Les Lettres philosophiques ou Lettres anglaises de Voltaire (1694 – 1778), publiées en 1734, sont composées de 25 lettres ouvertes. Dans le style limpide, caractéristique de son auteur, les Lettres philosophiques donnent une belle preuve de l’anglomanie de leur auteur. Mais la dernière lettre tranche avec le reste de l’ouvrage : elle se présente en fait comme une critique de certaines Pensées de Pascal. Dans cet extrait, Voltaire, contre Pascal, exalte l’amour-propre qui est le moteur de la société.
Voltaire commentateur de Pascal
Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment. Il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables et indifférents, et connaissant nous et les autres nous ne donnerions point cette inclination à notre volonté.
Nous naissons pourtant avec elle, nous naissons donc injustes.
Car tout tend à soi : cela est contre tout ordre.
Il faut tendre au général, et la pente vers soi est le commencement de tout désordre, en guerre, en police, en économie, dans le corps particulier de l’homme.
La volonté est donc dépravée. Si les membres des communautés naturelles et civiles tendent au bien du corps, les communautés elles-mêmes doivent tendre à un autre corps plus général dont elles sont membres. L’on doit donc tendre au général. Nous naissons donc injustes et dépravés.
Blaise Pascal, Pensées, Brunschvig : 477 ; Le Guern : 397
Commentaire de Voltaire :
Cela est selon tout ordre. Il est aussi impossible qu’une société puisse se former et subsister sans amour-propre, qu’il serait impossible de faire des enfants sans concupiscence, de songer à se nourrir sans appétit, etc. C’est l’amour de nous-même qui assiste l’amour des autres ; c’est par nos besoins mutuels que nous sommes utiles au genre humain ; c’est le fondement de tout commerce ; c’est l’éternel lien des hommes. Sans lui il n’y aurait pas eu un art inventé, ni une société de dix personnes formée ; c’est cet amour-propre que chaque animal a reçu de la nature qui nous avertit de respecter celui des autres. La loi dirige cet amour-propre, et la religion le perfectionne. Il est bien vrai que Dieu aurait pu faire des créatures uniquement attentives au bien d’autrui. Dans ce cas, les marchands auraient été aux Indes par charité et le maçon eût scié de la pierre pour faire plaisir à son prochain. Mais Dieu a établi les choses autrement. N’accusons point l’instinct qu’il nous donne, et faisons-en l’usage qu’il commande.
Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, Sur les Pensées de M.Pascal
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