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Les trois semaines (Yemei Bein Hametzarim)

Publié le 27/07/2019
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Si on associe généralement les célébrations juives avec une ambiance joyeuse et festive, ce n’est pas le cas des Yemei Bein Hametzarim (littéralement « jours entre les détroits »), aussi appelés la « période des trois semaines », période beaucoup plus rude dans le calendrier juif. Cette période a lieu du 17 Tamouz au 9 Av (en général en juillet – août du calendrier grégorien), et comporte de nombreux interdits et restrictions. Ces trois semaines commémorent la destruction des deux Temples (Beth haMikdach) de Jérusalem, ainsi que d’autres malheurs de l’histoire juive.

L’histoire des trois semaines : Yemei Bein Hametzarim)

tradition juif trois semaines
La destruction du temple de Jérusalem, Francesco Hayez, 1867 |Wikimedia Commons

Les livres des Prophètes (Neviim) et les Hagiographes (Ketouvim), respectivement deuxième et troisième parties du corpus biblique à la fois hébraïque et chrétien, sont les premiers à mentionner, au moins en sous-entendus, les trois semaines. Le livre de Zacharie (8;18) parle du « jeûne du quatrième, du cinquième, du septième et du dixième mois ». Or la question se pose très logiquement : quels sont ces jeûnes, et quel jour exactement ont-ils lieu ? Les jeûnes du septième et du dixième mois n’ont pas grand-chose à voir avec les trois semaines, il s’agit en effet du jeûne de Guedalia, le 3 Tichri (septembre – octobre), et du jeûne du 10 Tevet (décembre-janvier), qui commémorent les premières brèches des armées babyloniennes dans l’enceinte de Jérusalem en -587, selon le deuxième Livre des Rois (25;1-4).

Quant aux jeûnes du quatrième et du cinquième mois, ceux qui nous intéressent, ils sont ceux du 17 Tamouz et du 9 Av (juillet – août en général). Le jeûne du 17 Tamouz commémore une série de malheurs, notamment la première brèche faite par l’empereur romain Titus dans l’enceinte de Jérusalem, mais aussi le bris des premières tables de la Loi par Moïse au Mont Sinaï. Le jeûne du 9 Av, lui, commémore la destruction des deux Temples.

Ironiquement, le 9 Av a aussi été la date d’autres malheurs qui ont marqué l’histoire du peuple juif : la fin de la révolte juive de Bar Kokhba en 135 de l’ère chrétienne, étouffée par l’armée romaine dans le sang ; le décret définitif d’expulsion des juifs d’Espagne ; l’expulsion des juifs de France par Philippe le Bel en 1306 ; la signature du décret d’expulsion des juifs d’Angleterre en 1290, etc. Il s’agit donc d’un jour sombre dans l’histoire du judaïsme.

Vis-à-vis de ces deux jeûnes, 17 Tamouz et 9 Av, une autre tradition biblique existe. Le livre des Lamentations (Eikha), écrit par la tradition selon le prophète Jérémie, interprété par le « Midrash Eikha Rabba » (interprétation rabbinique allégorique des écrits bibliques), parle de cette période comme d’un moment de deuil pour l’ensemble des juifs. C’est essentiellement de cette interprétation que vient la tradition des trois semaines.

Les coutumes des trois semaines

Le moment est rendu austère par l’ensemble des interdits qu’il compte. Pour commencer, le 17 Tamouz est un jour de jeûne de l’aube au crépuscule, tandis que le jour du 9 Av (aussi appelé Ticha beAv) est un jeûne de 25h (dès la veille au soir), auquel d’autres interdictions s’ajoutent (interdit d’avoir des relations intimes, de se laver et se parfumer et de porter des chaussures en cuir).

Entre ces deux jours de jeûne, les interdictions se multiplient, et ce en fonction des coutumes (ashkénazes ou séfarades). Dans l’ensemble, du 17 Tamouz au 1er Av, il est interdit d’écouter de la musique (un débat existe sur le droit d’écouter de la musique a capella ou non), afin de diminuer la joie ou l’excitation émotionnelle, en général inhérente au fait d’écouter de la musique. Il est aussi interdit de se marier ou de se fiancer.

Dès le 1er Av, il devient interdit de consommer de la viande et du vin, de se baigner par plaisir, ou encore d’acheter de nouveaux vêtements.

Enfin, du Shabbat qui précède Ticha BeAv (le jour du 9 Av) à Ticha BeAv même, il est aussi interdit de se laver le corps à l’eau chaude, de se couper les cheveux et de se raser, de laver ses vêtements, de repasser, de porter un nouvel habit ou d’acheter un vêtement neuf.

Tous ces interdits ont pour but de susciter la plus forte la tristesse : c’est une période de deuil, pendant laquelle chaque juif doit essayer de ressentir la tristesse inhérente à la destruction des deux temples.

Voir ici : qu’est-ce que le Talmud ? 

Une allégorie 

Les kabbalistes (mystiques juifs) ont offert d’autres interprétations aux trois semaines. À leurs yeux, ce sont des périodes de rigueur céleste, où les fautes, à la fois individuelles et collectives, sont spécialement expiées par des souffrances, et ce afin de préparer au mois d’Eloul qui suit le mois d’Av, mois consacré essentiellement au repentir (techouva). Dès lors, il importerait de prendre sur soi d’office le sentiment de deuil et de tristesse, et ce afin de minimiser la rigueur céleste sur nos vies (dans l’idée : prendre sur soi la souffrance par les mortifications sus-mentionnées, afin d’éviter que ce soit le Ciel qui nous fasse souffrir autrement).

Les kabbalistes pensent effectivement qu’à certaines périodes de l’année, des « lumières spirituelles » descendent, et que les rituels religieux sont un moyen de capter ces lumières et de progresser spirituellement. Dans le cas des trois semaines, il s’agit d’ouvrir son coeur au repentir.

La symbolique des Trois Semaines va toutefois au-delà de la mystique pure et dure. Le prophète Zacharie évoque l’ère messianique qu’attendent toujours les juifs, et parle des jours de jeûne mentionnés précédemment comme des jours qui deviendront joyeux. Ce sont donc des jours qui cristallisent aussi l’espérance messianique des juifs, qui repose sur l’idée qu’un jour viendra où tous les peuples pourront vivre éternellement en paix, et où toutes les périodes les plus tristes deviendront de véritables période de joie et de jouissance spirituelle.