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La Ferme du Pouldu de Paul Sérusier (1890)

Publié le 23/03/2020
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ferme au pouldu paul serusier nabi
Wikimedia Commons

La Ferme du Pouldu de Paul Sérusier (1890) : informations générales

  • Huile sur toile de 1890 (voir la signature en bas à droite).
  • 72 x 60 cm.
  • National Gallery of Art, Washington D.C., États-Unis.

Peinture de Paul Sérusier (1864 – 1927), ayant pour sujet la Bretagne (station balnéaire du Pouldou, dans le Finistère) où il séjourne plusieurs fois, rejoignant Paul Gauguin (1848 – 1903) qui l’influence beaucoup (l’école de Pont-Aven), et qui joue un rôle déterminant dans la conception du Talisman, l’Aven au Bois d’Amour (1888), tableau fondateur du mouvement nabi. Gauguin aurait dit à Sérusier, selon Maurice Denis (1870 – 1943), autre figure de proue des nabis :

Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? mettez du vermillon.

Gauguin, qui encourage l’utilisation d’aplats de couleur, ne cherche pas la pure imitation du réel, mais à le transfigurer par la couleur.

Se rappeler qu’un tableau — avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote — est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.

M. Denis, Théorie

Analyse

La couleur discrimine les trois parties du tableau. Le soleil, grand absent que la lumière révèle, sépare le premier plan aux tons obscurs, des second et arrières plans aux tons clairs.

Le premier plan domine le coin bas gauche. Il est plongé dans une l’ombre offerte, peut-être, par des arbres, qui se répand comme une tache sur la cour de la ferme. Le sol, d’un orange foncé qui se dégrade en gris-bleu, ne se laisse illuminer que par quelques petites bavures de lumière. La paysanne, debout, verticale, orientée de trois quart, le visage tourné vers le sol, l’air triste, fait contraste : elle porte un bonnet blanc terne, une robe d’un bleu marine froid surmontée d’un tablier vert d’eau et des chaussures marron foncé.

Painting; oil on canvas; overall: 72 x 60 cm (28 3/8 x 23 5/8 in.)
framed: 101.6 x 88.9 x 7.6 cm (40 x 35 x 3 in.);

Le second plan est au centre-droit. Des nuances chaudes s’y déclinent sur le toit de chaume, marron clair, sur les pierres des murs, entre le gris, le blanc cassé et l’orange, et le tas de foin, flave, autour duquel la terre se dore légèrement. Le jaune du tas de foin semble assez incandescent pour envahir le bleu cobalt de la porte de la ferme. Les touches sont franches (influence de Cézanne notamment).

L’arrière plan se distingue par des couleurs froides tirées d’une gamme nouvelle : des striures de vert du gazon et des arbres, du bleu ciel qui tire au loin vers l’azur clair. Les touches sont franches ici aussi. 

À ce contraste de couleur se superpose une autre division entre la verticalité de la partie supérieure du tableau et l’horizontalité de sa partie inférieure. La verticalité est dominante. Elle est en harmonie avec le choix du format, en portrait. Elle se manifeste par la paysanne, debout, par l’échelle qui mène au grenier, par les contours de la maison, et par les grands arbres du fond. L’horizontalité, elle, se retrouve dans l’ombre flottante, dans le tas de foin, dans la clôture et dans la prairie du fond. Dans la cour, elle est pleine de rondeurs, ombre contre foin.

Cependant, verticalité et horizontalité semblent se disputer l’œuvre, comme la clarté et l’obscurité. En effet, l’ombre pénètre sur le territoire de la lumière, se répand sur la maison où elle forme comme une tête monstrueuse convoitant le tas de foin, qui est se retrouve presque enfermé malgré sa couleur splendide.

Enfin, le tableau semble traversé par trois dynamiques. La première conduit au centre gauche du tableau, vers la paysanne, point focal presque noir, vertical et isolé : les diagonales des taches d’ombres, ainsi que celle de l’arrière plan, y pointent. La seconde attire le regard vers la ferme : le spectateur est comme happé par sa lumière, renforcée par le jeu des contrastes entre son jaune dominant et les bleu et vert de l’arrière plan. La troisième est triangulaire : au bleu de la robe de la paysanne répondent le bleu de la porte et du ciel.

L’œuvre est onirique : la représentation stéréotypée du Finistère paysan est le support idéal à la transmission d’une vision où la couleur tient une place exorbitante. Les couleurs justifient la présence des éléments. La paysanne, éteinte, n’est peut-être là que pour sa robe. Le courbes en sinuosité (tous les contours de la ferme, les arbres battus par les vents, l’ombre, la paysanne), les touches franches, qui tourbillonnent en hachures dans le ciel, dans le vent sur les arbres et sur le toit, contribuent à donner au tout un aspect quasi merveilleux, qui l’écartent un peu plus de la réalité. L’œuvre est fraîche : elle baigne celui qui la regarde dans un idéal de simplicité bucolique qui a un quelque chose de mystique.

À lire en cliquant ICI : analyse de La Grande Vague de Kanagawa de Hokusai.