La Chine et le monde depuis 1949 : reprenant un célèbre mot attribué à Napoléon, Alain Peyreffite publiait en 1973 Quand la Chine s’éveillera…le monde tremblera. Il y prophétisait la domination mondiale à venir du mastodonte chinois. Depuis, la Chine s’est effectivement éveillée. Pays exsangue en 1949 placé dans l’orbite de l’URSS, puis meurtri par ses tentatives de bâtir le socialisme par sa propre voie et paralysé par les remous d’une révolution culturelle prolétarienne, la Chine est désormais une superpuissance économique, démographique et géopolitique, le seul « super-grand » aux côtés des États-Unis, après une période de spectaculaire rattrapage. Le monde n’a cependant pas tremblé. La puissance chinoise se déploie dans un monde complexe et multipolaire dans lequel elle doit faire face à des problématiques qui pèsent sur son avenir. Le statut de la Chine comme superpuissance dépend largement de la capacité de son régime politique singulier, mêlant libéralisme économique et autoritarisme politique, à relever les défis économiques, sociaux, environnementaux et géostratégiques de l’avenir. Il convient donc de se demander dans quelle mesure la Chine est aujourd’hui un modèle de puissance.
I. De l’installation d’un communisme soviétique dans une République populaire de Chine sous tutelle aux tourments de la voie chinoise vers le socialisme
A. La naissance de la République populaire de Chine et l’installation du pouvoir communiste sous quasi-tutelle soviétique
a. La victoire des communistes sur le Kuomintang donne naissance à la République populaire de Chine
La Chine sort de la Deuxième Guerre mondiale dans le camp des vainqueurs. La guerre sino-japonaise, commencée en 1937, s’agrège au conflit mondial. Malgré une participation militaire limitée, la Chine est reconnue comme une des grandes puissances alliées à la conférence du Caire en 1943. À la création de l’Organisation des Nations Unies, elle obtient un siège au Conseil de sécurité, aux côtés des États-Unis, de l’URSS, du Royaume-Uni et de la France. Elle fait partie des signataires des actes de capitulation du Japon, le 2 septembre 1945.
Le pays se libère en outre d’une longue période domination par les puissances occidentales. Les traités inégaux, traités déséquilibrés imposés à la Chine au XIXe siècle, sont abolis. Les concessions, territoires chinois placés sous administration étrangère, prennent fin.
Le parti nationaliste chinois, le Kuomintang, dirigé par le président Tchang Kaï-chek (1887 – 1875), semble triomphant. Il représente alors la Chine officielle. Soutenu par les États-Unis, il dispose d’une armée considérable, d’une aviation moderne confisquée aux Japonais et contrôle la majeure partie du territoire.
Cependant, le triomphe du Kuomintang n’est qu’apparent. En effet, il ne suscite guère l’adhésion d’une population du fait de la corruption et de l’autoritarisme de ses cadres. En outre, les troupes nationalistes ne se sont pas illustrées par leur combativité contre les Japonais.
Le parti communiste chinois, en revanche, est auréolé de gloire. La guerre de partisans, prônée par son dirigeant Mao Zedong (1893 – 1976), a été menée en cohésion avec les populations locales, dont l’écrasante majorité est composée de paysans. Le parti communiste a su, au reste, gagner leur adhésion en menant, dans les territoires sous son contrôle, une politique modérée (pas de confiscations de terres, baisse des impôts et loyers, création de coopératives, etc.) et en participant, aux côtés des paysans, à la vie économique locale (austérité partagée des dirigeants et des paysans, participation de l’armée rouge au travail des champs, etc.). À la fin de la guerre, il contrôle presque 1 million de km2 du territoire chinois pour 100 millions d’habitants, et dispose d’une armée de 3 millions d’hommes.
Malgré les tentatives de conciliation des États-Unis, la guerre civile, interrompue par le conflit avec les Japonais, ne tarde pas à reprendre. Le Kuomintang, qui dispose d’un avantage matériel certain sur son ennemi et du soutien logistique américain, perd toutefois du terrain face à la guerrilla communiste. La répression des manifestations de mécontentement de la population, qui souffre de la corruption, du marché noir et d’une inflation galopante, alimente les troupes communistes en nouvelles recrues. Pour associer les paysans à son combat, le parti communiste confisque les terres des propriétaires fonciers par une loi du 10 octobre 1947.
L’Armée rouge chinoise, rebaptisée Armée populaire de libération, finit par l’emporter sur son ennemi nationaliste. Transformée en armée régulière, elle prend Pékin le 23 janvier 1949, Nankin le 23 avril, Shanghai le 25 mai, etc. L’armée du Kuomintang s’effondre. Tchang Kaï-chek démissionne de la présidence le 21 janvier 1949.
La Chine communiste est née. Le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclame à Pékin la naissance de la République populaire de Chine (RPC). Une des grandes puissances du monde entre dans le bloc communiste, dominé par l’URSS.
Toutefois, la Chine communiste ne bénéficie pas de siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Il est conservé par Tchang Kaï-chek, réfugié sur Taïwan avec la protection de la VIIe flotte américaine. Il y dirige une république chinoise désormais limitée à une île, mais qui continue de réclamer la souveraineté sur l’ensemble de la Chine continentale. Taïwan représente, en 1949, la Chine au regard des instances internationales.
b. Le parti communiste au pouvoir place la Chine, exsangue, sous quasi-tutelle soviétique
À l’avènement du pouvoir communiste, l’heure est à la reconstruction. La Chine est exsangue. Mao Zedong et ses cadres ont conquis un pays dévasté et désorganisé par une longue guerre civile à laquelle s’est ajoutée la guerre avec le Japon. L’industrie, faible, a souffert des démantèlements organisés par l’URSS en Mandouchrie, la région la plus en pointe dans ce domaine. Le réseau ferroviaire, embryonnaire, est en partie détruit. De nombreuses terres de ce pays essentiellement agricole sont rendues incultivables par la destruction des canaux et des digues. Le rationnement est de mise. L’administration est à rebâtir.
L’URSS triomphante, la superpuissance rivale des États-Unis et maîtresse du bloc communiste, est le modèle à suivre. Cependant les réalités chinoises nécessitent une adaptation. Ainsi, les réformes économiques sont prudentes. La Chine n’est pas une puissance industrielle. C’est un pays dont l’économie est traditionnelle : elle est structurée par l’agriculture et l’artisanat. La réforme agraire, instituée par la loi du 10 octobre 1947, est étendue à toute la Chine, mais les grands propriétaires fonciers sont ménagés pour préserver leurs capacités de production, nécessaires pour nourrir un pays qui est déjà un géant démographique. 47 millions d’hectares sont néanmoins redistribués. Seules les entreprises étrangères, et celles détenues par des proches de Tchang Kaï-chek, sont nationalisées.
La priorité est à la restauration de l’intégrité du pays. L’histoire chinoise est traditionnellement structurée comme une succession de périodes de divisions auxquelles succèdent des périodes d’unité retrouvée. La dernière dynastie impériale, les Qing (1644 – 1912), était néanmoins issue d’une ethnie étrangère, les Mandchous, distincte de l’ethnie majoritaire chinoise, les Hans. Pour la première fois depuis la chute de la dynastie Ming au XVIIe siècle, la Chine est unie sous la direction de Hans : elle retrouve ainsi sa souveraineté.
La restauration de l’unité du pays passe par le renforcement du pouvoir et l’installation d’un régime totalitaire communiste sur le modèle de l’URSS. Le parti dispose d’un atout considérable dans son réservoir important de cadres éprouvés aux politiques d’enrégimentement et d’éducation politique pendant les longues années de guerrillas dans ses « bases rouges ». Ainsi, les masses paysannes, qui forment l’écrasante majorité de la population du pays, commencent à être organisées. L’extension de la réforme agraire est pensée comme une préparation à l’encadrement des populations des campagnes. En même temps, de grandes campagnes de répression d’anciens soutiens du Kuomintang et de propriétaires fonciers sont organisées. Au cours de la campagne des trois-anti (1951) et celle des cinq-anti (1952), un nombre important d’opposants et de membres de la bourgeoisie sont liquidés, l’administration est épurée et les intellectuels contrôlés. Les premiers procès publics et exécutions sont organisées. Ces campagnes auraient fait des millions de victimes.
La reconquête de l’unité passe aussi par la réaffirmation de la souveraineté chinoise sur le Tibet. Ce dernier est de longue date une zone de départ d’invasions vers la Chine. C’est en outre un important réservoir d’eau et un glacis stratégique frontalier avec la Birmanie, l’Inde, le Bhoutan, le Népal et le Pakistan. Le contrôle de ce pays est donc vital pour le pouvoir chinois. La dernière dynastie impériale, les Qing, y impose sa suzeraineté, mais le Tibet profite de la chute de l’Empire en 1912 pour reprendre de fait son indépendance. L’Armée populaire de libération envahit le Tibet en 1950 ce qui entraîne son intégration à la RPC en 1951.
Cependant, la RPC des débuts est un pays faible sur la scène internationale. Le Kuomintang a conservé le siège de la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU. En outre, à l’exception de ceux du bloc communiste, seule une poignée de pays reconnaissent la République populaire de Chine : les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan, etc. Le gouvernement chinois n’a pas les moyens d’affirmer sa souveraineté sur Hong-Kong, contrôlée par les Britanniques, ni sur Macao, contrôlée par les Portugais.
La Chine se place dans l’orbite diplomatique et économique de l’URSS de Staline. Le 14 février 1950, les deux pays signent un traité d’amitié et d’assistance mutuelle, agrémenté de protocoles secrets. Si la souveraineté chinoise est retrouvée, la fragilité du pays la contraint à se placer sous quasi-tutelle du leader du monde communiste, sur le modèle des démocraties populaires d’Europe de l’Est. D’une durée de 30 ans, le traité prévoit une aide économique de 300 millions de dollars de l’URSS à la Chine, une assistance pour les projets industriels, mais aussi l’implication de la Chine dans la politique mondiale soviétique.
La Chine participe ainsi aux premiers conflits opposants les deux blocs de la guerre froide. Dès 1949, la RPC fournit une aide logistique officieuse au Viêt Minh en guerre contre l’armée française en Indochine. Surtout, son intervention dans la guerre de Corée à partir de novembre 1950 sauve le régime communiste nord-coréen de la déroute.
B. De l’installation du communisme sur le modèle soviétique à la construction tourmentée d’une voie chinoise vers le socialisme qui culmine dans la Révolution culturelle
a. La mise en place du modèle soviétique
À partir de 1953, la Chine se lance dans la planification sur le modèle soviétique pour se transformer en pays socialiste et réduire sa dépendance à l’étranger. Influencé par le stalinisme, la priorité est donc placée sur le développement de l’industrie et des infrastructures. Avec l’assistance technique de l’URSS, la Chine lance un plan quinquennal (1953 – 1957) qui axe ses investissements sur la construction d’usines, notamment sidérurgique, de barrages, etc. Elle parvient à diversifier sa production et commence le travail de désenclavement de certaines régions.
Cette planification se double d’une collectivisation des moyens de production. Le secteur privé, qui représentait 40% de la production industrielle en 1952, disparaît en 1956. 85% du commerce est sous contrôle de l’État. Les artisans sont regroupés en coopératives.
La faiblesse de la production agricole ne permet pourtant pas de nourrir une population déjà nombreuse. En effet, les progrès de la production de céréales sont par exemple très faibles (164 millions de tonnes de céréales en 1952, 170 en 1957) alors que le pays compte déjà 583 millions d’habitants en 1953. Le rationnement est maintenu sur certains produits (coton). Le regroupement forcé des familles paysannes en coopératives est achevé en 1956.
Le parti communiste devient, comme en URSS, un parti-État. Derrière un verni de multipartisme, il affirme son emprise sur le pays. Les membres du parti font corps avec la bureaucratie d’État. Les élections à l’Assemblée populaire nationale se font sur une liste unique supervisée par le parti. Le 20 septembre 1954, la RPC se dote d’une nouvelle Constitution.
Le Comité central et le bureau politique du parti sont les véritables centres du pouvoir. Le gouvernement (Conseil des affaires de l’État) et l’Assemblée populaire nationale ne sont que des façades. Mao Zedong, président du parti communiste depuis le 20 mars 1943, président de la Commission militaire centrale du Parti à partir du 8 septembre et président de la RPC à partir du 27 septembre est le dirigeant du pays.
Si le parti communiste chinois fonctionne sur le mode du centralisme démocratique, qui impose une très forte discipline aux membres après la prise des décisions internes, son originalité est d’avoir recours à des campagnes de masse pour régler certains blocages politiques. Cette méthode à la faveur de Mao Zedong. Ainsi, en mai 1956, alors que les tensions se relâchent entre les deux blocs et que l’URSS entre en déstalinisation (Staline est mort en 1953), Mao Zedong lance la campagne des Cent fleurs, avec pour mot d’ordre « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ». Cette campagne de libre critique a pour objectif de susciter l’adhésion des masses envers le parti et d’éteindre le mécontentent envers la bureaucratie chinoise. Mais elle entraîne au contraire la contestation du pouvoir du parti communiste même. Revenant sur son initiative, le gouvernement mène une campagne de répression « antidroitière » qui cause la mort de centaines de milliers de personnes, dans les milieux intellectuels et universitaires notamment.
b. Les tourments de la construction de la voie chinoise vers le socialisme
La RPC est une puissance trop importante pour rester longtemps dans le giron soviétique. Contrairement aux démocraties populaires d’Europe de l’Est, l’URSS n’a pas joué un rôle majeur dans la création de la RPC et le pays ne compte pas de troupes soviétiques. Cette tutelle est de plus historiquement inacceptable : la Russie impériale a exercé, au même titre que les autres puissances occidentales, sa domination sur une Chine impériale affaiblie. Après la fin de la guerre avec la Corée en 1953 et la mort de Staline la même année, la RPC s’émancipe peu à peu de son alliance avec l’URSS. Elle veut construire sa propre voie vers le socialisme.
Cette émancipation se manifeste par le déploiement d’une activité diplomatique autonome. Mao se fait le champion du stalinisme et refuse la déstalinisation initiée par Khrouchtchev. La RPC est en outre présente à la conférence de Genève de 1954 qui met fin à la guerre d’Indochine. Surtout, elle axe sa diplomatie sur le Tiers-monde naissant. Zhou Enlai (1898 – 1976), l’homme de confiance de Mao, est présent à la conférence de Bandung de 1955 qui inaugure la naissance du mouvement des non-alignés, aux côtés de Soekarno (Indonésie), Nasser (Égypte) ou Nehru (Inde).
L’aspect le plus spectaculaire de cette rupture avec l’URSS est économique. L’échec de la campagne des Cent fleurs a convaincu les dirigeants d’accélérer la transformation sociale du pays. À partir de 1958, la Chine abandonne le modèle soviétique pour construire sa propre voie vers le socialisme. Mao lance un nouveau plan économique, le Grand bond en avant. L’objectif annoncé est de developper l’agriculture et l’industrie en compensant le manque de capitaux de la Chine par l’immense réserve de main-d’œuvre dont elle dispose. Cette stratégie passe par la décentralisation des unités de production et la réforme de l’organisation sociale du pays autour de communes populaires. Ces administrations locales régentent tout la vie sociale des familles qu’elles comptent.
Le Grand bond en avant se transforme toutefois en échec catastrophique. La corruption et l’incompétence des cadres qui devaient mener ces transformations s’est conjuguée à la survenue de calamités naturelles à répétition. Les conseillers soviétiques se retirent en outre de Chine après la dégradation des relations entre les deux pays. Le Grand bond en avant plan provoque de très graves famines entraînant la mort de 30 à 40 millions de personnes. Après réajustement, il est finalement abandonné en 1962.
La politique étrangère chinoise n’est pas bien plus heureuse. Seule l’Albanie s’aligne sur la RPC après 1960. L’émergence d’un troisième bloc des non-alignés sous direction chinoise se révèle rapidement illusoire. Nasser se tourne vers l’URSS après la crise de Suez (1956) et la RPC provoque une guerre – victorieuse – contre l’Inde de Nehru en octobre-novembre 1962. La Chine se rapproche du grand rival de l’Inde, le Pakistan, pourtant allié aux États-Unis. Les relations sino-soviétiques se dégradent quant à elles rapidement. Les Soviétiques rapatrient leurs techniciens d’une Chine engluée dans les affres du Grand bond en avant. Les deux anciens alliés se font concurrence auprès des groupes révolutionnaires comme leader du combat contre les États-Unis. Cependant, la RPC n’a pas les mêmes moyens que l’URSS et ne parvient à se tailler une véritable zone d’influence.
Néanmoins, la période d’émancipation n’est pas qu’un jalon d’échecs. L’économie chinoise parvient à se redresser après le Grand bond en avant. Malgré la rupture avec de la coopération technique avec l’URSS, les techniciens chinois parviennent à exploiter le champs pétroliers de Daqing, en Mandchourie. Le niveau de vie de 1957 est retrouvé en 1964 grâce aux réformes de Zhou Enlai. Au reste, la tournée africaine de ce dernier de décembre 1963 à février 1964 fait faire à la Chine un progrès diplomatique important : de nombreux États reconnaissent désormais la RPC comme le représentant de la Chine à l’ONU, au détriment de Taïwan. Cela s’ajoute à la reconnaissance de la RPC par la France gaullienne en 1964. Enfin, la Chine fait exploser le 16 octobre 1964 sa première bombe A, malgré la fin de l’aide soviétique au programme nucléaire chinois en 1959.
c. La Révolution culturelle, chant du cygne de la société communiste chinoise
Les contestations mises à jour par la campagne des Cent fleurs et l’échec du Grand bond en avant ont fragilisé la position de Mao au sein du parti. Plusieurs figures influentes se distinguent alors : le puissant homme d’appareil Liu Shaoqi, qui devient président avril 1959 ; le premier secrétaire du parti Deng Xiaoping (1904 – 1997); le plus puissant dirigeant de l’armée Peng Dehuai. Cependant, Mao reste un personnage puissant : il écarte Peng Dehuai pour Lin Biao en septembre 1959, et lance le « Mouvement d’éducation socialiste », campagnes d’épurations rurales en opposition à Liu Shaoqi.
Mao va plus loin et donne le coup d’envoi de la Révolution culturelle à la fin de 1965. Cette nouvelle campagne de masse se transforme en véritable période de bouleversements sociaux et politiques au profit de Mao. Elle s’appuie sur l’armée et, surtout, sur une jeunesse éduquée et contestataire, les « gardes rouges», biberonnée à la pensée de Mao. L’objectif affiché est d’extirper toutes les anciennes traditions et mentalités de la culture chinoise afin de faire advenir un homme communiste nouveau. L’ennemi est le « révisionnisme», c’est-à-dire les partisans supposés d’un retour au capitalisme, appellation qui désigne surtout les adversaires de Mao.
La Révolution culturelle est l’apogée du pouvoir de Mao et de son idéologie, le maoïsme. Malgré l’échec du Grand Bond en avant, la conception communiste de Mao s’impose sans compromis en RPC. Les adversaires de sa version du communisme, comme ceux qui souhaitaient privilégier le développement économique, sont éliminés. Deng Xiaoping est écarté pour révisionnisme ; Liu Shaoqi (le « Khrouchtchev chinois »), déchu de son titre de président, meurt en prison en 1969 ; plus tard, Lin Biao, d’abord soutien de Mao au début de la Révolution culturelle, est éliminé en 1971 après une tentative de coup d’État. Mao peut reconstruire le communisme chinois sur le fondement de son recueil de citations distribué à partir de 1964, Le petit livre rouge. Ce dernier trouve d’ailleurs un écho inattendu auprès de la jeunesse contestataire occidentale.
La Révolution culturelle a mobilisé la société chinoise jusqu’au début des années 1970. Son coût en vies humaines et en traumatismes a été très lourd. Les victimes se comptent en millions. Une génération entière a été déportée dans les campagnes pour travailler aux champs, la privant de toute possibilité d’éducation. Des familles ont été emprisonnées, des exécutions ont suivi des procès expéditifs. La composante éduquée de la société a subi une très dure répression.
Toutefois, la Révolution culturelle n’a pas paralysé l’émergence de la Chine sur la scène internationale. Malgré un renfermement de la RPC au début de la Révolution culturelle, la dégradation très sévère des relations avec l’URSS (les deux pays s’affrontent sur le fleuve frontalier Oussouri en 1969) pousse la Chine à accélérer son ouverture en dehors du bloc communiste. Ainsi, des relations diplomatiques sont ouvertes avec nombre de pays occidentaux (Canada et Italie en 1970, Turquie et Iran en 1971, Allemagne et Japon en 1972, etc.). Surtout, à l’aide de la « diplomatie du ping-pong », les relations avec les États-Unis s’améliorent nettement. Le président Nixon finit par visiter la RPC en février 1972. La consécration vient avec l’admission de la RPC comme membre du conseil de sécurité de l’ONU en octobre 1971, au détriment de Taïwan. La Chine est désormais, dans les instances officielles, un grand de ce monde.
La fin de la Révolution culturelle au milieu des années 1970, la normalisation des relations avec les États-Unis et la mort de Mao en 1976 vont permettre la prise du pouvoir d’un nouveau courant, favorable aux réformes économiques, à la tête du parti communiste. L’économie socialiste de marché est sur le point de naître.
II. De la naissance de l’économie socialiste de marché sous Deng Xiaoping à l’émergence de la RPC comme superpuissance mondiale
A. L’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir entraîne une libéralisation économique qui donne naissance à un nouveau modèle : l’économie socialiste de marché
a. L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping annonce la victoire de la tendance gestionnaire du parti communiste
Le parti communiste recentre sa politique à la fin de la Révolution culturelle. Sous l’impulsion du Premier ministre Zhou Enlai, la Chine est remise en ordre à partir de 1972. Deng Xiaoping fait son retour à partir de mars 1973 en tant que vice-premier ministre. Malgré l’opposition de courants néo-maoïstes, la tendance « gestionnaire » du parti communiste, qui veut axer la priorité sur le développement économique, triomphe de ses adversaires.
Deng Xiaoping s’impose comme le nouveau leader de la Chine à partir de 1978. Zhou Enlai et Mao sont morts en 1976. L’intermède Hua Gofeng, dirigeant maoïste qui a pris le pouvoir après la mort du fondateur de la RPC, prend rapidement fin. Les « Quatre modernisations » (agriculture, industrie, défense, sciences et techniques), annoncées par Zhou Enlai en 1975, sont à l’ordre du jour. On oublie le modèle communiste au profit d’une économie de marché libérale. En d’autres termes, la Chine s’apprête à devenir une économie capitaliste sur le modèle des pays occidentaux. « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon chat » selon le célèbre mot de Deng Xiaoping.
b. Les réformes économiques libérales en Chine : la création de « l’atelier du monde »
Les premières réformes de libéralisation sont tournées vers les campagnes. La plus grande part de la population du pays le plus peuplé du monde est encore paysanne. On met fin à la collectivisation centrée sur les communes populaires. Le marché privé et les exploitations familiales sont réhabilités. Elles peuvent de nouveau commercialiser leurs produits, ce qui entraîne la hausse de leur niveau de vie. En parallèle, le commerce et l’artisanat des campagnes sont peu à peu libéralisés.
La modernisation est étendue à toute la Chine et notamment aux centres urbains à partir du milieu des années 1980. Le pouvoir avait déjà créé en 1979 quatre zones économiques spéciales (ZES), dont la plus célèbre est celle de Shenzen, voisine de la riche Hong-Kong, Ces ZES sont des zones franches situées sur les côtes, établies pour attirer des investissements étrangers par les exemptions fiscales et le faible coût de la main-d’œuvre. Ce sera le fondement du modèle chinois. Leur nombre croît rapidement au cours de la décennie. À partir d’octobre 1984, le parti étend le « système de responsabilité » dans le secteur industriel : la planification est assouplie, la rémunération est liée à la production, une plus grande autonomie de décision est accordée et la concurrence se développe. L’État se dégage, au cours des années 1990, des petites et moyennes entreprises, et permet la participation privées dans les entreprises publiques. L’autofinancement, le prêt bancaire et les investissements étrangers prennent le relai des subventions étatiques.
La Chine devient l’atelier du monde. Exploitant le mécanisme des joint-ventures, c’est-à-dire l’obligation pour les entreprises étrangères de s’associer à une entreprise chinoise, elle devient le principal producteur de produits manufacturés qu’elle exporte partout dans le monde grâce à son immense main-d’œuvre à bas coût. Elle s’inspire en cela des quatre dragons asiatiques, la Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan, pays dont la croissance économique est alors très forte.
Ces réformes entraînent un bouleversement de la société chinoise. Le pays connaît une croissance spectaculaire de son produit intérieur brut (PIB) : 5,17% en 1981 ; 15,14% en 1984 ; 11,69% en 1987. En même temps, la population chinoise, déjà la plus importante du monde, continue de croître : 900 millions d’habitants en 1974 ; 1,03 milliards en 1984 ; 1, 132 milliards en 1990. Pour limiter la croissance de la population et permettre le développement économique, la Chine tente de contrôler sa natalité par la mise en place de la politique de l’enfant unique en 1979. Le niveau de vie augmente significativement (indice de développement humain de 0,42 en 1980 puis 0,5 en 1990) et une société de consommation naît. Mais les inégalités se développent entre les villes et les campagnes, et entre le littoral qui bénéficie de la plupart des investissements et l’intérieur du pays. L’exode rural est massif. L’émergence d’une société occidentalisée et individualiste se conjugue au retour à des références culturelles plus traditionnelles. Le confucianisme fait son coming back, l’ambition de créer un homme communiste nouveau est oublié. Le relâchement du contrôle sur l’économie entraîne enfin une croissance de la corruption, notamment chez les cadres locaux.
c. Le système de l’économie socialiste de marché : autoritarisme et capitalisme
« L’économie socialiste de marché», selon l’expression employée par Deng Xiaoping pour qualifier le nouveau modèle de développement de son pays, n’implique pas l’émergence de la « cinquième modernisation » : la démocratie. La RPC est une alliance entre capitalisme et régime autoritaire. L’influence occidentale se limite à l’économie. La démaoïsation à l’œuvre au début de l’ère Deng Xiaoping ne se traduit pas par une libéralisation politique. Le mouvement du « Mur de la démocratie » est réprimé en 1979 et ceux qui réclament l’instauration du démocratie, comme Wei Jinsheng, sont emprisonnés. Des campagnes contre la « pollution spirituelle » et la « littérature polluante », c’est-à-dire contre l’influence du libéralisme occidental, suivent dans les années 1980. La mort de l’ancien premier secrétaire du parti aux idées libérales Hu Yaobang, le 15 avril 1989, et la venue du dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev en mai de la même année, donnent naissance à un important mouvement de contestation et des manifestations qui réclament la libéralisation du régime. Après un débat interne au parti sur l’attitude à adopter face à ces contestations, la voie de la répression, soutenue par Deng Xiapoing, est choisie. La nuit du 3 au 4 juin 1989, l’armée attaque les manifestants sur la place Tian’anmen à Pékin. Cette répression est poursuivie dans tout le pays. Elle a entraîné des dizaines de milliers de morts.
L’autoritarisme du parti communiste ne compromet pas l’insertion de la Chine dans l’économie mondiale. Des sanctions sont votées à l’ONU contre le pays après la répression de Tian’anmen, mais elles prennent fin dès 1992. La RPC, « atelier du monde » en devenir et marché de plus d’un milliard de consommateurs, est déjà un rouage indispensable de la mondialisation. Un accord commercial est signé avec la Communauté économique européenne dès février 1978. Suivent un accord avec le Japon à l’été de la même année, l’établissement de relations officielles avec les États-Unis, et l’entrée au FMI en 1980. Les tensions renouvelées avec l’URSS (qui se manifestent par une guerre avec le Vietnam pro-soviétique en 1979) sont rapidement calmées. Cet effort d’insertion de la Chine dans l’économie mondiale est couronné par son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce en novembre 2001. Elle est déjà la 6e puissance exportatrice et représente 4,3% des exportations et 3,8% des importations mondiales.
B. La Chine est aujourd’hui une superpuissance mondiale sur laquelle pèse de nombreux qui remettent en question son modèle politique
a. La Chine : une superpuissance dans la mondialisation
La Chine est aujourd’hui la deuxième puissance économique mondiale après les États-Unis. La politique de rattrapage économique et d’insertion dans l’économie mondiale initiée par Deng Xiaoping est une réussite. La Chine a détrôné le Japon au rang de deuxième PIB mondial. Sa puissance se projette sur tous les continents : elle s’est hissée au rang de premier partenaire commercial du Japon, de l’UE et des États-Unis, tout en s’élevant au rang de pays à revenu intermédiaire ou supérieur (PIB/habitant de 16 000 dollars environ en 2017). La Chine a prouvé sa résilience après la crise asiatique de 1997-1998, et après la crise mondiale de 2008, surmontée grâce à un gigantesque plan de relance de près 500 milliards d’euros et par une sous-évaluation constante de sa monnaie, le yuan. Malgré une baisse tendancielle du taux de croissance de son PIB, celui-ci reste important (6,8% en 2017), après de longues années de croissance autour de 10%. Premier exportateur mondial (15% des exportations en 2015), la Chine possède les plus grandes réserves de change du monde (3140 milliards de dollars en 2017) et fait toujours partie des pays recevant le plus d’investissements directs à l’étranger.
L’ascension de la Chine au rang de superpuissance économique a entraîné l’enrichissement de sa gigantesque population (1,3 milliards d’habitants). En effet, depuis le début période de rattrapage, 700 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. L’indice de développement humain de la Chine, de 0,42 en 1980, atteint aujourd’hui 0,75. L’espérance de vie s’élevait à 76,25 ans en 2016 et l’alphabétisation des adultes à 95,16%. En même temps, ce pays traditionnel d’agriculteurs continue à s’urbaniser : presque 58% des Chinois vivent aujourd’hui dans des villes, contre 20% en 1980 ! La Chine compte d’ailleurs certaines des plus grandes villes du monde (Pékin, Shanghaï, Chongqing, plus la conurbation du delta de la rivière des Perles).
La Chine affiche désormais sa puissance aux yeux du monde. Xi Jiping, président depuis mars 2013, a résumé l’ambition de son mandat dans un slogan : la création d’un « rêve chinois». Si la rhétorique communiste reste de mise, et si le souvenir de Mao reste fort, la société chinoise d’aujourd’hui est nationaliste. À cet égard, la rétrocession de Hong Kong en 1997, et celle de Macao en 1999, closent symboliquement le long chapitre de la domination de la Chine par les puissances occidentales. La Chine affiche son nouveau rang aux yeux du monde par des réalisation spectaculaires comme la construction du barrage des Trois-Gorges, la plus grande centrale hydroélectrique du monde, la construction du plan grand pont du monde (Danyan-Kunshan), de certains des aéroports les plus fréquentés du monde (avec de véritables hubs comme Pékin, Shanghaï, Canton…) et par l’organisation réussie de grands événements internationaux comme les Jeux olympiques de 2008 et l’Exposition universelle de 2010 à Shanghaï. Pour diffuser sa culture dans le monde, la Chine créé les instituts Confucius en 2004, qui permettent d’apprendre le mandarin à l’étranger.
L’affirmation de la puissance chinoise est aussi géopolitique. La RPC a les moyens de projeter sa puissance dans un monde complexe et multipolaire. Néanmoins, la Chine est un isolat dans une région où règne l’influence américaine (Japon, Corée du Sud, Philippines, approfondissement des relations américaines avec le Viet Nam, etc.). La VIIe flotte américaine domine le Pacifique Ouest et protège Taiwan. La priorité est donc militaire. La RPC possède désormais la deuxième armée du monde après celle des États-Unis. En 2017, les dépenses militaires se sont élevées 151 milliards de dollars, bien loin de celles des États-Unis (600 milliards de dollars), mais bien devant celles de l’Arabie saoudite, de l’Inde, de la Russie ou de la France. La marine chinoise est en plein développement et a mis en service son premier porte-avion en 2012. L’armée populaire de libération n’hésite pas à faire montre de sa force au cours de défilés géants, comme le 30 juillet 2017 pour fêter la 90e de sa création. Enfin, en 2003, la Chine a réussi son premier vol habité dans l’espace.
b. De nombreux défis risquent de grever le futur de la Chine
L’économie chinoise doit relever le défi de sa modernisation. Le président Xi Jiping, en poste depuis 2013, déclare viser une « croissance de haute qualité». L’idée n’est plus d’être le fournisseur du monde en produits à bas coûts (le « made in china » a disparu au profit du « made in RPC »...)mais de fonder la croissance sur la consommation de son immense marché. La crise de 2008 a montré le danger de la dépendance aux exportations. Le coût de la main-d’œuvre chinoise, sur le littoral du moins, est de moins en moins compétitif. La Chine doit donc diversifier son économie dans les services (qui représentent déjà 56% de la production de richesse) et dans les produits technologiques à haute valeur ajoutée. Par exemple, la Chine dispose déjà d’un secteur internet protégé (Baidu, Weibo et Alibaba occupent les places d’Amazon, Facebook, Apple, etc.). Elle possède déjà de puissantes entreprises de haute technologie, comme Huawei, ZTE, Xiaomi ou Lenovo. Le défi est aussi de moderniser le secteur financier chinois : il est toujours interdit aujourd’hui pour un étranger de détenir une part de capital dans une société chinoise.
La modernisation de l’économie chinoise doit aussi passer par le développement de son soft power. Le « rêve chinois » n’est en rien comparable à l’American way of life. L’industrie culturelle chinoise exporte peu de produits, les films chinois sont peu diffusés à l’étranger, il n’existe pas de chinese food comparable aux hamburgers ou aux pizzas, la Chine n’a pas non plus un secteur un fort secteur du luxe. Plus généralement, la culture chinoise ne vend pas de mode de vie. Au reste, l’autoritarisme du régime communiste ne lui permet pas de s’ériger en modèle de gestion à l’étranger.
La Chine doit aussi faire face à de graves problèmes environnementaux. Elle est désormais le premier pollueur mondial : le pays produit 24% des rejets de CO2 dans l’atmosphère. Si la croissance chinoise s’est longtemps faite au détriment de l’environnement, il est impossible désormais pour le pouvoir d’ignorer ses effets néfastes sur la santé des populations, ce qui provoque nombre de contestations locales. Certaines villes sont paralysées par des smogs, épais brouillards d’origine industrielle. L’écologie fait désormais partie des priorités du gouvernement. L’objectif est de réduire les émissions de CO2 et fermer les nombreuses mines de charbon très polluantes du pays. D’importants investissements dans les énergies renouvelables ont permis au pays de devenir le leader mondial du domaine. Le gouvernement a en outre mis en place de normes de protection de l’environnement que doivent respecter les entreprises.
La Chine capitaliste souffre d’inégalités et de déséquilibres sociaux persistants. Si le nombre de pauvres a été drastiquement réduit, les citadins possèdent un patrimoine bien plus important que les ruraux, toujours nombreux. Les 1% des Chinois les plus fortunés possèdent près de 44% des richesses du pays. Le pays compte plus d’un million de millionnaires et le plus grand nombre de milliardaires du monde. En outre, l’avenir démographique de la Chine est incertain. La fin de la politique de l’enfant unique en 2015 ne devrait pas enrayer le déclin de la natalité du pays dans les années à venir et empêcher le vieillissement de la population. La politique de l’enfant unique a eu au reste pour effet néfaste de créer un « surplus » de garçons et l’élimination des filles qui ne pouvaient faire perpétuer la famille. Aujourd’hui, il devient difficile pour les hommes adultes de trouver une femme pour fonder une famille.
Ces déséquilibres sociaux se doublent de disparités territoriales qui sont cependant à nuancer. En effet, le territoire chinois est généralement compris comme divisé en trois parties : un littoral riche, peuplé et ouvert sur le monde ; l’intérieur des terres, en développement ; un « Grand Ouest » vide, peuplé par des ethnies minoritaires et colonisé par les Chinois Han. Cependant, le gouvernement a fait des efforts considérables pour atteindre une maîtrise pleine de son territoire et intégrer toutes ses parties. D’énormes travaux d’infrastructures (autoroutes, lignes à grande vitesse, constructions d’aéroports) ont permis de relier les axes nord-sud et ouest-est. L’intérieur et l’Ouest se présentent comme un hinterland où se prolonge la croissance de certains grand pôles littoraux (le détroit de la rivière des Perles, Pékin-Tianjin, Shanghaï, Dalian-Shenyang, etc.), mais aussi des régions où des pôles de développement indépendants du littoral se développent. De grands pôles urbains ont émergés à l’intérieur des terres, comme Chongqing dans le bassin du fleuve Yangzi ou Xi’an dans le bassin du fleuve jaune. La stratégie de la « nouvelle route de la Soie», devant relier la Chine à l’Europe par voie terrestre, permet d’envisager l’aménagement du territoire chinois, et notamment des provinces de l’Ouest (Xinjiang, Tibet), à une échelle continentale.
Des impératifs géostratégiques poussent la Chine à faire monter les tensions régionales. En effet, la RPC cherche à sécuriser sa « frontière maritime » alors que l’influence américaine domine la région. Ainsi, elle fait valoir sa souveraineté sur son environnement maritime immédiat au sein du conflit en mer de Chine méridionale (conflit avec le Japon sur la question des îles Senkaku/Diaoyu, avec le Viêt Nam pour les îles Paracels, avec la Malaysie, les Philippines, Brunei, etc., pour les îles Spratleys, etc.). La « stratégie du collier de perles», c’est-à-dire l’installation de points d’appuis de la marine chinoise dans l’Océan indien (en Birmanie, Bangladesh, Sri Lanka, Pakistan, etc.) pour assurer son approvisionnement énergétique au Moyen-Orient, alarme le rival indien qui craint l’encerclement. En Afrique, la RPC n’hésite pas à s’introduire dans les zones d’influence des anciennes puissances coloniales, exportant hommes et capitaux, à tel point que l’on a parlé de « Chinafrique». Enfin, l’élection de Donald Trump candidat favorable au retour d’une politique protectionniste, à la tête des États-Unis en novembre 2016 fait craindre le risque d’une guerre commerciale entre les deux.
c. L’avenir incertain du modèle politique chinois
Pour faire face à ces défis, le modèle politique chinois doit être renouvelé. Si son pouvoir n’a pas été sérieusement contesté depuis la répression de Tian’anmen, le Parti-État doit se montrer capable de répondre à une amplification des contestations violentes ( les « incidents de masse ») qui pourraient déstabiliser le pays. Le mécontentement porte sur l’augmentation des inégalités sociales, les scandales environnementaux, la corruption généralisée des cadres du parti et sur certains scandales financiers qui touchent les petits épargnants. La nouvelle équipe de Xi Jiping, de tendance réformiste, semble vouloir œuvrer pour un rééquilibrage de la répartition des fruits de la croissance et semble résolue à combattre la corruption. La lutte des « tigres contre les mouches», selon l’expression de Xi Jiping, a déjà entrainé l’élimination de plus d’un million de membres du parti (et de rivaux, comme en témoigne l’arrestation de Bo Xilai en 2012).
Plus largement, la pérennité de l’autoritarisme chinois est incertain. Le parti communiste a un temps exploité le regain de popularité du confucianisme pour construire une société plus apaisée. Mais l’impératif du développement économique pourrait ne plus justifier une restriction des libertés alors que la croissance ralentit. L’arrivée d’une nouvelle génération, habituée à débattre des affaires publiques sur internet, et perméable à l’influence occidentale, pourrait entraîner une nouvelle émergence de la question de la démocratisation. Pour l’instant, le parti communiste répond par un accroissement du contrôle social, comme en témoigne la mise en place d’un système de notation sociale des citoyens chinois à l’horizon 2020.
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