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Prétérition : définition · exemples · [figure de style]

Publié le 06/11/2017 (m.à.j* le 14/10/2024)
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Définition

Une prétérition est une figure de style par laquelle on feint de ne pas vouloir parler d’un sujet, pour en parler quand même. Le locuteur dit ce qu’il prétend passer sous silence. Exemple :

Je ne dirai pas qu’il a écrit douze livres ni qu’il a été professeur dans les plus grandes universités, Stanford et Oxford pour ne pas les nommer…

Exemple donné par le Gradus

Dans cet exemple, la prétérition a valeur de résumé : le locuteur ne s’étendra pas sur cet élément, même si l’on comprend qu’il est important. Autre exemple

Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la soeur, la fille avec la mère,
Les époux expirant sous leurs toits embrasés

Voltaire, La Henriade, Chant deuxième (sur la Saint-Barthélémy)

Voltaire commence par affirmer ne pas vouloir parler le massacre, pour le décrire ensuite de manière très crue sur cinq vers.

Il existe une autre forme de prétérition par laquelle on affirme ne pas vouloir faire quelque chose que l’on fait quand même. Exemple

Je n’ai aucune arrière-pensée. Je ne veux pas t’influencer… Mais si une épée comme celle-là tuait ta sœur, nous serions bien tranquilles !

Giraudoux, Électre, I, XII, Première Euménide

VOIR ICI : toutes les figures de style essentielles de la langue française !

 

Synonyme de prétérition

La prétermission est un synonyme de prétérition.

Demi-prétéritions

Le Gradus classe les formules comme « je n’ai pas besoin de vous dire que » ou« inutile de vous rappeler que » comme des demi-prétéritions.

 

L’effet de la prétérition

La prétérition est la figure de rhétorique par excellence ; ses bénéfices sont nombreux pour l’orateur. En effet, la prétérition provoque l’effet contraire de ce qu’elle annonce : on attire l’attention des interlocuteurs sur ce que l’on prétend passer sous silence. Ce que l’on prétend ne pas dire est finalement énoncé avec force : la prétérition cache pour mieux montrer. Elle tient donc du paradoxe. Elle expose à moitié quelque chose qui semble secret : la curiosité des auditeurs est piquée. Cette figure de rhétorique permet aussi à l’orateur de se déresponsabiliser, c’est-à-dire de ne pas assumer ses propos. La prétérition est ainsi utile lorsque une affaire n’a pas à être exposée publiquement, si l’information qu’elle présente peut être aisément contestée ou ne peut être expliquée clairement. 

Elle permet enfin de renforcer un euphémisme, comme le montre cet extrait d’Ulysse de Joyce, cité par le Gradus :

La morgue est un endroit peu engageant, pour ne pas dire lugubre, surtout la nuit 

Les humoristes prisent cette figure qui leur permet de se faire passer pour des hypocrites, des cyniques ou des imbéciles, comme dans ce célèbre sketch des Inconnus dans lequel les présentateurs dévoilent la vie privée des athlètes pour affirmer ensuite que « cela ne nous regarde pas ».

 

Étymologie de prétérition

Prétérition vient du latin præteritionem, de præterire, « passer outre ».

 

Exemples de prétéritions

Alceste fait semblant de parler d’un tiers pour critiquer les vers d’Oronte :

Oronte

Est-ce que vous voulez me déclarer par là
Que j’ai tort de vouloir…

 
Alceste

Je ne dis pas cela.
Mais je lui disais, moi, qu’un froid écrit assomme,
Qu’il ne faut que ce faible à décrier un homme,
Et qu’eût-on d’autre part cent belles qualités,
On regarde les gens par leurs méchants côtés.

 
Oronte
Est-ce qu’à mon sonnet vous trouvez à redire ?

 
Alceste

Je ne dis pas cela. Mais, pour ne point écrire,
Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.

 
Oronte
Est-ce que j’écris mal, et leur ressemblerais-je ?

 
Alceste

Je ne dis pas cela. Mais enfin, lui disais-je,
Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ?
Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ?
Si l’on peut pardonner l’essor d’un mauvais livre,
Ce n’est qu’aux malheureux qui composent pour vivre.

Molière, Le Misanthrope, Acte I, 2

Je pourrais faire remarquer qu’elle connaissait si bien la beauté des ouvrages de l’esprit, que l’on croyait avoir atteint la perfection quand on avait su plaire à Madame : je pourrais encore ajouter que les plus sages et les plus expérimentés admiraient cet esprit vif et perçant qui embrassait sans peine les plus grandes affaires, et pénétrait avec tant de facilité dans les plus secrets intérêts. Mais pourquoi m’étendre sur une matière où je puis tout dire d’un mot ? 

Bossuet, Oraison funèbre de la duchesse d’Orléans

Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, invalide, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l’intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. Le carreau rouge est plein de vallées produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin, là règne la misère sans poésie ; une misère économe, concentrée, râpée. Si elle n’a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n’a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture.

Balzac, Le Père Goriot

Nous n’essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre

Hugo, Notre-Dame de Paris (À propos de Quasimodo)

Je ne me défends pas, d’ailleurs. Mon oeuvre me défendra. C’est une oeuvre de vérité.

Zola, Préface à l’Assommoir

Le secret professionnel m’interdit de faire connaître mon client, aussi ne le désignerai-je pas dans cette lettre. Toutefois, ne désirant pas passer pour un blagueur, j’observerai simplement que ledit malade est un nommé A.L… marchand épicier à Saint-H…par S…(Hautes-Alpes), auprès duquel on peut se renseigner. (Tous les noms propres contenus dans cette parenthèses sont en toutes lettres. L’administration du Sourire a jugé que de simples initiales suffisaient amplement)

Allais, La Barbe et autres contes

Je ne parlerai pas de l’ouvrier qui pleure
La perte de ses doigts morts au champ du labeur
De la jeune fille fanée avant d’avoir aimé
Je n’en parlerai pas
Il vaut mieux glorifier le chat de la voisine.

Yves Montand, Le Chat de la voisine

Je ne l’appellerai pas François Balkany mais il ressemble plus à ça qu’à autre chose aujourd’hui

Emmanuel Macron (À propos François Fillon)