DĂ©finition
La définition du « mot-valise » (plus rarement mot-tiroir, emboßtement lexical ou croisement) peut varier selon les points de vue, mais désigne en général un néologisme (un mot nouveau) formé à partir de deux autres mots au moins. Les mots sont imbriqués les uns dans les autres pour en former un nouveau. Ce nouveau mot désigne une réalité nouvelle qui est, on le suppose, une fusion de que désignent ses mots parents :
- Le mot-valise « divulgĂącher » a Ă©tĂ© forgĂ© Ă partir des verbes « divulguer » et « gĂącher », et dĂ©signe le fait de gĂącher le plaisir de suivre un rĂ©cit (un film, une sĂ©rie) en divulguant des Ă©lĂ©ments importants dâune intrigue Ă ceux qui ne le savent pas encore. Ce mot traduit lâanglais spoiler. On le voit, « divulgĂącher » combine bien les sens de ses deux mots parents.
Un mot formĂ© par simple prĂ©fixation ou suffixation ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un mot-valise (ils ne contiennent pas vĂ©ritablement deux mots).
La formation du mot-valise
La plupart des mots-valises sont formĂ© Ă lâaide du processus de troncation, en supprimant la fin dâun mot (apocope) ou le dĂ©but dâun autre (aphĂ©rĂšse). Exemple :
- Foultitude, composé à partir de « foule » dont on a supprimé le -e final (apocope) et de « multitude » dont on a supprimé multi- (aphérÚse). Foultitude est un synonyme de multitude, mais a, contrairement à lui, une connotation plaisante et légÚre. Il appartient au langage oral.
Ce nâest pas le seul procĂ©dĂ© de formation dâun mot-valise : ils peuvent ĂȘtre formĂ©s par deux apocopes, ou en insĂ©rant un mot dans lâautre (trĂšs rare). Exemples :
- le manfra, composé de « manga » et « français ». Deux apocopes.
- un escalator : invention faite aux Ătats-Unis, dont le nom est un hybride (il mĂ©lange deux langues) formĂ© Ă partir de lâanglais elevator (« ascenseur ») et de lâinsertion en son milieu de lâitalien scale (« escalier »). Il dĂ©signe par antonomase tous les escaliers mĂ©caniques.
Nombre de mots-valises sont formĂ©s autour de syllabes communes (de phonĂšmes communs). Ce phĂ©nomĂšne est dĂ©nommĂ© lâhaplologie :
- Tragi-comique, formé à partir de « tragique » et « comique », partage en son centre le phonÚme [k] (le qu de tragique, le c de comique). Le « que » final des deux termes aide à la fusion.
- Infox a Ă©tĂ© forgĂ© Ă partir dâ« info » (abrĂ©viation dâinformations) et dâ« intox » qui partagent les phonĂšmes [ÉÌ] (« in ») et [o].
- Le nom de lâassociation sidaction, formĂ© Ă partir de sida (un acronyme) et dâaction, sans troncation.
Par la troncation, de nombreux mots perdent leur autonomie : dans divulgĂącher, gĂącher reste comprĂ©hensible (il conserve son signifiant), mais divul- seul nâa pas de sens (bien que lâon comprenne quel mot il abrĂšge).
Certains mots-valises, rares, sont des hybrides qui mĂ©langent deux langues. Câest le cas dâescalator, mais aussi du mot japonais freeter, formĂ© Ă partir de lâanglais free et de lâallemand arbeiter (travailleur), qui dĂ©signe au Japon un jeune travailleur indĂ©pendant sans qualification.
Compréhension
De nombreux mots-valises sont transparents : on reconnaßt les mots à partir desquels ils ont été formés, ou le contexte dans lequel ils sont employés aide à les comprendre.
- Le mot valise britannique Brexit, bien quâanglais, est assez transparent, dâautant que lâun des composants nâa pas Ă©tĂ© tronquĂ© : Britain + exit. Le contexte politique autour du Brexit a par ailleurs aidĂ© Ă rendre ce mot-valise plus comprĂ©hensible.
Dâautres, plus techniques, sont difficilement lisibles par les nĂ©ophytes, dâautant que nombre de mots-valises anglais sont employĂ©s en français :
- Un calligramme, mot-valise inventĂ© par Apollinaire Ă partir de « calligraphie » (lâart de bien former les lettres) et dâ« idĂ©ogramme » (caractĂšre qui a un sens en lui-mĂȘme, comme les idĂ©ogrammes chinois). Un calligramme est donc un poĂšme dont la forme mĂȘme a un sens.
- Un incel, de lâanglais involutary celibate, dĂ©signe un homme qui dĂ©sire ĂȘtre en couple qui nâarrive pas Ă lâĂȘtre, et qui dĂ©veloppe parfois une pensĂ©e et un discours misogynes. Ce terme est courant sur lâinternet francophone, mais nâest pas transparent immĂ©diatement Ă ceux qui, par exemple, nâont pas la culture de certains rĂ©seaux (Reddit, Twitter, etc.).
Certains mots-valises, anciens ou trÚs courants, ne sont plus perçus comme tels par les usagers :
- Embrouillamini est un mot-valise ancien (XVIIe siĂšcle) formĂ© Ă partir dâ« embrouillĂ© » et « brouillamini ». Le fait que ce dernier terme sorti dâusage rend impossible la dĂ©tection spontanĂ©e de son Ă©tymologie.
- Photomaton est une marque dĂ©posĂ©e amĂ©ricaine dont le nom a Ă©tĂ© formĂ© Ă partir de photography et dâautomaton (automate) avec haplologie (« oto » et « auto ») Ce mot-valise est devenu une antonomase : ce nom propre est devenu un nom commun pour dĂ©signer toutes les cabines de photographie dâidentitĂ©.
- Valdinguer, composĂ© de « valser » et de « dinguer », verbe sorti dâusage dont le sens Ă©tait « tomber, sâeffondrer ».
Sources de formation des mots-valises
La formation des mots-valises peut avoir plusieurs motivations :
- créer un mot-nouveau pour désigner un réalité
nouvelle : un ligre (lion+tigre) pour le petit dâun lion
et dâune tigresse, potimarron (potiron+marron) pour dĂ©signer une
courge originaire de Chine, etc.
- pour dĂ©signer, parfois, des phĂ©nomĂšnes de sociĂ©tĂ© (des concepts journalistiques frappants pour crĂ©er de lâengagement) : le trouple par exemple (trois+couple, relation amoureuse qui implique trois personnes).
- créer un mot frappant pour faire de la
rhétorique :
- en politique : les merdias, mot-valise polémique composé de merde et de médias pour dénoncer ces derniers ; le franglais (français + anglais) pour dénoncer la prégnance de certains anglicismes en français (dans la langue des cadres des grandes entreprises ou des startups par exemple).
- pour faire de la publicité : les alicaments (aliments+médicaments), le carambar, etc.
- faire de lâhumour : un Ă©lĂ©phanfare (Ă©lĂ©phant + fanfare), ridicoculiser (Edmond Rostand, ridiculiser + cocu), etc.
- Créer un équivalent français à un mot étranger (pour lutter contre les anglicismes le plus souvent, par initiative des autorités linguistiques québécoises le plus souvent) : infox pour fake news, courriel pour email, pourriel pour spam, etc.
LâespĂ©rance de vie des mots-valises dĂ©pend de la rĂ©alitĂ© quâils dĂ©signent. Si certains sâinstallent durablement dans le langage, dâautres en sortent vite, voire ne parviennent pas Ă y entrer du tout. Certains mots-valises nâintĂ©ressent quâun petit groupe dâusagers, parce quâils ne touchent quâun domaine spĂ©cialisĂ©, ou une sous-culture, etc.
- Nombre de traductions dâorigine quĂ©bĂ©coise de termes techniques anglais liĂ©s Ă lâinformations ne sont pas courantes en français dâEurope : pourriel, balado (pour podcast), costumade (pour cosplay), Ă©goportrait (selfie), ordiphone (pour smartphone).
- Des mots-valises sont frappĂ©s dâobsolescence (coronapiste, covidiot, fanzine), ou sont des concepts socio-journalistiques qui ne prennent pas (les tracances, travail+vacances, des vacances oĂč lâon travailleâŠ).
- Certains ne touchent quâun groupe de personnes : la stagflation (stagnation+inflation), un hackathon (hack+marathon, un Ă©vĂ©nement pendant lequel des dĂ©veloppeurs tentent de rĂ©soudre ensemble des problĂšmes), mĂ©catronique (mĂ©canique+Ă©lectronique), gaydar (gay+radar), etc.
Ătymologie de mot-valise
Mot-valise est probablement un calque (une traduction littĂ©rale) de lâanglais portmanteau word, terme inventĂ© dans par lâĂ©crivain Lewis Carroll (1832 â 1898) dans Through the Looking-Glass (1871). Un portmanteau dĂ©signe en anglais une grosse valise servant Ă transporter des vĂȘtements. La mĂ©taphore qui prend appui sur la valise vient probablement du fait que plusieurs Ă©lĂ©ments sont enfermĂ©s dans un contenant pour ne faire quâ« un » (« [âŠ] there are two meanings packed up into one word »).
Acronyme et mot-valise
Les acronymes sont proches des mots-valises. Ce sont des abrĂ©viations, souvent des sigles, qui se prononcent comme des mots nouveaux. Mais les mots-valises tentent de former un mot nouveau pour dĂ©signer une rĂ©alitĂ© nouvelle, câest-Ă -dire former mot « autonome », alors que lâintention qui prĂ©side Ă la crĂ©ation des acronymes est dâabrĂ©ger un syntagme.
- Bobo est une abrĂ©viation de bourgeois-bohĂšme, le bobo est un bourgeois-bohĂšme, alors que tigron nâest pas lâabrĂ©viation de tigre-lionne (qui ne veut rien dire), mais un ĂȘtre nouveau formĂ© Ă partir de ces deux animaux.
- Dircom est lâacronyme de directeur de la communication. Un dircom nâest pas autre chose quâun directeur de la communication.
Liste de mots-valises
- adulescence : « adulte » + « adolescence » ; dĂ©signe un adulte qui se comporte comme un adolescent, ou le retard du passage dâun Ă©tat Ă lâautre.
- artivisme: formĂ© de art + dâactivisme ; activisme par lâart.
- bidonville : de bidon + ville.
- bistroquet : de bistrot + troquet
- brunch : de lâanglais breakfast + lunch, pour dĂ©signer un repas qui combine les aliments mangĂ©s au petit-dĂ©jeuner et au dĂ©jeuner.
- burkini : de burka et bikini. Joue sur la répétition de la séquence b-k.
- cellophane : cellulose + diaphane ; désigne le film plastique transparent aux usages multiples.
- copillage : de copie + pillage ; désigne le fait de dupliquer le contenu de certains livres, en les photocopiant notamment.
- (Train) corail : confort + rail.
- carambar : caramel en barre. Jeu avec le changement de prononciation du « am » de « caramel » qui reprend le phonÚme de « en » dans carambar.
- cĂ©libattant(e) : de cĂ©libataire + battant ; dĂ©signe un cĂ©libataire qui se de bat pour sâen sortir, ou une personne heureuse dans le cĂ©libat.
- cultivar : de lâanglais cultivated + variety ; dĂ©signe les plantes cultivĂ©es dâune espĂšce.
- daron : croisement trÚs ancien de baron et de dam, « seigneur, maßtre ».
- flexitarien : flexible + vĂ©gĂ©tarien, calque dâun mot-valise anglais. Quelquâun qui mange de la viande occasionnellement. Lâusage du mot-valise, et du concept qui va avec, est notamment portĂ© par des groupes dâintĂ©rĂȘt du secteur de la viande pour prendre en compte le dĂ©veloppement supposĂ© du vĂ©gĂ©tarisme.
- foutraque : fou + patraque. Familier et amusant.
- fauxmage : de faux + fromage, appellation commerciale de produits vegans qui essaient dâimiter le goĂ»t et la consistance du fromage. Jeu sur la paronymie entre « faux » et du « fro » de fromage.
- fĂ©minazi : de fĂ©ministe + nazi ; ce mot-valise polĂ©mique a Ă©tĂ© inventĂ© aux Ătats-Unis et diffusĂ©s par les commentateurs conservateurs pour disqualifier et dĂ©nigrer certaines fĂ©ministes. Le qualificatif de nazi tente de disqualifier par association.
- La Françafrique : de France et Afrique ; mot-valise aujourdâhui pĂ©joratif Ă propos des relations entre la France et les Ătats de ses anciens territoires coloniaux.
- globish : global + english, désigne un anglais simplifié employé pour les communications internationales, parfois péjorativement.
- Handisport : de lâanglais handicap et sport.
- iel : de il + elle, pronom personnel neutre inventé pour constituer une langue inclusive.
- IndonĂ©sie : de lâanglais Indonesia, formĂ© sur les composĂ©s grecs indos (Indus, et Inde par extension) et nesos (Ăźle).
- Motel : de lâanglais motor + hotel, pour dĂ©signer les hĂŽtels situĂ©s le longs des routes aux Ătats-Unis.
- Multiplex : de multi + complexe.
- Napalm : de lâanglais naphthenic et palmitic, deux composants de ce produit employĂ© pour fabriquer des bombes incendiaires, utilisĂ©es pendant la guerre du Vietnam notamment.
- Nescafé : de nestlé + café.
- Novlangue : de nouveau + langue, calque de lâanglais Newspeak, langue officielle de lâOcĂ©ania, Ătat inventĂ© par George Orwell dans son roman 1984 (1949).
- Oxbridge : lâensemble formĂ© par Oxford et Cambridge, deux grandes universitĂ©s britanniques.
- Parapente : de parachute + pente.
- Paralympique : de lâanglais paraplegic + olympics.
- Podcast : iPod + broadcast, format inventĂ© par Apple ; lâOffice quĂ©bĂ©cois de la langue français a proposĂ© de le traduire par balado, abrĂ©viation de baladodiffusion, formĂ© sur baladeur + radiodiffusion.
- Pomâpotes : pomme + compote, et jeu sur la paronymie avec potes (amis).
- Smog : de lâanglais smoke (fumĂ©e) et fog (brouillard), du nom dâun brouillard formĂ© par la pollution atmosphĂ©rique.
- Tanzanie : Ă partir du mot-valise anglais Tanzania, formĂ© de Tanganyika + Zanzibar, avec un suffixe en âia en anglais, -ie en français.
- Téléthon : de télévision + marathon.
- Velcro : de velours + crochet, antonomase qui dĂ©signe le systĂšme dâaccrochage inventĂ© par lâentreprise du mĂȘme nom.
- Vélib : service de vélo en libre service parisien, formé sur vélo + liberté.
Alice, dĂ©signant une allĂ©e, demande Ă Humpty-Dumpty : -Et pourquoi lâappelle-t-on âalloindeâ ? RĂ©ponse de Humpty-Dumpty : -On lâappelle âalloindeâ, voyez-vous bien, parce quâelle sâallonge loin devant et loin derriĂšre ! (DerriĂšre le miroir)
âLâanimal seul, Monsieur, quâAristophane appelle hippocampĂ©lĂ©phantocamĂ©los, dut porter sur le front tant de chair sur tant dâos.â (Edmond Rostand; Cyrano de Bergerac.)