milieu. La domestication désigne le processus par lequel des êtres humains modifient la morphologie des plantes et animaux pour favoriser le développement, génération après génération, de caractéristiques désirables, en contrôlant leur reproduction. Le rapport de l’homme envers la nature change concrètement : il était immergé dans en elle en tant que chasseur-cueilleur, il se transforme en son maître et possesseur en tant qu’agriculteur,  en s’octroyant le pouvoir de délimiter l’espace de vie des plantes et animaux qu’il exploite, et de décider de ce qu’il veut en faire.

La transition vers un mode de vie d’agriculteur sédentaire s’est faite selon un processus graduel avec l’adoption, en premier lieu, d’une économie mixte (cultures accompagnées de chasses et de cueillettes). Ce processus a connu des échecs et des réversions. Par exemple, avec l’introduction du cheval en Amérique du Nord, certains peuples comme les Cheyennes, Arapahos ou les Pawnees sont revenus à une économie fondée sur la chasse. Les bénéfices de l’agriculture n’ont dû apparaître que très progressivement aux yeux des communautés qui se sont tournées vers elle.

Le plus ancien foyer connu de « néolithisation » est le Proche-Orient. Une société de chasseurs-cueilleurs, surnommés les Natoufiens (de Wadi en-Natouf, en Cisjordanie actuelle, où on été menées des fouilles), a commencé par se sédentariser en se fixant sur une région partant du nord du désert du Néguev à la Syrie actuelle. Leurs habitations sont de grandes maisons circulaires, avec des assises en pierre sèche, rassemblées en villages. Leur alimentation est d’abord composée d’animaux sauvages chassés (lièvres, gazelles, chèvres, moutons, aurochs), d’espèces aquatiques, de fruits, de légumineuses et de céréales sauvages, moissonnées avec des faucilles en silex ou en os et broyées sur des meules de pierre.

Peu à peu, ces hommes sédentarisés domestiquent céréales et animaux. La reproduction, par exemple, des aurochs ayant les meilleures caractéristiques pour l’élevage débouche sur la création du bœuf, plus petit que l’auroch, aux pattes plus courtes et aux cornes réduites et inclinées (donc moins dangereuses), et aux plus gros pis pour les femelles (pour la traite). Ils emploient des céréales locales qu’ils sélectionnent, notamment pour les grains qui se dispersent difficilement et qu’ils peuvent conserver, comme :

  • le triticum sativum : le blé tendre ;
  • le hordeum vulgare : l’orge commune ;
  • le triticum dicoccum : l’amidonnier ;
  • le triticum monoccum : l’engrain.

De -8500 à -6900, au Proche-Orient, mouton, chèvre, porc sont domestiqués avec le bœufs.

Cette domestication n’a pas été suffisante pour passer d’une économie de chasse et de cueillette à une économie fondée sur l’agriculture. Elle a aussi exigé le développement de techniques de battage et de vannage, des techniques de conservation, comme la fabrication de silos pour les céréales dans le but de les ressemer, de techniques d’irrigation (début du VIe millénaire av.J.-C.), des techniques de traitement de la nourriture, comme l’utilisation du mortier et du pilon pour faire de la farine, mais aussi des techniques de dressage, de soin et d’alimentation des animaux, notamment des chats qui avaient pour rôle de protéger les réserves des rongeurs, mais aussi des animaux de traits pour les employer dans les travaux des champs (pour retourner la terre avec l’araire, qui fait son apparition au IVe millénaire av. J.-C.), etc. En même temps, l’amélioration de la céramique, déjà connue des chasseurs-cueilleurs, permet le développement de récipients. Le tour de potier est attesté en Mésopotamie au IVe millénaire.

Les surplus permis progressivement par l’agriculture, un apport en nourriture plus sûr et la sédentarisation rendent plus facile la reproduction et donc la croissance de la population : si les chasseuses-cueilleuses n’avaient un enfant que tous les trois ou quatre ans, les agricultrices, qui ont moins de besoin de mobilité, peuvent en avoir un chaque année (cf. Jean-Paul Demoule), même si nombre d’entre eux meurent en bas âge. La population mondiale passe de 1 à 2 millions d’habitants en – 12 000 repartis en petits groupes de quelques dizaines de personnes à peut-être 252 millions de personnes en l’an 0 de notre ère, et à 7 milliards d’aujourd’hui. Certains villages grossissent au point d’accueillir plusieurs milliers d’habitants, comme sur les sites de Tell Aswad en Syrie, Aïn Ghazal en Jordanie ou Aşıklı Höyük en Turquie, où l’on trouve des habitations de briques crues avec des décors peints et des sols enduis à la chaux. Les êtres humains forment des villages où ils demeurent et ne sortent que pour cultiver leur champ ou faire paître le bétail.

 

La néolithisation de l’Europe

À partir du VIIe millénaire av. J.-C., les agriculteurs du Proche-Orient commencent lentement à migrer vers l’Europe et à coloniser de nouveaux territoires, occupés jusque-là par des chasseurs-cueilleurs (toutes les espèces de plantes cultivées au néolithique en Europe sont originaires du Proche-Orient, sauf le pavot). Le néolithique le plus ancien en Anatolie émerge vers -8000, en Grèce vers -6700, dans les Balkans vers -6100, sur le pourtour méditerranéen de l’Italie, de la France et l’Espagne entre -6000 et -5600. Une culture néolithique, le Rubané (du fait du décor en ruban de leurs poteries), se développe plus au Nord sur une longue bande de terre partant du Dniepr et arrivant à la Bretagne vers -5500.

Cette expansion, lente, demandait que chaque groupe de colonisateur effectue une reconnaissance préalable pour repérer des terrains propices, et d’organiser ensuite une expédition demandant une lourde logistique, avec vivres et animaux. Cette expansion en « saut de puce », périlleuse, a probablement connu de nombreux échecs, constatés notamment dans le Languedoc où des villages de colons venant de la région des actuelles Toscane et Ligurie ont été abandonnés par leurs fondateurs. L’adaptation des espèces de plantes et animaux importés à un nouvel environnement, aux hivers plus froids, demandaient en outre du temps, et de nouveaux processus de sélection.

L’expansion de la néolithisation s’explique aussi par l’adoption, par des groupes de chasseurs-cueilleurs, de l’agriculture, sous l’influence des agriculteurs colonisateurs, qui formaient probablement des colonies enclavées sur des territoires de chasseurs-cueilleurs. 

Avec le Proche-Orient, d’autres foyers de néolithisation indépendants ont bien sûr émergé au cours de cette période :

  • en Chine du Nord, autre foyer de néolithisation, l’agriculture se développe avec le buffle, le porc et le millet ; on trouve aussi ces animaux en Chine du Sud, en plus du riz, de la poule, de l’oie, du canard, du vers à soie, etc. ;
  • en Asie centrale, le chameaux, le dromadaire, le yack et l’éléphant sont domestiqués ;
  • au Pakistan, l’orge et le zébu (dès le VIIe millénaire) ;
  • en Amérique, en fonction des aires géographiques, le cobaye, le dindon, la pomme de terre, le maïs, le haricot, la courge, le tournesol, l’avocat, le coton, etc. (une absence de bête de trait est à noter). La sédentarisation n’est constatable qu’au IIIe millénaire. La domestication de l’alpaga et du lama a été repérée sur un site andin du IVe millénaire (Telarmachay au Pérou).
  • en Nouvelle-Guinée, culture de la banane, du taro, de l’igname, fabrication de haches polies, culture du sol par brûlis, etc.
  • en Afrique : l’âne, le mil, le riz africain, le sorgho, etc.

Certaines néolithisations ont été très singulières, comme celle de la civilisation Jômon au Japon (-13000 jusqu’au milieu du Ier millénaire av. J.-C.) : la sédentarisation et la production importante de poteries ne s’accompagne pas du développement de l’agriculture. Les peuples Jômon exploitent la forêt, se nourrissent d’animaux sauvages et de la pèche.

 

La Révolution néolithique : des conséquences négatives ?

Le néolithique a bouleversé la configuration de la vie humaine d’une manière qui a parfois été considérée comme négative. La pénibilité des travaux des champs provoque des troubles musculo-squelettiques comme la cyphose, la déviation de la colonne vertébrale générée par une vie entière à se pencher.

La base de l’alimentation humaine a changé en faveur des céréales, consommée notamment sous forme de pain ou de bouillie. Les céréales apportent surtout des glucides, mais les agriculteurs ont développé une taille inférieure à celles des chasseurs-cueilleurs et ont plus de pathologies liées à leur nourriture. Au reste, la fabrication de produits laitiers est devenue plus facile avec la possibilité de traire. L’exploitation du sel est en outre possible, ainsi que la production d’alcool.

La promiscuité avec des animaux commensaux (rats, oiseaux) a favorisé, en outre, la transmission de maladie.

Il faut aussi évoquer le développement des inégalités en même temps que celui des États : une partie des membres de la société a pu se consacrer à d’autres tâches que la simple quête de la subsistance, s’enrichir, ou se voir confier une dignité supérieure en acquérant du pouvoir. Profitant de leur position, ils purent imposer les agriculteurs en céréales, ressource facile à décompter. Des nécropoles apparurent au Ve millénaire av. J.-C., témoignant d’une plus grande inégalité de richesse entre les tombes. Une fouille à Varna (Bulgarie) a permis de découvrir la tombe d’un individu enterré avec près d’un kilo d’or.

En même, la sédentarisation a entraîné la territorialisation des groupes humains : certaines sociétés se sont attachées à un sol qu’elles considérèrent dès lors comme leur propriété. Le désir de domination impériale donna naissance aux premiers conflits armés, et au développement d’instruments et techniques de guerre et de défense de plus en plus sophistiqués. Le néolithique n’a pas été une période de paix. Ainsi, à Talheim (Bade-Wurtemberg), une fouille a révélé un charnier contenant 34 individus massacrés vers -5000 par une autre communauté proche. Une autre fouille sur un site d’Herxhiem (Palatinat) a révélé un massacre de plusieurs centaines d’individus (avec cannibalisme). Plus récemment, un charnier contenant les reste de 10 individus massacrés à la hache a été découvert lors d’une fouille à Achenheim (Bas-Rhin) d’un village daté de -4300.

Enfin, le travail de la métallurgie a provoqué les premières pollutions.

 

À lire

  • Anne Lehoërff, Le Néolithique
  • Jean-Paul Demoule, Les Dix millénaires oubliés qui ont fait l’Histoire
  • Jean-Paul Demoule, La Préhistoire en 100 questions
  • Serge Svizzero, Persistent controversies about the neolithic revolution
  • L’Histoire magazine, Néolithique, L’Agriculture a-t-elle fait le malheur des hommes ?