Petite épître au roi | Poème de Clément Marot
En ancien français
En m’esbatant je faiz Rondeaux en
rime,
Et en rimant bien souvent je m’enrime
:
Brief, c’est pitié d’entre nous
Rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime
ailleurs,
Et quand vous plaist, mieulx que moy,
rimassez,
Des biens avez, et de la rime
assez.
Mais moy à tout ma rime, et ma
rimaille
Je ne soustiens (dont je suis marry)
maille.
Or ce me dist (ung jour) quelque
Rimart,
Viença Marot, trouves tu en rime
art,
Qui serve aux gens, toy qui a
rimassé:
Ouy vrayement (respondz je) Henri
Macé.
Car voys tu bien, la personne
rimante,
Qui au Jardin de son sens la rime
ente,
Si elle n’a des biens en
rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime oyant
:
Et m’est advis, que si je ne
rimoys,
Mon pauvre corps ne seroit nourry
moys,
Ne demy jour. Car la moindre
rimette
C’est le plaisir, ou fault que mon
rys mette.
Si vous supply, qu’à ce jeune
Rimeur
Faciez avoir ung jour par sa rime
heur.
Affin qu’on die, en prose, ou en
rimant,
Ce Rimailleur, qui s’alloit
enrimant,
Tant rimassa, rima, et
rimonna,
Qu’il a congneu, quel bien par rime
on a.
En français moderne
En m’ébattant je fais rondeaux en
rime,
Et en rimant bien souvent, je
m’enrime ;
Bref, c’est pitié d’entre nous
rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime
ailleurs,
Et quand vous plait, mieux que moi
rimassez,
Des biens avez et de la rime assez
:
Mais moi, à tout ma rime et ma
rimaille,
Je ne soutiens, dont je suis marri,
maille.
Or ce me dit un jour quelque rimart
:
Vien ça, Marot, trouves tu en rime
art
Qui serve aux gens, toi qui as
rimassé ?
– Oui vraiment, réponds-je, Henry
Macé ;
Car, vois-tu bien, la personne
rimante
Qui au jardin de son sens la rime
ente,
Si elle n’a des biens en
rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime
oyant.
Et m’est avis, que si je ne
rimois,
Mon pauvre corps ne serait nourri
mois,
Ne demi-jour. Car la moindre
rimette,
C’est le plaisir, où faut que mon ris
mette.
Si vous supplie, qu’à ce jeune
rimeur
Fassiez avoir par sa rime
heur,
Afin qu’on dise, en prose ou en
rimant ,
Ce rimailleur, qui s’allait
enrimant,
Tant rimassa, rima et
rimonna,
Qu’il a connu quel bien par rime on
a.
L’Adolescence Clémentine
Cette magnifique poésie apprise en seconde (il y a 35 ans) m’est resté en tête. Je la connais (toujours) presque par cœur.
Quel plaisir de la relire et de rimoyer avec elle !
Concernant la prononciation, il faut savoir que traditionnellement, « oyant » se prononce ‹ wa‑yant › (/wa.jã/) et non ‹ o‑yant › (/ɔ.jã/) (comme on prononce aujourd’hui « oyez » ‹o-yé› (/ɔ.je/) alors qu’il faudrait le prononcer ‹ wa-yé › (/wa.je/)), ce qui fait bien la rime avec « rimoyant ».
De même, on nasalisait les voyelles suivies d’un double n en moyen français, ce qui donne que « rimonna » se prononçait ‹ ri-mon-na › (/ʁi.mɔ̃.na/) et non ‹ ri-mo-na › (/ʁi.mɔ.na/) comme on le fait en français moderne, et là encore ça rime bien avec « rime on a » (/ri.m‿ɔ̃.n‿a/).