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Mouton de Panurge : dĂ©finition & origine (expression) 🐑

Publié le 12/10/2020 (m.à.j* le 29/05/2024)
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DĂ©finition

Un mouton de Panurge est une personne qui imite sans rĂ©flĂ©chir, qui obĂ©it sans poser de questions, qui est servile, qui a une “ñme moutonniĂšre” (Rabelais). Il existe le dĂ©rivĂ© panurgisme. Brassens en a fait une chanson.

Voir ici : qu’est-ce le psittacisme ? Une forme de panurgisme.

Origine de l’expression « mouton de Panurge »

Cette expression vient du Quart-Livre (1552) de François Rabelais (mort en 1553). Panurge, compagnon roublard de Pantagruel (du grec pan, tout, et ergo, faire, Panurge est le bon Ă  tout, le rusĂ©), se trouve sur un bateau avec, notamment, le marchand Dindenault. Les deux hommes commencent par se quereller avant de se tranquilliser. Panurge propose alors Ă  Dindenault de lui acheter un mouton, mais le marchand se moque de Panurge en relançant ses boniments Ă  chaque fois qu’il lui propose l’achat (Dindenault prĂ©sente par exemple ses moutons comme ceux de la race dont a Ă©tĂ© faite la toison d’or, comme une viande de rois et de princes, etc.). Dindenault finit par lui vendre pour trois livres tournois, prix qui scandalise Panurge mais auquel il cĂšde. Ce n’est cependant que ruse de la part de Panurge, qui se sert de l’instinct grĂ©gaire du mouton pour se venger. Il jette le mouton Ă  la mer. Tout le troupeau suit ce mouton et se jette Ă  la mer, emportant et noyant Dindenault qui essayait de les retenir, ainsi que les autres bergers et marchands.

Soubdain, je ne sçay comment, le cas fut subit, je n’eus loisir le considerer, Panurge, sans aultre chose dire, jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons, crians et bellans en pareille intonation, commencerent soy jetter et saulte en mer, aprĂšs Ă  la file. La foule estoit Ă  qui premier y saulteroit aprĂšs leur compaignon. Possible n’estoit les engarder, comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tousjours suivre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dit Aristoteles (594), lib. IX, de Histor. anim., estre le plus sot et inepte animant du monde.

Le marchant, tout effrayĂ© de ce que devant ses yelx perir voyoit et noyer ses moutons, s’efforçoit les empescher et retenir de tout son pouvoir. Mais c’estoit en vaiin. Tous Ă  la file saultoient dedans la mer, et perissoient. Finalement, il en print un grand et fort par la toison sus le tillac de la nauf, cuidant ainsi le retenir, et saulver le reste aussi consequemment. Le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec soy le marchant, et fut noyĂ©, en pareille forme que les moutons de Polyphemus le borgne cyclope emporterent hors la caverne Ulyxes et ses compaignons. Autant en firent les aultres bergiers et moutonniers, les prenant uns par les cornes, aultres par les jambes, aultres par la toison. Lequelz tous furent pareillement en mer portĂ©s et noyĂ©s misĂ©rablement. 

Quart-Livre, VIII, Comment Panurge fit en mer noyer le marchand et les moutons

Voir ici : que veut dire l’expression “jeter sa gourme” ?

Exemples 

Au lieu de mener cette vie de mouton de Panurge et de jurer sur la parole du premier livre qui tombe sous la main


Le Figaro, 16 juin 1828

Qu’est-ce donc, en effet, que le snobisme ? C’est l’alliance d’une docilitĂ© d’esprit presque touchante et de la plus risible vanitĂ©. Le snob ne s’aperçoit pas que, d’ĂȘtre aveuglĂ©ment pour l’art et la littĂ©rature de demain, cela est Ă  la portĂ©e mĂȘme des sots ; qu’il est aussi peu original de suivre de parti pris toute nouveautĂ© que de s’attacher de parti pris Ă  toute tradition, et que l’un ne demande pas plus d’effort que l’autre ; car, comme le dit La BruyĂšre, « deux choses contraires nous prĂ©viennent Ă©galement, l’habitude et la nouveautĂ©. » C’est par ce contraste entre sa banalitĂ© rĂ©elle et sa prĂ©tention Ă  l’originalitĂ© que le snob prĂȘte Ă  sourire. Le snob est un mouton de Panurge prĂ©tentieux, un mouton qui saute Ă  la file, mais d’un air suffisant.

Jules LemaĂźtre, Les Contemporains

Car Swann avait beaucoup d’amis et mĂȘme d’amies, et sans trop m’avancer, ni vouloir commettre d’indiscrĂ©tion, je crois pouvoir dire que non pas toutes, ni mĂȘme le plus grand nombre, mais l’une au moins et qui est une fort grande dame, ne se serait peut-ĂȘtre pas montrĂ©e entiĂšrement rĂ©fractaire Ă  l’idĂ©e d’entrer en relations avec Mme Swann, auquel cas, vraisemblablement, plus d’un mouton de Panurge aurait suivi. 

Proust, À la recherche du temps perdu

Panurgisme et paresse intellectuelle, par exemple, ne sont pas rares et expliquent bien des bĂȘtises colportĂ©es. Le prĂ©sident de la RĂ©publique relĂšve notamment le fait que sur certains plateaux tĂ©lĂ©visĂ©s, les propos du premier venu vĂȘtu d’un gilet jaune ont Ă©tĂ© mis sur le mĂȘme plan que ceux d’un expert ou spĂ©cialiste, sans contradiction ou si peu. Ce n’est pas faux. En tout cas, la question mĂ©rite d’ĂȘtre dĂ©battue.