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Euphémisme : définition et nombreux exemples (figure de style)

Publié le 05/10/2017 (m.à.j* le 14/07/2024)
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Définition

L’euphémisme est une figure de style par laquelle on atténue l’expression d’une idée pour en masquer le caractère déplaisant, brutal, triste, vulgaire, douloureux, etc. On énonce indirectement une idée odieuse (par exemple, l’idée de la mort) pour atténuer son effet (la peur et la tristesse pour la mort). Exemple :

  • Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
    Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
    Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. (Rimbaud, Le dormeur du val)

Ces célèbres vers qui concluent Le Dormeur du Val sont euphémiques : Rimbaud ne dit pas explicitement que le soldat est mort. Il utilise pour cela une métonymie en énonçant l’effet à la place de la cause : les « deux trous rouges au côté droit » disent bien sûr qu’un soldat ennemi lui a tiré dessus et l’a tué. Évoquer directement la mort aurait juré avec le ton du poème, dans lequel le lecteur est plongé dans une atmosphère de quiétude et de sérénité. En général, l’euphémisme est employé pour parler de la maladie, de la mort ou de la sexualité

Autre exemple : 

Sganarelle : Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs ?
Géronte : Fort grandes.
Sganarelle : C’est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez ?
Géronte : Oui.
Sganarelle : Copieusement ?
Géronte : Je n’entends rien à cela.
Sganarelle : La matière est-elle louable ?
Géronte : Je ne me connais pas à ces choses.

Molière, Le Médecin malgré lui, II, 6

On comprend ici que l’euphémisme peut aussi être un procédé comique. La périphrase de Sganarelle « où vous savez » évoque bien sûr les toilettes, et la métonymie « la matière » désigne les excréments. 

Attention : on dit « euphémique » et pas euphémistique (anglicisme).

Vous trouverez en cliquant ici la liste de toutes les figures de style essentielles de la langue française

Comment le former ? 

On peut construire des euphémismes par d’autres procédés que ceux évoqués ci-dessus.  

  • La métaphore : « il a rejoint les étoiles » pour « il est mort ». 
  • L’antiphrase : « voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré » (Beaumarchais, Le Barbier de Séville, I, 2, Figaro). Il faut bien sûr comprendre le contraire : les « bontés » sont les insultes du Comte à Figaro.
  • Un mot composé : « un sous-doué » pour « un imbécile ».
  • Une métonymie : « les événements d’Algérie » pour parler de la guerre d’Algérie. 
  • Un mot étranger : black pour « une personne noire ». 
  • etc.

Euphémisme et litote

Euphémisme et litote sont deux figures de style qui atténuent l’expression d’une idée. Mais alors que l’euphémisme veut réduire le caractère désagréable de l’idée, la litote veut lui donner plus de force par l’atténuation.

Exemple : pour parler de quelqu’un d’aveugle ou de presque-aveugle, on dira par euphémisme que c’est un non-voyant, alors que l’on pourrait dire par litote de cette personne qu’elle ne voit pas grand chose

Rater son euphémisme, c’est en quelque sorte produire une litote !

L’antonyme de l’euphémisme : l’hyperbole

L’euphémisme atténue l’expression d’une idée, alors que l’hyperbole utilise l’exagération pour mettre un élément en relief, pour frapper les esprits ou pour ironiser.

Quel est l’effet de l’euphémisme ?

Comme son étymologie l’indique (euphémisme veut dire « emploi d’un mot de bon augure »), l’euphémisme servait aux hommes de l’Antiquité à éviter d’utiliser des termes qui pourraient attirer le malheur. Un exemple amusant permet de comprendre cette façon de penser : les Grecs nommaient la mer Noire Pont-Euxin, c’est-à-dire la « mer hospitalière », alors que la navigation sur cette mer est réputée difficile. 

L’euphémisme permet bien sûr d’éviter de froisser un interlocuteur et de préserver une certaine bienséance. En cela, il a été utilisé par les écrivains de la préciosité.

Il est surtout aujourd’hui utilisé en communication politique. On le qualifie souvent de « politiquement correct », terme lui-même euphémique qui permet de ne pas parler d’hypocrisie, voire de mensonge. L’euphémisme sert en politique à masquer une vérité trop dure ou compromettante pour un gouvernement en place. Ainsi, le président-candidat Nicolas Sarkozy déclarait en mars 2012

Les chiffres de ce soir manifesteront une amélioration de la situation avec une baisse tendancielle de l’augmentation du nombre de chômeurs. Cette augmentation sera assez modérée.

Nicolas Sarkozy vantait donc une baisse de l’augmentation du nombre de chômeurs, pour ne pas dire que le nombre de chômeurs continuait d’augmenter. 

Nous sommes aussi habitués à entendre parler de « demandeurs d’emploi » à la place de chômeurs, ou de « plan social » à la place de licenciements. 

Le Gradus affirme en outre que l’euphémisme est facteur de détérioration sémantique : nous employons couramment l’euphémisme « une situation sérieuse » pour parler d’une situation grave, ce qui fait perdre le sens premier de « sérieuse ».

Caractériser un euphémisme

La détermination du caractère euphémique d’un énoncé dépend bien sûr du contexte et de l’appréciation de ceux qui le perçoivent. Savoir si un énoncé est euphémique est parfois une question de jugement. Par exemple, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait qualifié de « sauvageons » les auteurs de l’attaque d’une voiture de police. Pour certains, ce terme est euphémique : il faudrait plutôt les qualifier de « tueurs de policiers ». Pour d’autres, ce terme est trop brutal, voire hyperboliqueQualifier un énoncé d’éuphémique permet donc à quelqu’un de dénoncer l’autre qui « nomme mal »Il permet aussi de faire preuve de consentement, notamment par la locution « c’est un euphémisme », aujourd’hui très courante ( « cette situation est difficile, et c’est un euphémisme que de le dire »). 

Étymologie d’euphémisme

Vient du grec euphêmismos, « emploi d’un mot favorable, de bon augure ». Eu signifie « bien » et phémi, « parler ». 

Exemples d’euphémisme

De nombreux euphémismes font partie du langage courant : 

  • N’être plus / Rendre un dernier soupir / S’éteindre / Rejoindre l’autre monde / Passer l’arme à gauche : mourir.
  • Être un peu limité : être bête.
  • Supprimer : tuer.
  • Chatouiller les côtes : battre, rosser.
  • Lisser les effectifs / Remercier : licencier.
  • Le troisième âge, les personnes âgées, les seniors, les anciens : les vieux.
  • Enveloppé, rond, fort, costaud : gros.
  • Non-voyant / non-entendant : aveugle et sourd. 
  • Une longue maladie / Une tumeur : un cancer.
  • Une frappe chirurgicale : un bombardement. 
  • Le théâtre des opérations : le champ de bataille. 
  • Des dommages collatéraux : des morts civils. 
  • Une purification ethnique : des massacres, un génocide, etc.
  • On l’a remercié : on l’a licencié.
  • Déjections canines : crottes de chien. 
  • Centre de détention : prison. 
  • Sans domicile fixe / Sans-abri : clochard. 

Exemples littéraires

Le tems s’en va, le tems s’en va, ma Dame :
Las! le tems non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame :

Ronsard, Continuation des amours

« Estendus sous la lame » remplace « être mort ». 

Piphagne : Adesso, adesso, Tabarin ; sas-to que voglio te communiquar ? Voglio far una dispensa, un banquetto, et convocar tutti li mei parenti…

Tabarin : Je les trouverai tantôt ; il n’en faut pas tant prier, afin que je puisse remplir mes boyaux. Il y a huit jours que je n’ai pas excrémento-pharmacopolé ; mon ventre servirait d’une vraie lanterne si on y mettait une chandelle…

Farce de Tabarin

L’Époux d’une jeune Beauté
Partait pour l’autre monde

La Fontaine, Fables, La Jeune Veuve

⇒ La périphrase « l’autre monde » évoque la mort. 

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine

André Chénier, La Jeune Tarentine

L’antiphrase « elle a vécu » pour « elle est morte ». 

Je me mis à le surveiller avec l’attention d’une mère pour son enfant, et le surpris heureusement au moment où il allait pratiquer sur lui-même l’opération à laquelle Origène crut devoir sont talent.

Balzac, Louis Lambert

⇒ L’euphémisme est ici un procédé comique : l’opération évoquée est une auto-castration.

Il me fait des déclarations et m’embrasse, et me menace de…de…son autorité.

Maupassant, La Paix du ménage

⇒ Procédé comique toujours. Mme Sallus parle de son mari dont l’amour pour elle est revivifié. On peut alors deviner de quelle autorité elle est menacée. 

Sire, reprit Olivier, sachez que je comptais faire dans le même temps, avec une seule pucelle, ce que Héraclès de Grèce fit avec cinquante. Et cette pucelle sera princesse, fille du roi Hugon.

À la bonne heure ! dit Charlemagne, ce sera agir honnêtement et façon chrétienne.

Anatole France, Le Gab d’Olivier

Je montais sangloter tout en haut de la maison à côté de la salle d’études, sous les toits, dans une petite pièce sentant l’iris, et que parfumait aussi un cassis sauvage poussé au dehors entre les pierres de la muraille et qui passait une branche de fleurs par la fenêtre entr’ouverte. Destinée à un usage plus spécial et plus vulgaire, cette pièce, d’où l’on voyait pendant le jour jusqu’au donjon de Roussainville-le-Pin, servit longtemps de refuge pour moi, sans doute parce qu’elle était la seule qu’il me fût permis de fermer à clef, à toutes celles de mes occupations qui réclamaient une inviolable solitude : la lecture, la rêverie, les larmes et la volupté.

Du côté de chez Swann, force suggestive

Quand, sourd même à mon vers sacré qui ne l’alarme,
Quelqu’un de ces passants, fier, aveugle et muet,
Hôte de son linceul vague, se transmuait
En le vierge héros de l’attente posthume.

Mallarmé, Toast funèbre

⇒ Euphémisme complexe évoquant la mort. 

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Verlaine, Mon rêve familier

⇒ Verlaine utilise des euphémismes pour leur force évocatrice (de la mort).