La réponse
On peut écrire : à Avignon ou en Avignon. Les deux formes existent. Aujourd’hui, on emploie généralement la préposition « à » devant les noms de ville (à Paris, à Marseille, à Bordeaux, etc.). Cependant, devant le nom de certaines villes, comme Avignon ou Arles, on lit parfois « en ». Cet usage, inspiré par la manière italienne selon l’Académie, existait autrefois devant les noms de ville, en concurrence avec « à ».
Et luy faisant bailler enfans de toutes qualitez edifia lieux & escoles convables en Paris…
G. Corrozet, Les Antiquitez…, 1586
En Orléans assiegee, ;
Laissant le dangier à part,
Dans le camp & dans la ville
J’apprins du soldat le stille
Et les vocables de l’art.D’Aubigné (1552 – 1630), Le Printems
Gilles Ménages (1613 – 1692) constate dès le XVIIe siècle, dans ses Observations sur la langue française, (1672 – 1676), la raréfaction de cet usage, sauf pour Avignon et Arles. On le trouve ainsi chez Stendhal (1783 – 1842) qui raconte ce que lui dit un homme à Valence :
— Il faut que vous soyez bien bête, monsieur, de dépenser votre argent à courir la poste d’ici à Avignon ! Fourrez-moi votre voiture sur le bateau qui passe ici demain matin à dix heures, et à trois vous êtes en Avignon.
Le maintien plus tardif de cet usage pour Avignon s’explique peut-être par la persistance d’une tournure locale de langage, ou par une imitation de l’occitan (un des rénovateurs de l’occitan, Frédéric Mistral, écrit : « Qu’en Avignoun avès plantado »). Mais il faudrait expliquer pourquoi la préposition ne s’est pas maintenue pour des villes comme Marseille, Aix ou Toulon. C’est peut-être le désir d’éviter le hiatus qui explique cet archaïsme, mais il se serait alors aussi maintenu pour Aubagne, Aigues-Mortes, Aix-en-Provence, etc. On peut aussi l’expliquer par un goût pour l’archaïsme. En effet, l’entrée « en Avignon » compte 4164 résultats pour le XXe siècle, plus que pour les six siècles précédents, où la production écrite était bien sûr moindre. C’est peut-être même un pseudo-archaïsme, au vu du peu de résultats pour les XVI (28) et au XVII (83). Ce goût s’est peut-être développé sous l’influence de certains auteurs, notamment celle d’Alphonse Daudet (1840 – 1897), un Nîmois, qui l’a utilisé à plusieurs reprises dans ses œuvres provençales, pour en renforcer le decorum régional :
Sa corde, coquin de sort ! Sa corde tissée de fer, fabriquée en Avignon.
Il y en a un surtout, un bon vieux, qu’on appelait Boniface… Oh ! celui-là, que de larmes on a versées en Avignon quand il est mort !
Une autre hypothèse avance le fait qu‘Avignon et ses alentours formaient avant 1791 une entité territoriale qui faisait partie des États de l’Église : le Comtat venaissin. S’y rendre était alors comme se rendre dans un autre pays, « aller en Avignon » comme « en Italie ».
Quelques Ministres & Diacres sont aussi prisonniers en Avignon & à Carpentras.
Tableau de l’histoire des princes et principautés d’Orange, 1640 / Soit « en Avignon » est l’équivalent d’ « à Carpentras », soit « en » souligne son statut différent
La dessus le pape Innocent VI seant en Avignon, se rend entremetteur …
Et pour ce qui est en particulier de la translation du siege Apostolique en Avignon …
C’est probablement dans ce sens que cette locution est employée par Furetière dans son Dictionnaire (1690) :
Elle est nommée graine d’Avignon, parce qu’on la prepare en Avignon.
Exemple contemporain : les historiens Caroline Costedoat et Michel Signoli emploient « en Avignon » parce qu’ils parlent d’Avignon et ses alentours, sous contrôle du pape :
En Avignon, l’épidémie de 1347 a tué onze mille personnes, le retour de la peste en 1361 provoqua dix-sept mille décès.
La Peste noire
Même chose ci-dessous : c’est à l’État qu’il est fait référence :
En Avignon, enclave pontificale dans le royaume de France, le médecin et naturaliste Esprit-Claude-François Calvet (1728-1810) proclame tout aussi nettement son attachement à la République des Lettres et des Sciences.
Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des Lumières
À Avignon
« À Avignon » est considéré comme encore plus fréquent qu’« en Avignon » par Le Bon Usage (14e édition). Ce google N-gram semble le montrer, bien qu’il indique une persistance marginale d’«en Avignon ».
Exemples :
Aujour-d’huy il est élevé dans une chasse à Avignon…
Scipion Dupleix, Continuation de l’histoire du règne de Louis le Juste, 1648
Si vous revenez chez les hérétiques, après vous être muni d’indulgences à Avignon, je vous ferai les honneurs de Lausanne, mieux que je ne vous fis ceux de Genève. Vous y verrez une plus belle situation.
Voltaire, Correspondance, 1758
On le croyait créole. Il avait probablement un peu touché au maréchal Brune, ayant été portefaix à Avignon en 1815. Après ce stage, il était passé bandit.
Aujourd’hui
« À Avignon » est la forme standard, et « en Avignon » est rare, peut-être parce que parfois moqué comme un archaïsme affecté et ridicule, ou réprouvé tout simplement comme une faute de français.
Porte-parole de LREM, il s’en explique dans une ode au dépassement dont la publication coïncide avec la grand-messe du parti majoritaire, ce week-end en Avignon.
Liberation.fr / Le journaliste reprend la locution employée par le parti politique
La mairie d’Avignon avait publié sur site un texte, aujourd’hui supprimé, réprouvait en des termes très sévères cet emploi :
La formule en Avignon, si elle permet d’éviter un hiatus quelque peu dissonant, est toutefois incorrecte lorsqu’elle s’applique à la ville contenue dans ses limites communales. Son emploi dans ce cas est souvent le fait de l’ignorance ou d’un certain pédantisme basé parfois sur des nostalgies d’Ancien Régime. »
Elle ajoutait cependant que :
l’usage a voulu que l’on tolère de nos jours encore les expressions « en Arles » ou « en Avignon » pour désigner la région autour de la ville, le « pays » formé par les environs, sans limites administratives bien établies.
Au contraire de la mairie, l’Académie française s’en accommode :
Remarque : On ne saurait condamner les tournures en Arles, en Avignon, bien attestées chez les meilleurs auteurs, et qui s’expliquent à la fois comme archaïsme (l’usage de en au lieu de à devant les noms de villes, surtout commençant par une voyelle, était beaucoup plus répandu à l’époque classique) et comme régionalisme provençal. Il semble cependant que cet emploi de en soit en régression.
Là vous avez tout faux, aussi bien sur le a ou en pour Arles et Avignon, et sur « éviter le hiatus » (le h n’est pas aspiré donc on dit l’hiatus)