Si tout le monde en France connaît la Pâques chrétienne, célébrée en avril, qui commémore, selon l’Église, la résurrection de Jésus, très peu de gens connaissent la pâque juive, Pessa’h, dont la fête chrétienne est directement issue. Pessa’h, en hébreu, a lieu durant toute une semaine, généralement à la même période, et commémore un autre événement que la pâques chrétienne : la sortie d’Égypte des Hébreux. Si la question de la véracité historique de la sortie des Hébreux d’Égypte divise, encore aujourd’hui, les historiens, cette fête et ce qu’elle commémore restent néanmoins fondamentalement ancrés dans l’identité juive. Le Seder, le repas du premier soir de la fête de Pessa’h, réunit ainsi les juifs les moins pratiquants avec les plus religieux autour de la Haggada de Pessa’h : le récit biblique de la sortie d’Egypte.
Étymologiquement, Pessa’h, qui a donné « la Pâque », signifie « passer par-dessus » — en souvenir de la plaie des premiers-nés, qui tuait les nourrissons égyptiens, peuple idolâtre, et épargnait, en « passant par-dessus », les nourrissons Hébreux. Si le nom de la fête a d’abord été hag hamatzot, « la fête des azymes » (le pain non-levé), c’est le nom Pessa’h, qui désigne le sacrifice pascal, qui a fini par prendre le dessus, en raison, notamment, de la symbolique de cet évènement, qui imprègne encore la fête aujourd’hui.
Pessa’h : sortir d’Égypte
Qu’importe le caractère historique ou non de l’histoire de la sortie d’Égypte, c’est cet épisode-ci qui est commémoré par Pessa’h. Dans l’histoire biblique, le patriarche Jacob et ses enfants descendent en Égypte, rejoindre un autre de ses fils, Joseph, à la suite d’une famine en Canaan (la région correspondant à l’État d’Israël, aux territoires palestiniens, et à une partie du Liban et de la Jordanie actuels). Les Hébreux se voient attribuer la province égyptienne de Goshen.
Ils se multiplient peu à peu, et finissent par constituer un courant monothéiste dissident au sein d’une Égypte pharaonique encore païenne. Ils sont réduits en esclavage par Pharaon. Les esclaves sont alors la classe la plus basse de la société.
Moïse, de la tribu de Lévy, ancien prince d’Égypte, mais en réalité fils d’un couple d’Hébreux, adopté par la famille royale, finit par devenir, par l’intermédiaire de Dieu, le libérateur des Hébreux. Après le châtiment des dix plaies infligées aux Égyptiens avec l’aide de Dieu, pour les punir à la fois de l’esclavage mais aussi de leurs pratiques idolâtres, qui culminent avec la mort des premiers-nés égyptiens, les Israélites sont affranchis et peuvent quitter l’Égypte. Ils sortent le 15 Nissan de l’année hébraïque, c’est-à-dire au printemps.
Au moment de la sortie, par l’intermédiaire de Moïse, Dieu aurait ordonné aux Israélites de célébrer la Pâque. Le 14 Nissan (la veille de la sortie d’Égypte), les Hébreux doivent sacrifier un agneau pascal : c’est le Korban Pessa’h. L’agneau est un animal porteur d’une forte charge symbolique et allégorique (sacrifier l’agneau, c’est-à-dire le mouton, le suiveur qui est en nous), mais il est aussi considéré comme une idole vénérée par les Égyptiens de l’époque. Sacrifier chaque année depuis la sortie d’Égypte l’agneau pascal, la veille de cette sortie, c’est se remémorer un acte qui, symboliquement, s’apparente à un véritable révolte. Il s’agit de dire : nous ne sommes pas des moutons, des suiveurs, nous sommes sur l’autre rive — ce qui est l’étymologie du mot « Hébreu », Ivrit, celui qui est sur l’autre rive.
Le jour de la sortie d’Egypte, le 15 Nissan, d’autres prescriptions pascales sont ordonnées aux enfants d’Israël, notamment l’interdiction de posséder du ‘hamets (tout produit constitué de blé, orge, levain, seigle ou épeautre levé) durant Pessa’h, auxquels il faut substituer de la matsa, du pain non-levé. Pessa’h devient une « convocation sainte », un Yom Tov, un jour de fête.
Comment se déroule la fête de Pessa’h ?
Pessa’h est toujours fêtée aujourd’hui.
L’offrande pascale n’est plus pratiquée depuis la destruction du Temple. Le 15 Nissan reste cependant le jour, dans le calendrier hébraïque, où l’on commémore la sortie d’Égypte.
Tout d’abord, les semaines qui précèdent la fête, un grand nettoyage de printemps a lieu : tout le monde doit ranger et astiquer sa maison, jusqu’à ce qu’elle brille. On doit en profiter pour rechercher tout ‘hamets : chaque petit morceau de pain, de bière ou de petit gâteau doit être jeté à la poubelle — ou vendu à quelqu’un d’autre pour le temps de la fête.
Durant la première moitié du mois hébraïque de Nissan, chaque juif a le devoir d’aider des pauvres, afin qu’ils puissent passer Pessa’h dans de bonnes conditions. C’est le commandement (mitsva) de Kim’ha de Piss’ha (farine de Pessa’h). Ce commandement est aujourd’hui suivi en faisant des dons alimentaires via internet, mais peut aussi passer par le don aux pauvres ou la collecte alimentaire au sens large.
La fête de Pessa’h dure une semaine — 7 jours en Israël, 8 jours en diaspora. Le premier soir, a lieu le Seder — littéralement « ordre » en hébreu —, qui est le grand repas de Pessa’h. Pendant ce repas, les juifs consomment la matsa, galette de pain azyme mentionnée dans la Torah, le maror, des herbes amères, dont le but est de rappeler l’amertume de l’esclavage en Égypte, ainsi que la harosset, un mélange de fruits et de vin, qui symbolise le mortier utilisé par les Hébreux en Égypte pour la construction des briques. On boit aussi quatre verres de vin, accoudés, pour apporter plus de joie à ce véritable jour de fête.
Durant le Seder, les adultes racontent la Haggada de Pessa’h aux enfants. La Haggada, littéralement « récit », est en fait tout simplement le récit de la sortie d’Égypte. On se remémore ainsi chaque année la façon dont les Hébreux ont échappé à l’esclavage égyptien, à travers le récit des dix plaies. Les enfants commencent à s’imprégner de cet imaginaire. Preuve en est, le plus jeune des convives doit poser quatre questions traditionnelles sur la sortie d’Egypte.
Pessa’h : une fête allégorique
Derrière tous ces rites, qui nous paraissent à la fois amusants et archaïques, se cache néanmoins une symbolique très profonde. En effet, Pessa’h est la fête où l’on sort continuellement d’Égypte. En hébreu, Égypte se dit « Mistraïm », qui signifie aussi « étroitesse ». Pessa’h, c’est sortir encore aujourd’hui de nos propres « Égyptes », briser nos chaînes et ce qui nous maintient en esclavage. Effectivement, même dans une société libérale et individualiste, l’individu est toujours prisonnier de ses propres chaînes, qu’il se forge lui-même : pulsions animales, addictions, colère, modes, etc. Ce sont ces Égyptes, ces « étroitesses », que l’on doit briser à Pessa’h afin de s’en libérer. Pessa’h est ainsi la fête de la liberté. Pendant la sanctification (Kiddouch) du Seder, chaque juif doit ainsi se poser la question : quelle est ma mission sur cette Terre ? Moi, en tant qu’individu, que puis-je apporter à l’humanité ? Ce faisant, qu’ai-je d’unique ?
Dans la mystique juive, la symbolique du ‘hamets et de la matsa est par ailleurs très profonde. En effet, qu’est-ce qui arrive à un pain lorsqu’il lève ? Sans rentrer dans les détails : il se gonfle d’air, de vide. Le ‘hamets devient le symbole de l’orgueil, de l’ego-roi, le véritable Pharaon qui réside dans chaque être humain : se gonfler d’orgueil étant en fait se gonfler… de vide ! C’est pour cela qu’il est interdit à cette période de l’année d’en consommer et même d’en posséder : afin de se débarrasser de tout ce qui, de près ou de loin, se rapporte à l’orgueil.
Enfin, Pessa’h est aussi la fête du printemps. À l’époque du Temple, c’était surtout une fête liée à l’agriculture et aux récoltes. L’offrande de l’Omer, offrande collective d’orge, était ainsi offerte pendant la fête elle-même, selon les prescriptions du livre du Lévitique. La Torah elle-même avance que la Pâque doit avoir lieu systématiquement au printemps : la période où le jour reprend le dessus sur la nuit…autre référence symbolique à l’idée de libération !
Pessa’h est donc une fête singulière, traditionnelle dans ce qu’elle commémore, et intemporelle, puisque fêtée dans l’Antiquité, au Moyen Âge et encore aujourd’hui. Elle est symbolise du ciment qui unit le peuple juif, comme en témoigne la phrase prononcée par chaque juif durant le Seder : « l’an prochain à Jérusalem ».
mazal tov
Très bel article ! Bravo!
J’aime beaucoup vos articles sur les thématiques juives, un vrai travail de recherches y est ressenti pour des questions parfois difficiles à saisir. Félicitations !
Que D.ieu vous bénisse ! =)