La gradation est une figure de style par laquelle on ordonne les termes d’une phrase qui évoquent une idée similaire selon une progression ascendante ou descendante. En d’autres mots, une même idée peut être exprimée avec plus ou moins de force grâce à une énumération de termes qui peuvent gagner ou perdre en intensité, en nombre, en taille, etc. Les termes qui se suivent dans une gradation progressent par le sens. Exemple :
C’est un roc ! c’est un pic ! c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule !Rostand, Cyrano de Bergerac, I, 4
Cyrano de Bergerac parle de son gros nez par des métaphores désignant un élément toujours plus important en dimension. On parlera souvent de gradation ascendante pour désigner une gradation qui gagne en intensité. Autre exemple :
Ça dure bien toute une nuit à brûler, un village, même un petit, à la fin, on dirait une fleur énorme, puis rien qu’un bouton, puis plus rien.
Céline, Voyage au bout de la nuit
Dans cet exemple, on parlera d’une gradation descendante, car la comparaison perd en intensité : fleur, bouton puis rien.
La gradation : une figure d’amplification
La gradation est une figure d’amplification qui produit un effet de dramatisation. Elle permet de donner plus d’intensité à l’expression et de rythme à la phrase.
Gradation ascendante et descendante : attention !
Il est courant de distinguer la gradation ascendante de la gradation descendante. Mais attention : cette distinction est parfois malaisée. Il en est ainsi de l’exemple suivant :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
On pourrait parler formellement d’une gradation descendante : le teint de Phèdre se dégrade. En même temps, sa faiblesse augmente car elle commence à rougir puis finit par pâlir ! Avons-nous alors affaire à une gradation ascendante ? En définitive, les deux cas s’appliquent :
Le crescendo stylistique sert à dépeindre le decrescendo des forces de Phèdre.
Gradus
Accumulation et énumération
Contrairement à l’accumulation ou à l’énumération, les termes d’une gradation progressent de manière ascendante ou descendante.
Français, Anglais, Lorrains, que la fureur rassemble […]
Voltaire, Henriade, une asyndète
L’énumération « Français », « Anglais », « Lorrains » ne comporte pas de progression (ni en intensité, ni en taille, etc.). Ce n’est donc pas une gradation. Attention : Cependant, il n’est pas toujours aisé de distinguer une gradation d’une énumération ou d’une accumulation.
Oui je vais te tuer, monseigneur, vois-tu bien ?
Comme un infâme ! comme un lâche ! comme un chien !
Doit-on on voir une progression dans l’insulte avec la succession des termes « infâme », « lâche » puis « chien » ? Il faudrait considérer alors qu’ « infâme » est une injure moins forte que « chien », ou le contraire.
Gradation et bathos
On parle de bathos lorsque la progression de la gradation est cassée par un terme inverse. La chute en devient inattendue, car la gradation ne va pas à son terme. Exemple :
Alfred De Musset, esprit charmant, aimable, fin, gracieux, délicat, exquis, petit.
Victor Hugo
Autre exemple :
Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent.
Molière, L’Avare, IV, 7, Harpagon
Étymologie
Gradation vient du terme de rhétorique latin gradatio, venant lui-même de gradus, c’est-à-dire « degré ».
Exemples de gradation
Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passés au fil de l’épée
Montaigne, Essais, I, 31
Je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré
Molière, L’Avare, IV, 7, Harpagon
Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ?
Pascal, Pensées
Va, cours, vole et nous venge
Corneille, Le Cid
Vous voulez qu’un roi meure, et pour son châtiment
Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment.Racine, Andromaque, IV,3 Oreste
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La Fontaine, La Laitière et le Pot au lait
Marchez, courez, volez où l’honneur vous appelle.
Boileau, Le Lutrin, III
Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées.
Voltaire, Candide, Chapitre III
Cet extrait de Voltaire est aussi une antiphrase.
Le fleuve naît, gronde et s’écoule
La tour monte, vieillit et s’écrouleLamartine, Le chêne
Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêléBaudelaire, Le Flacon
Elles piaillaient, beuglaient, hurlaient
Baudelaire, Le Vieux Saltimbanque
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !Rostand, Cyrano de Bergerac, II, 8, Cyrano
Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré
Jarry, Ubu Roi, IV, 4, Père Ubu
On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu.
Jean Rostand
Ils s’accrochent, ils mordent, ils lacèrent, ils en bavent.
Céline, Voyage au bout de la nuit
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