Définition
« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise » ou « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse » signifie :
- à force de s’exposer à un danger, même léger, on risque d’en être victime ;
- à force de répéter une action qui comporte un danger, celui finit par survenir ;
- à force de répéter les mêmes erreurs, on finit par en subir les conséquences.
Remplir une cruche d’eau est un geste anodin qui ne semble pas comporter de danger. Mais, à force de le faire, on risque de casser un jour la cruche. L’usure peut notamment nous rendre victime d’un danger léger. Exemple : « — Non ! j’ai plus le courage que j’avais. Je suis fini. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Et puis, depuis mon affaire en justice, je n’ai plus le même caractère. Je suis plus le même homme, quoi ! » (Anatole France, Crainquebille)
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise / se casse : origine du proverbe
L’origine de ce proverbe est bien sûr obscure. « Cruche » semble avoir remplacé « pot », avec lequel on trouve des occurrences plus anciennes. Le Dictionnaire du moyen français donne plusieurs exemples du XIVe siècle :
- Tant va ly pos a l’iaue que brisier le voit on (La Belle Hélène de Constantinople) ;
- Tant va le pot a l’eaue qu’en la fin brisera (Cuvelier, La Chanson de Bertrand du Guesclin) ;
- etc.
Mais ce proverbe est encore plus ancien. Il est employé (à plusieurs reprises) dans le Roman de Renart (XIIe – XIIIe siècles) :
Fox est qui por son grant eür
Cuide estre en cest siecle asseür ;
Et si vos di bien sanz faintise,
Tant va pot a l’eve qu’il brise.
Ou tost ou tart, ou pres ou loing,
A li fort du foible besoing.Il est fou celui qui pense être assuré
de son bonheur dans ce monde.
Je vous le dis sans détour,
tant va la cruche à l’eau qu’elle se brise.
Tôt ou tard, de près ou de loin,
le fort a besoin du faible.
Au XVe siècle, on le trouve par exemple sous une forme similaire chez François Villon :
Tant grate chevre que mal gist
Tant va le pot a leau qu’il brise
Tant chauffe on le fer quil rougist
[…]
Il conserve la même forme au XVIe siècle chez Baïf (1532 – 1589):
Tant va le pot à l’eau qu’il brise :
Tel est loué qui peut se prise ;
Tant vente, qu’il pleut à la fin.
La cruche fait son apparition au XVIe, dans une expression à la forme assez différente (mais peut-être d’emploi très rare) :
- Tant va la cruche au puiz, qu’elle y laisse le manche (1550) ;
- Tant va la cruche à la fontainette, qu’elle y laisse le manche ou l’oreillette (1578) ;
- Tant va la cruche à l’eau, qu’en fin l’anse y demeure (1594).
Une édition de 1605 du dictionnaire français-latin dit de Jean Nicot relève le proverbe : « Tant va la cruche à l’eau, qu’elle s’y casse ». Un recueil de proverbe note en 1611 : « Tant va la cruche au Puits, qu’elle y laisse le manche. » Oudin relève dans ses Curiositez françaises (1640) : « tant va la cruche à l’eau qu’enfin elle se brise .i. l’on continüe tant une chose qu’à la fin on y est attrapé ». On le trouve sous cette forme chez Molière (1622 – 1673):
Sachez, Monsieur, que tant va la cruche à l’eau, qu’enfin elle se brise ; et comme dit fort bien cet auteur que je ne connais pas, l’homme est en ce monde ainsi que l’oiseau sur la branche, la branche est attachée à l’arbre, qui s’attache à l’arbre suit de bons préceptes, les bons préceptes valent mieux que les belles paroles, les belles paroles se trouvent à la cour.
Dom Juan, V, 2, Sganarelle
Oudin (1595 – 1653) a traduit (1662) « tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se brise » en italien par « tanto va la Caprazoppa, che nel Lupo s’intoppa » (la chèvre boiteuse s’en va si le loup ne l’attrape pas). Beaumarchais (1732 – 1799) a détourné le proverbe :
Basile : Prenez garde, jeune homme, prenez garde ! le père n’est pas satisfait ; la fille a été souffletée ; elle n’étudie pas avec vous. Chérubin ! Chérubin ! vous lui causerez des chagrins ! Tant va la cruche à l’eau…
Figaro : Ah ! voilà notre imbécile avec ses vieux proverbes ! Eh bien, pédant ! que dit la sagesse des nations ? Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin…
Basile : Elle s’emplit.
Figaro, en s’en allant : Pas si bête, pourtant, pas si bête !
Frédéric Dard aussi : « Tant va l’homme à la cruche qu’à la fin il se case »
TANT LA MARCHE CONTINUE QUE LES SOULIERS S USENT