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L’éclatement de la Yougoslavie : 1991 – 1999

Publié le 22/04/2017
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Situés dans le coin sud-est du continent européen, les Balkans ont été en marge de celui-ci durant une large partie de leur histoire, du fait de leur position géographique excentrée et d’une occupation ottomane de plusieurs siècles. C’est pourtant dans cette région périphérique que la Grande Guerre a commencé en 1914, par l’assassinat le 28 juin de l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche par un nationaliste serbe. C’est aussi là que s’est produit le premier conflit majeur qu’ait connu l’Europe après la Seconde Guerre mondiale au début des années 1990, lors de l’éclatement définitif de la grande Yougoslavie issue de la paix de 1919.

Alors qu’aujourd’hui, cette région du monde reste fragilisée par les rivalités interétatiques, une situation économique toujours très difficile et des tensions ethniques qui pourraient resurgir à l’avenir, il paraît essentiel de comprendre les fondements, le déroulement et le résultat des guerres de Yougoslavie. Ces conflits, qui ont ensanglanté les Balkans durant les années 1990, sont en effet généralement considérés comme des preuves de l’incapacité de la communauté internationale à éteindre des conflits en l’absence d’un engagement des grandes puissances.

 

De l’Empire ottoman à la Yougoslavie

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La bataille de Kosovo en 1389, défaite des chrétiens face aux Ottomans, qui sera transformé en mythe fondateur de la Serbie moderne | Wikimedia Commons | L’éclatement de la Yougoslavie

Les Balkans, une région ottomane

Les Balkans ont été coupés du reste de l’Europe pendant plusieurs siècles, du fait d’une expansion ottomane qui a commencé dès le XIVe siècle. À la fin du XVe siècle, presque toute la région (hors Belgrade) est conquise et dans les années 1520, les Turcs envahissent la Hongrie, mettant un pied en Europe centrale. Cette occupation de plusieurs siècles ne prend fin qu’au XIXe siècle.

Si les provinces balkaniques étaient au cœur du puissant Empire ottoman, elles ont aussi souffert d’un certain sous-développement dû à l’excessive centralisation de cet État et du retard avec lequel il s’est modernisé. Elles n’ont pas connu certaines grandes aventures intellectuelles de l’Europe occidentale comme la Renaissance, la Réforme protestante ou encore l’époque des Lumières. La Slovénie et la Croatie, aux mains de l’Empire Habsbourg ont certes connu une histoire différente mais sont également restées des régions périphériques et peu développées.

Le nationalisme dans les Balkans

Au XIXe siècle, les peuples slaves de l’Empire ottoman, vivant dans des régions montagneuses et enclavées, participent pourtant à l’émergence des nationalismes en Europe. La Serbie, peuplée majoritairement de chrétiens orthodoxes, acquiert son indépendance en 1878, après plusieurs décennies d’autonomie relative. La même année, un État bulgare, officiellement vassal des Ottomans mais indépendant de fait, apparaît tandis que l’Empire austro-hongrois occupe la Bosnie avant de l’annexer en 1908. Si la Croatie continue elle aussi de faire partie de cet Empire avant la guerre de 1914-1918, elle supporte de plus en plus mal une situation qui la place sous la subordination de la Hongrie.

La création de la Yougoslavie et le traumatisme des Oustachis

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Ante Pavelic et Adolf Hitler au Berfhof en 1941 | Wikimedia Commons | L’éclatement de la Yougoslavie

Après la Grande Guerre, tous les pays « slaves du sud » (ce qui n’inclut toutefois pas la Bulgarie) sont regroupés au sein d’un grand État yougoslave dominé par les Serbes orthodoxes mais comprenant également la Bosnie majoritairement musulmane ainsi que la Croatie et la Slovénie, essentiellement catholiques.

Cette situation provoque des rancoeurs durables, les Croates constituant notamment un puissant mouvement nationaliste, les Oustachis (insurgés), proches de l’Italie fasciste puis de l’Allemagne nazie. En 1934, ils assassinent le roi de Yougoslavie, Alexandre Ier, à Marseille. En 1941, grâce aux victoires des pays de l’Axe dans les Balkans, ils constituent un État en Bosnie-Herzégovine et en Croatie, qui durera jusqu’en 1945 sous l’autorité d’Ante Pavelić. Durant leur règne de terreur, les Oustachis multiplient les exactions contre les tziganes, les Juifs et les Serbes orthodoxes, ces derniers étant souvent soumis à des conversions forcées au catholicisme, à des déportations et des massacres de masse. Leurs victimes se comptent en centaines de milliers, en particulier dans le camp de concentration de Jasenovac, surnommé l’ « Auschwitz croate ».

 

La Yougoslavie de Tito et l’échec de la nation des « Slaves du sud »

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Josip Broz Tito | Wikmedia Commons | L’éclatement de la Yougoslavie

Tito, dirigeant de la Yougoslavie

L’occupation allemande de la Serbie, en 1941 suscite rapidement une vigoureuse résistance composée de deux  forces principales. D’une part, des nationalistes fidèles à la monarchie, les Tchetniks de Draža Mihailović, un officier serbe orthodoxe, et d’autre part des communistes, dirigés par Josip Broz Tito, un Croate. Ce dernier, reconnu par les alliés occidentaux, finit par l’emporter sur son rival et parvient à libérer la Yougoslavie de l’occupation  allemande et des Oustachis, avec l’aide relativement modeste de l’armée soviétique. Cet exploit lui permet de prendre ses distances avec le bloc de l’Est pendant la Guerre froide et de mener une politique étrangère de non-alignement favorisée par la décolonisation.

Une Yougoslavie non-alignée 

Durant plusieurs décennies, le pays connaît un certain prestige, grâce aux contacts entretenus par Tito avec les grands dirigeants du mouvement des non-alignés tels Nehru ou Nasser. Le dirigeant, lui-même croate, ne favorise pas les membres de sa nation, bien au contraire : alors que la Serbie est nettement moins moderne que la Croatie ou la Slovénie, les Serbes ont une place de choix au sein de l’État yougoslave, dont la capitale, Belgrade, se trouve d’ailleurs sur leur territoire.

Les germes de la discorde

Pour autant, si le prestige réel de Tito maintient apparemment sans peine l’unité de celui-ci, il ne fait pas disparaître le sentiment national des différents peuples qu’il gouverne. Les Serbes ne peuvent oublier qu’ils ont été persécutés par les Croates et, à un degré moindre, les Bosniaques durant la Seconde Guerre mondiale. À l’inverse, les Croates et les Slovènes estiment ne pas avoir à payer pour favoriser le développement des autres provinces du pays bien moins riches.

La constitution de 1974, qui établit un système institutionnel très décentralisé, prend acte de l’échec de la création d’une nation yougoslave unitaire. Ce texte, qui détache les provinces du Kosovo et de la Voïvodine de la Serbie, renforce l’autonomie des différentes républiques composant la Yougoslavie et leur octroie même un droit de sécession. Il mécontente fortement les Serbes qui perdent deux régions alors que la Croatie ou la Bosnie conservent des zones de peuplement serbes en leur sein. Les germes de futurs conflits sont donc semés. La Constitution de 1974 ne remet pas en cause l’unité de l’Etat yougoslave tant que Tito, reconnu chef de l’Etat à vie, reste aux affaires mais plus que jamais, elle repose sur son seul prestige personnel.

 

Vers l’éclatement de la Yougoslavie

Franjo Tudjman yougoslavie
Franjo Tudjman | L’éclatement de la Yougoslavie

L’accroissement des inégalités économiques

Au cours des années 1970 et 1980, le fossé qui sépare les républiques les plus riches de Yougoslavie des moins développées s’accroît considérablement, du fait d’une forte concentration des activités industrielles. Le Produit intérieur brut (PIB) par habitant du Kosovo passe ainsi de 47 % de la moyenne de l’ensemble à 27 % en deux décennies. Dans ces conditions, la Slovénie, historiquement et géographiquement proche de l’Autriche et de l’Italie, est tentée de se tourner vers les économies occidentales, qui pourraient lui ouvrir de nouveaux marchés tout en lui offrant de nouveaux investissements étrangers. La Croatie subit la même tentation tandis qu’à l’inverse, les provinces les moins riches de Yougoslavie doutent de l’efficacité de la politique de développement menée par le gouvernement.

Le renouveau du nationalisme en Yougoslavie

Au-delà de ces considérations purement économiques, les années 1980 voient un certain renouveau de l’idée nationale chez les différents peuples de la région. Il se nourrit en particulier de l’essoufflement du communisme dans le monde, illustré par les difficultés de Gorbatchev en Union Soviétique et son rapprochement avec les Etats-Unis. Le nationalisme apparaît dès lors comme une alternative à une idéologie qui ne suscite plus l’engouement.

Il est par exemple promu par Franjo Tudjman en Croatie tandis qu’en Serbie, Slobodan Milošević, autrefois un fidèle apparatchik communiste, en adopte aussi de plus en plus souvent le langage. En 1987, au cours d’une visite au Kosovo, alors que des incidents ont opposé la minorité serbe à la majorité albanaise, Milošević promet à des représentants de la première qu’ils ne seront plus jamais humiliés. En 1989, alors qu’il est devenu président de la Serbie, un film célèbre un grand mythe fondateur de cette nation : la bataille de Kosovo livrée contre les Ottomans six siècles plutôt en 1389.

Début d’emballement

Dans le même temps, Milošević renforce son pouvoir en plaçant des alliés à la tête du Kosovo, de la Voïvodine et du Monténégro ce qui lui assure une majorité au sein du Conseil présidentiel yougoslave mais alimente le ressentiment des autres communautés ethniques de l’État. En 1990, Tudjman remporte les élections croates, ce qui attise encore davantage les tensions intercommunautaires. En effet, sa sympathie pour les Oustachis inquiète fortement la minorité serbe de Croatie qui voit en lui un fasciste. Au cours d’un discours, ne s’est-il pas félicité du fait que sa femme ne soit « ni serbe ni juive » ?

Les mouvements nationalistes l’emportent également en Slovénie, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine. Enfin, en décembre 1990, au cours d’un référendum, les Slovènes votent pour faire sécession de la Yougoslavie. L’histoire de celle-ci approche de sa fin…

 

1991 : la désintégration de la Yougoslavie

Les indépendances croate et slovène

Au cours de l’année 1991, l’État fondé par Tito se désintègre progressivement, alors que les tensions entre communautés continuent d’augmenter. En mars, des Serbes de Croatie tentent un coup de force sur la ville de Pakrac mais sont repoussés par la police croate. S’il ne fait pas de victime, cet incident interethnique annonce d’autres affrontements plus violents. D’autant que le 2 mai, un référendum sur l’indépendance de la Croatie se termine par une victoire du « oui ». Tout le nord de la Yougoslavie, de loin la région la plus riche de l’ensemble, s’apprête ainsi à faire sécession.

Le 25 juin, la Slovénie proclame son indépendance alors même que les forces armées yougoslaves sont encore présentes sur son territoire. Le 27, une guerre de dix jours – qui fera plus de soixante morts – commence. Pourtant, la situation se calme rapidement. En effet, la Slovénie, malgré sa prospérité, n’apparaît pas comme une province particulièrement stratégique pour Belgrade, d’autant qu’elle n’abrite pas de minorité ethnique. Les accords de Brioni, le 7 juillet, conduisent au retrait de l’armée yougoslave et consacrent, de facto sinon de jure, l’indépendance de la petite république slovène.

Guerre en Croatie

Le problème croate est bien plus difficile à résoudre, du fait du poids plus important de la Croatie au sein de la Yougoslavie et de la présence de minorités ethniques en son sein. Milošević, en particulier, s’oppose à l’indépendance de ce pays où vivent des centaines de milliers de Serbes. Ces derniers essaient de faire sécession dès mars 1991, provoquant un conflit armé qui débute à la fin du mois. Bien organisés et soutenus par Milošević, ils parviennent à résister aux contre-attaques de leurs ennemis avant de leur prendre des territoires. La ville de Dubrovnik est ainsi bombardée tandis que Vukovar est assiégée par l’armée yougoslave, appuyée par des milices serbes, d’août à novembre 1991.

Les Croates sont incapables de résister à cette offensive et lorsque le conflit s’achève (provisoirement) le 3 janvier 1992, ils ont perdu un quart de leur pays. On déplore de nombreuses atrocités au cours de conflit, avec par exemple des massacres de prisonniers dans les deux camps ou l’expulsion de civils croates des zones occupées par les Serbes.

Une situation toujours périlleuse

À la fin de l’année 1991, la Yougoslavie a déjà perdu ses deux républiques les plus riches – bien qu’elle conserve une partie de la Croatie – ainsi que la Macédoine qui s’en est séparé à l’amiable le 19 décembre de cette année. La perspective de demeurer dans une union désormais très majoritairement peuplée de Serbes déplaît aussi bien aux Bosniaques qu’aux Croates de Bosnie ou aux Albanais du Kosovo. Cette situation annonce d’ores et déjà les conflits à venir.

 

1992-1995 : la Guerre de Bosnie

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Siège de Sarajevo | L’éclatement de la Yougoslavie

 

La Bosnie, un concentré de Yougoslavie

Le cas de la Bosnie-Herzégovine est le plus complexe à gérer du fait de la très forte diversité ethnique de ce territoire. Si les Bosniaques musulmans en sont la communauté la plus importante (44 % de la population environ), environ 32 % de sa population est serbe orthodoxe. Des Croates, essentiellement catholiques, habitent aussi ce pays montagneux et enclavé (17 % de la population) et Franjo Tudjman, en difficulté suite à ses défaites de 1991, est tenté d’y lancer une offensive afin de susciter un élan nationaliste au sein de son opinion publique. Milošević, de son côté, ne peut ignorer les aspirations des Serbes bosniens qui n’ont aucune envie de se trouver relégué au rang de minorité dans une république indépendante de Bosnie. Les deux anciens ennemis s’entendent donc pour déstabiliser leur voisin.

Début d’un conflit meurtrier

Dès janvier 1992, Radovan Karadžić proclame l’indépendance d’une « République serbe de Bosnie-Herzégovine » et en, mars, suite à la proclamation de l’indépendance de la Bosnie, il entame un conflit armé. Disposant de meilleures forces que les Bosniaques et soutenu par Milošević, Karadžić parvient à occuper les deux tiers du pays, où il procède à des nettoyages ethniques.

D’avril 1992 à novembre 1995, les nationalistes serbes du général Ratko Mladić assiègent également Sarajevo. Au même moment, de violents affrontements opposent les Croates, appuyés par Tudjman, aux Bosniaques. Au cours de ces deux conflits, tous les camps se livrent à des atrocités mais menacés sur deux fronts et affrontant deux anciennes républiques yougoslaves, les Bosniaques d’Alija Izetbegović sont rapidement en position de faiblesse.

L’impuissance de l’ONU

Seule la communauté internationale paraît en mesure d’arrêter cette guerre sanglante. Dès 1994, les États-Unis parviennent à faire cesser le conflit croato-bosniaque. En revanche, les nationalistes serbes de Bosnie continuent le combat, certains de pouvoir l’emporter. Leur résolution est renforcée par l’inefficacité de la Force de Protection des Nations-Unies (la FORPRONU) à répondre efficacement à leurs offensives. En avril 1994, les Serbes prennent ainsi en otage des membres du personnel de l’ONU afin de s’en servir comme boucliers humains pour éviter des bombardements de l’OTAN et cette tactique est à nouveau utilisée l’année suivante en mai 1995 après des raids de l’Alliance atlantique sur la ville de Pale, quartier général de Karadžić.

Le massacre de Srebrenica

En juillet de la même année, les forces serbes de Bosnie occupent l’enclave de Srebrenica, officiellement sous la protection de la FORPRONU, sans rencontrer la moindre résistance de la part des casques bleus néerlandais. Le général Mladić se rend immédiatement dans la zone, et promet de prendre en charge les civils bosniaques qui y sont présents. Les jours suivants, pourtant, des milliers d’entre eux sont massacrés. Le bilan de ce massacre s’élèverait à 8000 morts environ. En représailles, l’OTAN reprend sa campagne de bombardement contre les nationalistes serbes, mais ceux-ci répondent en occupant une à une les positions occupées par les casques bleus qui ne peuvent leur opposer de résistance, une véritable humiliation pour l’ONU.

 

Le dénouement du conflit en Bosnie

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Signature des accords de Dayton à Paris en décembre 1995 | Wikimedia Commons | L’éclatement de la Yougoslavie

 

Échec serbe en Bosnie

Le massacre de Srebrenica choque les opinions publiques des pays occidentaux qui, par ailleurs, ont un large accès à des images du siège de Sarajevo qui se poursuit alors. Les mortiers et les tireurs d’élites des forces assiégeantes continuent d’y tuer de nombreux civils, tandis que les Bosniaques sont incapables de venir secourir la ville. Cette situation finit par inquiéter les États-Unis qui renforcent considérablement leur intervention dans la région et multiplient les bombardements contre les positions nationalistes serbes.

Sentant le vent tourner, le président croate Franjo Tudjman change d’alliance et se rapproche des Bosniaques. Les deux nouveaux alliés lancent une offensive qui repousse définitivement les nationalistes serbes de Bosnie occidentale tout en les faisant reculer au centre du pays au cours de l’automne 1995. Ces évolutions sur le terrain et les bombardements de l’OTAN convainquent Karadžić et surtout Milošević de l’impossibilité de remporter une victoire décisive.

Reprise des hostilités en Croatie

En août 1995, Tudjman étant désormais certain de pouvoir éliminer les enclaves serbes issues du conflit de 1991. En quelques jours, celles-ci sont prises par les forces du général Ante Gotovina au cours de l’opération Tempête. La population serbe de Croatie, victime d’atrocités, doit fuir le pays et 200 000 d’entre eux se dirigent vers la Serbie dans les jours suivant le début de l’offensive croate. Cet exode douloureux évoque pour de nombreuses familles les années sombres de l’État oustachi lors de la Seconde Guerre mondiale.

La conférence de Dayton

Dans ces conditions, Milošević voit un intérêt à négocier rapidement afin de maintenir aux mains des Serbes les positions qu’ils contrôlent encore en Bosnie. La conférence de Dayton s’ouvre en novembre 1995, sous l’égide du président américain Bill Clinton et en présence de Milošević, Tudjman, Izetbegović mais aussi du chancelier allemand Helmut Kohl (qui a très tôt reconnu l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie) et du Président de la République française Jacques Chirac mais l’accord définitif entre toutes ces parties est finalement signé à Paris en décembre.Il prévoit notamment la constitution d’un État fédéral en Bosnie-Herzégovine, fortement décentralisé, avec une large autonomie accordée à la République Srpska (serbe de Bosnie). Malgré leurs défaites de l’automne 1995, les Serbes conservent près de la moitié du territoire bosnien mais doivent définitivement abandonner Sarajevo.

Les accords de Dayton et de Paris mettent fin à un conflit sanglant en Bosnie, ayant fait au moins 100 000 morts. Ils permettent aussi à Milošević de préserver les intérêts serbes dans le pays et d’apparaître ainsi comme un sauveur de sa nation. Le président doit en revanche abandonner son ancien allié Karadžić, poursuivi par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), qui doit basculer dans la clandestinité à partir de 1997. Enfin, si l’éclatement de l’ancien État yougoslave est désormais pleinement officialisé, d’autres problèmes sont prêts à resurgir.

 

La Guerre du Kosovo

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Bombardement de Novi Sad par l’OTAN | Wikimedia Commons | L’éclatement de la Yougoslavie

Le Kosovo, berceau albanais du peuple serbe

La province du Kosovo, situé au sud de la Serbie, est considérée par de nombreux Serbes comme le berceau de leur nation, où se situent plusieurs de leurs plus importants monastères. Surtout, c’est là que leur ancien tsar, Lazare, a trouvé la mort en combattant les Ottomans en 1389. Pourtant, la province, au moment des guerres de Yougoslavie, était peuplée à 90 % d’Albanais. Dans les années 1990, la cohabitation entre ceux-ci et la minorité serbes devient de plus en plus difficiles. En 1997, l’Armée de libération du Kosovo entame une insurrection contre Belgrade, qui est durement réprimée par Milošević.

Un conflit serbe perdu contre l’Otan

Cette escalade fait craindre un nouveau conflit sanglant, d’autant que les États-Unis évoquent des plans élaborés par le gouvernement serbe en vue de procéder à un nettoyage ethnique contre la population albanaise, une accusation encore controversée aujourd’hui. Quoiqu’il en soit, l’intervention des pays occidentaux est cette fois-ci rapide et elle vise directement la Serbie qui est bombardée par l’OTAN de mars à juin 1999. Une opération russe visant à soutenir les Serbes du Kosovo n’aboutit à rien, et Milošević doit se retirer de la province qui passe sous administration internationale.

Indépendance du Kosovo et du Monténegro

Son indépendance n’est pas encore reconnue mais elle apparaît alors probable dans un avenir proche. Pour les Serbes, c’est un nouveau traumatisme national huit ans après l’éclatement de la Yougoslavie qu’ils dominaient et quatre ans après l’opération Tempête en Croatie. L’affaire se conclut en 2008 par une déclaration d’indépendance unilatérale du Kosovo, qui n’est toujours pas reconnue par la Serbie ainsi qu’un grand nombre de pays dans le monde.

La Cour internationale de justice, par un arrêt rendu en 2010, a, quant à elle, jugé cette déclaration légale tout en se refusant à reconnaître à la province un statut d’État souverain, une décision ambiguë visant manifestement à ne mécontenter personne. À noter enfin que le Monténégro a lui aussi pris son indépendance en 2006, privant l’Etat serbe de tout accès à la mer Méditerranée.

 

Les cicatrices douloureuses de la fin de l’éclatement de la Yougoslavie

Des bilans contrastés

Les États issues de l’ex-Yougoslavie ont chacun une vision différente des événements des années 1990. Pour la Slovénie, dont l’indépendance a été acquise rapidement et sans  violence excessive, la décennie a été marquée par une intégration rapide à l’espace économique d’Europe centrale et occidentale, facilitée par les bons rapports du nouvel État avec l’Allemagne et l’Autriche. Cela lui a permis de se développer rapidement, ce qui en fait aujourd’hui l’État le plus prospère des Balkans.

En Croatie, la guerre d’indépendance, autrement plus brutale, a été célébrée dans une véritable ferveur nationaliste, notamment sous la présidence Tudjman qui s’est achevée par son décès en 1999. Comme la Slovénie, le pays est par ailleurs devenu membre de l’Union européenne, mais neuf ans plus tard, en 2013.

A l’inverse, la Bosnie-Herzégovine est restée traumatisée par le conflit qui s’est déroulé sur son sol. Aujourd’hui encore, elle constitue un protectorat international de fait, tandis que les Serbes de la République Sprska ne cachent guère leur mépris pour Sarajevo et leur intention de se rapprocher de Belgrade. Enfin, la situation économique de cet État ravagé par la guerre, enclavé et peu industrialisé continue d’être inquiétante avec un chômage avoisinant les 40 % et l’un des plus faibles PIB/habitant du continent européen. Les mêmes problèmes se retrouvent, de manière plus criante encore, au Kosovo, pays sinistré et isolé dont une large partie de la population a dû immigrer.

Enfin, la mémoire des conflits des années 1990 est particulièrement douloureuse pour la Serbie, pays qui a dominé la Yougoslavie de 1919 à 1991, à l’exception d’un bref et sanglant intermède durant la Seconde Guerre mondiale. L’opinion publique continue d’y déplorer la perte du Kosovo et l’expulsion des communautés serbes de Croatie. Surtout, elle a le sentiment d’avoir été attaquée de manière disproportionnée par la communauté pour un conflit où tous les camps se sont livrés à des atrocités. De fait, le TPIY a condamné un nombre très important de Serbes, dont le président Milošević et les chefs emblématique de la rébellion en Bosnie, Radovan Karadžić et le général Mladić. A l’inverse, l’acquittement par le même tribunal des généraux croates Ante Gotovina et Mladen Markač, en 2012, a été très mal vécu à Belgrade. Il s’agissait en effet des principaux responsables de l’opération tempête ayant abouti à l’expulsion des Serbes de Croatie.

Vers l’intégration de l’ensemble de l’ex-Yougoslavie à l’Europe ? 

Aujourd’hui encore, les tensions entre ces différents États demeurent vives, bien que la perspective d’un conflit armé se soit éloignée du fait de la forte présence de la communauté internationale dans la région, de la lassitude des peuples et de l’intégration européenne, qui devrait s’étendre à la Serbie et peut-être à la Macédoine à l’avenir. C’est en effet l’entrée de tous ces pays dans l’Union européenne (UE) qui est aujourd’hui perçue comme la voie la plus prometteuse pour les réconcilier.

Toutefois, les difficultés récurrentes de l’Union depuis 2010 ont eu un effet fortement négatif de ce point de vue, en la rendant moins attractive tout en la focalisant sur d’autres questions jugées prioritaires comme la crise de l’euro. De ce point de vue, la défaite de l’europhile Boris Tadić par Tomislav Nikolić, ancien ultranationaliste, à l’élection présidentielle serbe de 2012, a été perçue comme un signal négatif par l’UE. Bien qu’il ait considérablement modéré ses positions et qu’il se soit déclaré un partisan de l’intégration européenne, le nouveau chef de l’État apparaît en effet nettement moins proche de l’Occident que son prédécesseur.

 

Bibliographie

  • Paul Garde, Les Balkans, héritages et évolutions
  • Paul Garde, Vie et mort de la Yougoslavie
  • Georges Castellan, Histoire des Balkans, XIVe siècle-XXe siècle
  • Misha Glenny, The fall of Yugoslavia : the third Balkan war
  • Général Rupert Smith, L’utilité de la force